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AccueilJournalNuméros parus en 2005N°37 - Février 2005 > Le traitement du génocide rwandais dans les médias français

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Le traitement du génocide rwandais dans les médias français



Le texte qui suit est la transcription d’une intervention de François-Xavier Verschaves lors des Journées d’Etudes Africaines qui se sont tenues sur le campus de l’Université Lumière de Lyon en décembre 2002. Après un bref historique du génocide rwandais, il revient sur le traitement médiatique des évènements. C’est cette partie de son intervention que nous avons choisi de publier. François-Xavier Verschaves rappelle les connivences entre les patrons de groupes médiatiques et le pouvoir en place. Il relate très directement comment, sans vergogne, les médias les plus « respectables » ont trompé leur audience en contribuant à la construction d’une perception dramatiquement erronée des événements de 1994 au Rwanda.
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Le premier problème réside dans l’absence tragique des télévisions, tout du moins durant une première période, conjugué à l’absence d’une partie des correspondants de la presse écrite. Ces derniers étaient en Afrique du Sud pour couvrir l’avènement de Nelson Mandela. Malgré tout, un certain nombre de journalistes en France et en Belgique ont fait du très bon travail pendant les débuts du génocide : Alain Frilet (Libération), Laurent Bigeard (Nouvel Observateur) et quelques autres... Par ailleurs, l’absence d’intérêt
porté au travail de ces derniers montre que la presse écrite jouit d’une importance moindre parmi les médias qui en général ont été d’une indigence absolument incroyable.
Il y a le rôle majeur du Monde, dont on peut dire qu’il a été complice du génocide. C’est assez extraordinaire cette position du Monde. Elle permet de comprendre pourquoi dans une optique de désinformation il est important de tenir les journaux les plus influents. Et les journaux les plus réputés, sont ceux qui ont probablement les spécialistes d’Afrique les moins libres... Parfois, on le leur impose carrément, cela fait partie des deals que tout patron de presse doit négocier avec le pouvoir. Le Monde avait un correspondant, Jean Hélène, à Kigali pendant tout le génocide. Celui-ci s’est employé en permanence à brouiller les pistes comme le démontre le petit livre de Jean-Paul Gouteux Le Monde un contre-pouvoir. Cet ouvrage décrit très précisément tous les articles et tout le traitement par Le Monde de la situation. Deux exemples... Le 11 mai, plus d’un mois après le début du génocide, Le Monde publie une chronologie du mois précédent, avec un petit encart intitulé Horreur au Rwanda. Il y avait déjà plus de 500 000 morts... Je cite : « L’attentat du 6 avril contre l’avion provoque la riposte de la garde présidentielle,
majoritairement composée de hutus qui tue, le 7 à Kigali, 10 casques bleus. Les rebelles du Front Patriotique Rwandais et l’armée, dominée par la majorité hutu, se battent pour le contrôle de la capitale de l’ancienne colonie belge et massacrent des milliers de personnes. » Autrement dit, il y a 2 camps qui font une « petite guerre » où quelques milliers de personnes sont tuées, alors qu’il y a déjà 500 000 morts, et que les auteurs du génocide sont bien connus. Ce sera une constante de toute la presse sous influence de parler en permanence des « deux parties », ce qui participe de la négation du génocide. Donc, il y a ce traitement très particulier et, à la fin du génocide, Jean Hélène sort un grand article qui est intitulé Les armes du génocide. Dans cet article où l’on s’attend à lire les fournitures de machettes pour la population et de mitraillettes pour la garde présidentielle, et bien on ne trouve qu’un seul responsable des massacres : le FPR. C’est à dire l’armée des exilés tutsis. Et, les armes dont il est question sont celles qui viennent d’Ouganda et qui équipent le FPR . Donc, on publie une page entière à la fin du génocide et, les armes dont on parle sont celles de ceux qui ont mis fin au génocide !

