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AccueilJournalNuméros parus en 2005N°43 - octobre 2005Une organisation libertaire ? > Une autre façon de faire de la politique

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Une autre façon de faire de la politique



La présidentielle, c’est bien trop d’enfants pour un petit bac à sable... Les universités d’été des partis politiques, vous savez, la politique, ce grand truc sérieux qui nous concerne tous, ont été accaparées deux ans à l’avance par la question de la candidature, du pouvoir individuel. Cela intéresse parfois les foules, voir des prédateurs type Sarkozy et De Villepin se livrer une guerre de grands fauves, ça change des visites des parcs animaliers. La guerre interne au PS est également un vrai feuilleton, qui sortira indemne des passes d’armes ? Il n’en restera qu’un, comme Highlander. La politique est devenue un soap opera ronflant, un suspense entretenu pour des militants qui au final éliront le candidat le plus cynégétique.

Les partis politiques, quand à eux, sont des machines électorales où les candidats jouent des coudes pour acquérir une parcelle de pouvoir. Il s’agit d’exclure, de rejeter, de personnaliser une vision politique et d’écraser la concurrence. Un parti politique, c’est un morceau d’entreprise capitaliste. Lorsqu’on est militant dans un parti, l’immense majorité du temps est passé à coller des affiches avec des photos couleur pleine page, sans texte et sans idée, à faire le clap lorsque rentre la star politique de l’année ou du mois, à comploter contre le courant adverse. Avec un peu de chance, vous pourrez trinquer avec le chef de votre chapelle, c’est trop d’la balle. Allez voir un militant d’un parti, hormis LO et LCR, et demandez-lui : "sur quel projet planchez-vous en ce moment ?" Il va vous regarder étrangement. Pas comprendre question... Un militant d’un parti n’est pas là pour réfléchir, pour agir ou pour créer, il est là pour suivre. Le rebiffement des grandes fédérations PS en faveur de la majorité Hollande, comme celle des Bouches-du-Rhône, est à ce sujet révélatrice : on change d’avis comme de chemise, et c’est le dernier éléphant qui passe dans la fédération qui remporte le morceau...

Parallèlement, les partis se demanderont les raisons du vieillissement de leurs adhérents. Aujourd’hui, les jeunes qui restent plus de 3 mois au parti socialiste, par exemple, sont des bourgeois (socialement ou mentalement) qui cherchent à faire une carrière politique, sinon pour les autres jeunes ce type d’engagement apparaîtrait décalé. La société a évolué, pas les partis. On parle beaucoup de la crise de l’engagement mais si, aujourd’hui, peu de personnes sont prêtes à suivre aveuglément des chefs, sans demander des comptes, ce n’est pas non plus un mal. L’analyse qui consiste à dire que l’engagement est en crise parce que "les gens" sont plus égoïstes aujourd’hui nous semble fausse, au réseau. "Les gens" sont plus critiques et moins aptes à obéir, plutôt. On le voit par exemple quant on discute avec des copains d’ATTAC : ils en ont assez que leur association soit moins démocratique que l’UMP et veulent peser sur tous les choix - cette crise a d’ailleurs éclatée lors de la dernière université de l’association pro-Tobbin. C’est rassurant. Ainsi depuis les années 90 nous assistons à un déplacement de l’engagement, des vieux partis et syndicats bureaucratiques, vers des associations sociales de tout type, l’humanitaire, l’écologie, l’altermondialisme. Quantitativement, l’engagement politique reste encore en eau trouble (quoique...) mais qualitativement celles et ceux qui s’engagent ne cherchent pas à suivre quoi que ce soit mais à coopérer sur des projets précis. Plutôt que de crise, nous devrions parler de mutations.

Nous le voyons à l’échelle du réseau No Pasaran : des groupes et des personnes continuent à nous contacter pour participer au réseau. Pour de multiples raisons :
- au réseau No Pasaran, comme dans les autres organisations libertaires, nous appliquons une démocratie directe et assembléiste où les délégations de pouvoir sont contrôlées périodiquement, les comptes sont connus de tous...
- nous nous fédérons sur des séries de projets et de luttes précis et concrets, sur un mode coopératif, horizontal et égalitaire ;
- la question du pouvoir est bouleversée : pour nous, le pouvoir, c’est "pouvoir faire" et non pas "pouvoir diriger" ou "pouvoir commander" ;
- quand bien même... Si une personne ou un groupe de personnes prenaient le pouvoir (c’est pas le cas, mais imaginons) le reste des groupes refuserait de suivre et d’obéir. Il n’y a pas de coercition, chacun-e peut reprendre ses billes s’il/elle veut, la coopération est de toute façon "obligée" !
- ainsi chaque personne a une utilité sociale dans le groupe par sa manière d’être et de faire ; la hiérarchisation des savoirs est renversée : au réseau il est tout aussi important de savoir cuisiner ou installer une sono que d’avoir l’habitude d’écrire ;
- enfin, les organisations libertaires combattent les autoritarismes, les oppressions et le capitalisme, et bien entendu les personnes nous rejoignent aussi sur cette base-là, car nous en avons plus que ras-le-bol du racisme, de la paranoïa sécuritaire, de la précarité, du foutage de gueule permanent des médias vendus aux capitalistes, de la pollution et de la guerre de chacun contre tous.

