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> De partout, de nulle part, je n’ai pas de territoire !
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De partout, de nulle part, je n’ai pas de territoire !
L’appel pour des assises de
l’anticolonialisme post-colonial, récemment apparu sur la
scène militante, est intéressant à plus d’un
titre. Restent cependant de nombreuses réserves, liées
principalement à un certain nombre d’amalgames
réducteurs qui, centrant l’analyse autour du paradigme
« culturel », pourrait bien renforcer la
réalité qu’elle dénonce à juste
titre.
Car le constat posé en
préalable ne peut qu’emporter
l’adhésion. Nul ne peut honnêtement
nier le racisme et la xénophobie ambiante,
instrumentalisée par divers pouvoirs pour mieux
asseoir leur domination. Au risque du
néologisme, mieux vaudrait d’ailleurs
l’appeler « alter-phobie », puisque
nombre de ses victimes ne sont pas à proprement
parler « étrangers » - et que
c’est justement dans cet écart entre
discours théorique et pratique quotidienne que
réside le scandale, l’hypocrisie que ce
texte met en valeur. Mais pourquoi vouloir absolument
lier ces phénomènes au « passé
colonial », et à lui seul ? La peur et
l’agressivité envers l’Autre est un
phénomène quasi universel, et point
n’est besoin d’avoir eu des colonies pour
le ressentir. A l’inverse, certains pays
auparavant colonisateurs semblent moins sujets au
racisme d’Etat que la France pour
s’en convaincre il suffit de penser à la
Grande-Bretagne.
Il est vrai que les « modèles
» colonisateurs français et britanniques
différaient profondément et
c’est bien la spécificité
française que ce texte combat, à savoir
la visée assimilatrice, ou « civilisatrice
», comme on disait alors. Visée certes
critiquable, tant par son objectif
d’homogénéité que par le
mépris de l’Autre qui l’accompagne
sans compter, bien évidemment, le fait
qu’elle suppose une inégalité
fondamentale, source et alibi de domination. Pour
autant, les cultures « autochtones », ou
prétendues telles, sont-elles
nécessairement et absolument respectables ? Il
ne me semble pas, par exemple, que l’Islam soit
plus respectable que le christianisme, ni que
l’excision soit tolérable au
prétexte qu’il s’agit de traditions
étrangères, que nous n’aurions
aucun droit de juger.
En tant que militants
libertaires, notre objectif est de maximiser la
liberté individuelle dans toutes les situations.
Et c’est à cette aune que doivent
être jugées toutes les cultures, selon le
degré de liberté, d’autonomie
qu’elles laissent aux individus ou, a contrario, selon le degré
d’intégration et de normalisation à
laquelle elle les soumettent. Nous ne sommes pas
« aux côtés de tous les peuples »,
nous soutenons tous les individus qui luttent pour leur
liberté quelque soit la source de leur
oppression, économique, culturelle, sexuelle ou
raciale, et la forme qu’elle prend. Car
l’opposition à l’impérialisme
n’est trop souvent qu’une forme de
nationalisme,
qui englobe les individus dans un
collectif qui d’opprimé aujourd’hui
devient rapidement oppresseur le lendemain. Se limiter
à une défense d’un groupe (parfois
construit de toutes pièces) aboutit ainsi
à une négation des individus ou des
sous-groupes qui le composent. Et, puisque la
référence au passé colonial semble
le pivot de ce genre d’argumentation, on reste
songeur quant à l’oubli de certaines
réalités des luttes de libérations
nationales, comme les régimes dictatoriaux qui
s’établirent en Algérie et en
Indochine post-coloniales1
La rhétorique de ce texte
révèle trois insuffisances fondamentales.
