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Le traitement du génocide rwandais dans les médias français
Le texte qui suit est la transcription
d’une intervention de François-Xavier Verschaves
lors des Journées
d’Etudes Africaines qui
se sont tenues sur le campus de l’Université
Lumière de Lyon en décembre 2002. Après un
bref historique du génocide rwandais, il revient sur le
traitement médiatique des évènements.
C’est cette partie de son intervention que nous avons
choisi de publier. François-Xavier Verschaves rappelle
les connivences entre les patrons de groupes médiatiques
et le pouvoir en place. Il relate très directement
comment, sans vergogne, les médias les plus
« respectables » ont trompé leur audience en
contribuant à la construction d’une perception
dramatiquement erronée des
événements de 1994 au Rwanda.
Le
premier problème réside dans
l’absence tragique des télévisions,
tout du moins durant une première
période, conjugué à
l’absence d’une partie des correspondants
de la presse écrite. Ces derniers étaient
en Afrique du Sud pour couvrir l’avènement
de Nelson Mandela. Malgré tout, un certain
nombre de journalistes en France et en Belgique ont
fait du très bon travail pendant les
débuts du génocide : Alain Frilet
(Libération), Laurent Bigeard (Nouvel
Observateur) et quelques autres... Par ailleurs,
l’absence d’intérêt
porté au travail de ces
derniers montre que la presse écrite jouit
d’une importance moindre parmi les médias
qui en général ont été
d’une indigence absolument incroyable.
Il y a le rôle majeur du
Monde, dont on peut dire qu’il a
été complice du génocide.
C’est assez extraordinaire cette position du
Monde. Elle permet de comprendre pourquoi dans une
optique de désinformation il est important de
tenir les journaux les plus influents. Et les journaux
les plus réputés, sont ceux qui ont
probablement les spécialistes d’Afrique
les moins libres... Parfois, on le leur impose
carrément, cela fait partie des deals que tout
patron de presse doit négocier avec le pouvoir.
Le Monde avait un correspondant, Jean
Hélène, à Kigali pendant tout le
génocide. Celui-ci s’est employé en
permanence à brouiller les pistes comme le
démontre le petit livre de Jean-Paul Gouteux Le Monde un contre-pouvoir. Cet ouvrage décrit très
précisément tous les articles et tout le
traitement par Le Monde de la situation. Deux
exemples... Le 11 mai, plus d’un mois
après le début du génocide, Le
Monde publie une chronologie du mois
précédent, avec un petit encart
intitulé Horreur au
Rwanda. Il y avait
déjà plus de 500 000 morts... Je cite :
« L’attentat du 6 avril contre l’avion
provoque la riposte de la garde présidentielle,
majoritairement composée de
hutus qui tue, le 7 à Kigali, 10 casques bleus.
Les rebelles du Front Patriotique Rwandais et
l’armée, dominée par la
majorité hutu, se battent pour le contrôle
de la capitale de l’ancienne colonie belge et
massacrent des milliers de personnes. » Autrement
dit, il y a 2 camps qui font une « petite
guerre » où quelques milliers de personnes
sont tuées, alors qu’il y a
déjà 500 000 morts, et que les auteurs du
génocide sont bien connus. Ce sera une constante
de toute la presse sous influence de parler en
permanence des « deux parties », ce qui
participe de la négation du génocide.
Donc, il y a ce traitement très particulier et,
à la fin du génocide, Jean
Hélène sort un grand article qui est
intitulé Les armes du
génocide. Dans cet
article où l’on s’attend à
lire les fournitures de machettes pour la population et
de mitraillettes pour la garde présidentielle,
et bien on ne trouve qu’un seul responsable des
massacres : le FPR. C’est à dire
l’armée des exilés tutsis. Et, les
armes dont il est question sont celles qui viennent
d’Ouganda et qui équipent le FPR . Donc,
on publie une page entière à la fin du
génocide et, les armes dont on parle sont celles
de ceux qui ont mis fin au génocide !