Quand vous lisez les mémoires des responsables des services secrets, comme Claude Silberzahn pour la DGSE ou Yves Bonnet pour la DST, ils vous donnent les noms de leurs copains journalistes, ceux avec lesquels ils traitent. Les services secrets font entre-autres de la désinformation et doivent donc traiter avec
quelques amis... Claude Silberzahn, ancien patron de la DGSE, a cité parmi ses principaux amis Jean-Marie Colombani, directeur du Monde et Jacques Isnard, spécialiste des questions de défense, qui d’ailleurs ne cache pas ses très bons liens avec les services de renseignement. Jean-Paul Gouteux, dont la belle-famille a été massacrée, a publié un livre qui s’appelle : Un génocide secret d’Etat, où il a dit de manière osée que messieurs Colombani et Isnard était « d’honorables correspondants de la DGSE »... Evidemment, Colombani et Isnard ont intenté un procès en diffamation. Il l’ont perdu en première instance et en appel... Donc, Le Monde, le quotidien français le plus « crédible » est dirigé, animé, rédigé par « d’honorables correspondants de la DGSE »... Alors, ne parlons pas évidemment de la télé de Bouygues où des médias d’Etat, mais simplement de la presse dite « indépendante »... Ceci concerne ce qui s’est passé jusqu’à l’opération Turquoise de l’armée française.

Cette dernière a été le « pompon » absolu... Certains reporters télé qui avaient pu commencer à aller enquêter vers la fin du génocide (en juin) nous ont expliqué que jusqu’à lors, il y avait une sélection des images. C’est à dire qu’ils ramenaient tout un stock d’images du génocide et, on ne sélectionnait dans les chaînes françaises que les 3 ou 4 % qui montraient les malheureux réfugiés hutus en train de fuir l’avancée de la guerre. Tout ce qui avait trait au génocide était gommé. Et, un haut-fonctionnaire du ministère de la Coopération m’a expliqué, parce qu’elles s’était un
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peu scandalisée de cette affaire, que la réponse officielle était : « il ne faut pas ensanglanter la future tombe de Miterrand »... Donc, on déforme complètement la réalité dans les médias audiovisuels et, à partir de l’opération Turquoise, cela devient extraordinaire. Les médias se précipitent, on entend plus que ça jour et nuit. Et ce qu’on vous décrit, c’est comment, 2 millions de personnes sont poussés vers l’ex-Zaïre comme une sorte de bouclier humain par ceux qui ont commis le génocide. On nous décrit le drame humain de ces personnes et le fait que 30 ou 40 000 personnes sont mortes du choléra à cause des conditions sanitaires de cette marche forcée. Marche menée par ceux qu’on a appelé les « bergers du génocide » et qui ont déjà encadré cette population pour en amener une partie à tuer et à massacrer. On a parlé que de ça. Ainsi, l’image que les
français se font du génocide est celle de braves soldats français enterrant les cadavres de ce que l’on appelait un « désastre humanitaire extraordinaire ». Tout le reste est passé à la trappe ! Il y a eu à ce moment là une double opération. D’une part ces images massives montrant uniquement une conséquence du génocide. Le million de mort, les plusieurs centaines de milliers de viols, les tortures massives, tout cela, n’est pas évoqué. De plus, à ce moment là, pour court-circuiter les quelques bons reporters qui avaient fait un travail correct, on a envoyé les meilleures plumes des différentes rédactions françaises. Des auteurs qui ne connaissaient rien à la question. Par exemple, on a envoyé Jean d’Ormesson de l’Académie Française. Ce dernier a écrit dans une série de reportages du 19 au 21 juillet (3 mois après le début du génocide) : « Sortez vos mouchoirs, âmes sensibles s’abstenir, le sang va couler à flots sous les coups de mâchettes. Ce sont des massacres grandioses dans des paysages sublimes. » Avec toute cette « poésie », vous ne savez plus très bien ce qui s’est passé. Il serait aisé de citer toute une ribambelle d’exemple de ce type de traitement du génocide par de grandes plumes du journalisme. Parallèlement, des journalistes comme Alain Frilet qui font un travail remarquable sont mis de côté... »

Transcription de Marthe
Merci à Ivan

A lire : J.-P. Gouteux, Le Monde, un contre-pouvoir ? Désinformation et manipulation sur le génocide rwandais, L’Esprit Frappeur, 1999.


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