Il y a quelques années, on nous jetait presque des pierres. Maintenant, on discute des idées libertaires dans le quartier, au travail... Personnellement, j’arrive à discuter avec des cadres d’entreprise sans cacher mes opinions politiques et sans me faire jeter pour autant. Car le système capitaliste est en crise et même pour ses anciens gagnants il apparaît comme un système de plus en plus absurde et inégalitaire.
Reste deux frontières qui, en plus du manque de moyens et de temps nous obligeant à bricoler sans cesse, freinent pour l’instant notre expansion :
- le passage des idées aux pratiques : ce qui demande une révolte individuelle, du temps et un minimum de pugnacité ;
- accepter de participer à une forme d’organisation : une forme d’individualisme, que l’on pourrait appeler individualisme affinitaire, est prégnante. On peut tout faire pour les copains, la famille (enfin, parfois) mais au-delà la société apparaît floue et dangereuse ou pour beaucoup de jeunes ne semble pas mériter de s’y engager, ce qui peut aussi se comprendre (nous aussi on en a parfois marre que ça ne bouge pas plus vite).
Justement dans ce dossier nous allons aborder la question de l’organisation, en démontrant que loin de nous limiter elle permet au contraire d’accroître nos capacités d’influence et d’actions, qui plus est dans la franche camaraderie en ce qui concerne No Pasaran, vu qu’on a pas de questions de pouvoir individuel à trancher.

Aujourd’hui l’immense majorité des "gens" ne veulent plus suivre mais souhaitent coopérer d’égal à égal, dans la transparence.
Les vieilles forces autocratiques devront s’adapter, ou disparaître.

Raphaël

Bibliographie succinte

Autonomie individuelle et force collective, Les anarchistes et l’organisation de Proudhon à nos jours, Alex. Skirda, éd. les Amis de Spartacus.
Cet ouvrage a été important dans la réalisation du dossier, il dresse un portrait historique des organisations anarchistes à travers le monde en soulignant leur faiblesse historique dès qu’un trop grand nombre de personnes est atteint. Une lecture utile, malheureusement l’ouvrage est épuisé - si vous fouinez dans les salons du livre libertaires ou les librairies spécialisées vous pourrez peut-être le dénicher.
- L’ère du vide, essais sur l’individualisme contemporain. Gilles Lipovetsky. Gallimard. La question de "l’individualisme narcissique" sous toutes les coutures, intéressant pour analyser les raisons de la désafiliation à la "chose publique" ("désafiliation" dans tous les sens du terme, vertical et horizontal : rupture historique, rupture du fil du contrat social). Mais écrit il y a 20 ans, l’essai est peut être moins pertinent sur certains points : aujourd’hui l’ère de la gagne version années 80 est dépassée, et l’individualisme narcissique a plutôt laissé la place à l’individualisme affinitaire... où l’on se soucie de ses proches, de ses potes, et où au-delà de ce cercle l’émotion guide les engagements.
- La société du spectacle, Guy Debord : célèbre ouvrage peut-être plus référencé que réellement lu... L’analyse de la représentation spectaculaire du monde, ultime avatar du capitalisme, est toujours d’actualité et permet en creux de trouver les moyens de lutter...
- Abécédaire de l’engagement, Miguel Benasayag, éd. Fayard : le titre peut rebuter les fibres libertaires, mais ça serait passer à côté d’un outil de réflexion qui va chercher à la source de la question de l’engagement. "Nous sommes tous déjà engagés, reste à savoir dans quoi" - cette phrase libératrice, qui évite de juger trop rapidement autrui, est l’un des fils conducteurs de cet ouvrage, dans tous les sens du terme, dont nous recommandons à nouveau la lecture.
- Des souris et des hommes et Tortilla Flat de Steinbeck : deux romans sur la question de la marge, avec une poésie et une intensité propres à Steinbeck. Pour ne pas oublier le droit à être différent et à coexister avec les personnes qui ne suivront pas nécessairement un quelconque système...
- les écrits et les correspondances de Rosa Luxemburg : une analyse des écueils organisations et une critique du centralisme qui ne dit pas son nom, difficile de passer à côté de cette théoricienne dont les textes semblent parfois avoir été écrits en 2000... Ses correspondances sont aussi très instructives.
- les écrits de Hannah Arendt : idem, pour éviter les écueils autoritaristes, les nécessaires mises en perspective de cette historienne sont plus qu’utiles.
- les éditions du Monde libertaire et d’Alternative libertaire publient également des brochures sur l’organisation et des exemples de projets de société. Nous ne nous en sommes pas directement inspirés pour écrire, a contrario c’est clair que nous baignons en partie dans ce fond culturel commun.


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