Quand vous lisez les
mémoires des responsables des services secrets,
comme Claude Silberzahn pour la DGSE ou Yves Bonnet
pour la DST, ils vous donnent les noms de leurs copains
journalistes, ceux avec lesquels ils traitent. Les
services secrets font entre-autres de la
désinformation et doivent donc traiter avec
quelques amis... Claude Silberzahn, ancien
patron de la DGSE, a cité parmi ses principaux amis
Jean-Marie Colombani, directeur du Monde et Jacques Isnard,
spécialiste des questions de défense, qui
d’ailleurs ne cache pas ses très bons liens avec
les services de renseignement. Jean-Paul Gouteux, dont la
belle-famille a été massacrée, a
publié un livre qui s’appelle : Un génocide secret d’Etat, où il a dit de manière
osée que messieurs Colombani et Isnard était
« d’honorables correspondants de la DGSE »...
Evidemment, Colombani et Isnard ont intenté un
procès en diffamation. Il l’ont perdu en
première instance et en appel... Donc, Le Monde, le
quotidien français le plus « crédible »
est dirigé, animé, rédigé par
« d’honorables correspondants de la DGSE »...
Alors, ne parlons pas évidemment de la
télé de Bouygues où des médias
d’Etat, mais simplement de la presse dite
« indépendante »... Ceci concerne ce qui
s’est passé jusqu’à
l’opération Turquoise de l’armée
française.
Cette dernière a été
le « pompon » absolu... Certains reporters
télé qui avaient pu commencer à aller
enquêter vers la fin du génocide (en juin) nous
ont expliqué que jusqu’à lors, il y avait
une sélection des images. C’est à dire
qu’ils ramenaient tout un stock d’images du
génocide et, on ne sélectionnait dans les
chaînes françaises que les 3 ou 4 % qui montraient
les malheureux réfugiés hutus en train de fuir
l’avancée de la guerre. Tout ce qui avait trait au
génocide était gommé. Et, un
haut-fonctionnaire du ministère de la Coopération
m’a expliqué, parce qu’elles
s’était un
peu scandalisée de cette
affaire, que la réponse officielle était :
« il ne faut pas ensanglanter la future tombe de
Miterrand »... Donc, on déforme
complètement la réalité dans les
médias audiovisuels et, à partir de
l’opération Turquoise, cela devient
extraordinaire. Les médias se
précipitent, on entend plus que ça jour
et nuit. Et ce qu’on vous décrit,
c’est comment, 2 millions de personnes sont
poussés vers l’ex-Zaïre comme une
sorte de bouclier humain par ceux qui ont commis le
génocide. On nous décrit le drame humain
de ces personnes et le fait que 30 ou 40 000 personnes
sont mortes du choléra à cause des
conditions sanitaires de cette marche forcée.
Marche menée par ceux qu’on a
appelé les « bergers du
génocide » et qui ont déjà
encadré cette population pour en amener une
partie à tuer et à massacrer. On a
parlé que de ça. Ainsi, l’image que
les
français se font du
génocide est celle de braves soldats
français enterrant les cadavres de ce que
l’on appelait un « désastre
humanitaire extraordinaire ». Tout le reste est
passé à la trappe ! Il y a eu à ce
moment là une double opération.
D’une part ces images massives montrant
uniquement une conséquence du génocide.
Le million de mort, les plusieurs centaines de milliers
de viols, les tortures massives, tout cela, n’est
pas évoqué. De plus, à ce moment
là, pour court-circuiter les quelques bons
reporters qui avaient fait un travail correct, on a
envoyé les meilleures plumes des
différentes rédactions françaises.
Des auteurs qui ne connaissaient rien à la
question. Par exemple, on a envoyé Jean
d’Ormesson de l’Académie
Française. Ce dernier a écrit dans une
série de reportages du 19 au 21 juillet (3 mois
après le début du génocide) :
« Sortez vos mouchoirs, âmes sensibles
s’abstenir, le sang va couler à flots sous
les coups de mâchettes. Ce sont des massacres
grandioses dans des paysages sublimes. » Avec
toute cette « poésie », vous ne savez
plus très bien ce qui s’est passé.
Il serait aisé de citer toute une ribambelle
d’exemple de ce type de traitement du
génocide par de grandes plumes du journalisme.
Parallèlement, des journalistes comme Alain
Frilet qui font un travail remarquable sont mis de
côté... »
Transcription de Marthe
Merci à Ivan
A lire : J.-P. Gouteux, Le Monde, un contre-pouvoir ?
Désinformation et manipulation sur le
génocide rwandais, L’Esprit
Frappeur, 1999.
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