La première est son communautarisme. Il
s’agit, pour le dire vite, de reprendre à
son compte la discrimination dont sont victimes un
certain nombre d’individus sous prétexte
d’appartenance à tel ou tel groupe, pour
faire de cette communauté un instrument de
lutte. Une approche dialectique de la lutte, sans doute
nécessaire à son développement
dans un premier temps. Mais dans un premier temps
seulement et c’est là que le
bât blesse. Car nul dépassement de cette
réalité communautaire n’est
envisagée communauté qui de moyen
semble devenir l’alpha et l’oméga de
la lutte. Comme si, une fois qu’une connotation
positive, ou au moins égale, lui était
conférée, elle serait moins
normalisatrice pour les individus qui la composent. Ou
qui sont censés la composer quoi
qu’ils en pensent, ils resteront prisonniers
d’origines posées comme absolument
déterminantes. Fait révélateur :
le terme « individu » est absent du texte,
là où les notions « englobantes »
(« parents », « populations »,
etc.) abondent.
On hésite d’ailleurs
quant au fondement de cette communauté,
habituellement présentée comme « culturelle
», tant par ce texte que par les discours
qu’il entend combattre. Mais la liste des
résistances actuelles au « colonialisme »
français est étrangement restrictive. Quid des
luttes en Corse, en Bretagne, au Pays
Basque, ou en Occitanie ?
Qu’est-ce qui les différencie des
régions citées, sinon une certaine
proximité géographique (qui n’est
pas un critère politiquement valable pour leur
refuser le statut de « colonie »), et la
couleur de la peau de la majorité de la
population ? Et, dès lors, ne serait-ce pas plus
un classique problème de racisme que de culture ?
Là réside la
seconde faille de l’argumentation, dans son
exclusivisme c’est-à-dire
l’exclusivité donnée à une
interprétation culturaliste, alors que la
réalité est par définition
complexe. Il s’agirait donc seulement de
régler une question de xénophobie
culturelle, prenant sa source dans le modèle
assimilateur du colonialisme français, et
renforcé par le contexte géopolitique
actuel et les discours dominants à ce sujet.
Mais, aussi malheureusement qu’objectivement,
renforcé également par ce type de textes
qui font de la question du « choc des cultures »
le cur de l’organisation sociale
contemporaine, et donc le principal instrument de son
analyse. Le reste est rejeté aux marges. Le
racisme proprement dit n’est pas
évoqué (le mot est absent du texte), le
politique et l’économique sont
secondaires, tout au plus se servent-ils d’une
discrimination culturelle préexistante,
héritage du passé colonial. Or la
situation coloniale, tout comme l’actuelle main
mise de la France sur ses anciennes colonies
africaines, ne peut se comprendre seulement en termes
de domination culturelle ; c’est d’abord
une question économique, via pillage
des ressources et ouverture de débouchés,
et de réalisme géopolitique, moyen de
s’assurer des alliances dans la lutte des Etats
pour la suprématie.
En ramenant l’ensemble des
problèmes contemporains à une question de
communauté, de culture et
d’héritage, cet appel s’interdit de facto
de formuler un quelconque projet politique.
Troisième insuffisance, et de taille ! Il est de
fait incapable de dépasser le mythe de
l’égalité face à
l’Etat, de réclamer autre chose que la
cohérence entre le discours théorique de
l’Etat et sa pratique. De réclamer «
justice » - une justice qui, octroyée par
l’Etat, doit prendre appui sur le passé
pour asseoir sa démarche, qui pourrait bien
n’être que désir de vengeance, et
ainsi perpétuer le cycle infernal de
l’oppression. Mais sans aller jusque là,
faute d’imagination et de réflexion, quel
manque de perspectives ! Aucun changement de
système en vue, seulement un meilleur
fonctionnement de l’existant. « Etre
traité comme les autres » - mais si on ne
veut plus être traité du tout, et surtout
pas comme les autres ? Aucune perspective de
liberté individuelle dans cette démarche,
révélatrice d’une indigence
politique telle que faute de volonté on est
contraint d’ériger le judiciaire en
politique, le Droit en liberté et de
chercher sa cause dans le passé.
Alf
1 La valorisation aveugle de
l’anti-colonialisme va jusqu’à
l’absurde : je me demande ce que les kabyles
réfugiés politiques en France pour fuir
la répression qu’ils subissent en
Algérie, de la part des héritiers du FLN
au pouvoir depuis 1962, pensent du fait
qu’apparemment, l’opposition entre
berbères et arabes serait une
spécificité française
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