Retour accueil

AccueilJournalNuméros parus en 2005N°42 - septembre 2005 > L’interculturalité sur les décombres du capitalisme

Rechercher
>
thème
> pays
> ville

Les autres articles :


Dossier : Pour la diversité et l’interculturalité

L’interculturalité sur les décombres du capitalisme



L’une des grilles d’analyse du développement du Front National dans les années 80 et 90 pourrait être en grande partie la crise de l’identité : une partie de la population souhaite se retrouver "entre elle" car elle a l’impression de ne plus pouvoir maîtriser ses conditions d’existence. Si cette progression est causée par un racisme ancré dans la société, l’accélération de la mondialisation capitaliste désoriente également et entraîne une perte importante de repères et de sens. Si l’on demande à quelqu’un dans la rue "quel est votre culture ?" il répondre le plus souvent "française". Mais si l’on demande quels en sont les traits, on rentre dans un grand fourre-tout. Seule la langue semble assurer le lien culturel. Se poser la question de l’interculturalité c’est aussi considérer la culture que l’on reçoit non seulement comme un héritage mais également comme un outil pour aller vers un ailleurs émancipateur. De l’interculturalité découle la liberté de circulation et d’installation, ainsi que celle du partage de tout type de richesses.

Qu’est-ce que l’interculturalité ?

Commençons déjà par définir une culture, brièvement. On peut retenir deux grands traits :
- une culture communautaire : une langue commune et des modes de vie convergents, une histoire perçue comme commune.
- une culture artistique : la peinture, la musique, la littérature...
Les deux ont été longtemps interdépendantes : les populations ne se déplaçaient guère et l’expression artistico-religieuse sublimait un mode de vie. Avec l’avénement du capitalisme nous assistons à une déconnexion : les créations artistiques peuvent parcourir le monde sans être liées à des modes de vie. Nous verrons ça plus loin.

Dans quel phénomène d’échange se situe l’interculturalité ? On pourrait distinguer 3 formes de coexistences culturelles qui ont été bousculé par les profondes mutations économiques et sociales de la mondialisation. Elles donnent néanmoins un ordre d’idées :
- Monoculturalité : une culture unique s’impose : culture capitaliste, culture musulmane dans certains pays du monde... culture de type sectaire dans d’autres groupes sociaux. La monoculturalité est liée à un système économique et politique totalisant.
- Multiculturalités : des cultures cohabitent au sein d’une même nation ou forme de coexistence mais en restant "posées les unes à côté des autres". Ce sont des formes de communautarisme à l’anglo saxonne : une communauté pakistainaise, à côté d’une communauté turque, à côté d’une communauté WASP etc. Un autre exemple de sociétés multiculturelles est celle de l’Afrique du Sud : la culture blanche des afrikaaners asservissait les différentes populations noires, pourtant nous étions dans le cas d’une société multiculturelle où la culture du maître blanc pouvait cotoyer celle de ses "boys" ou serviteurs noirs. La multiculturalité n’est pas le signe d’une société ouverte aux échanges solidaires d’où l’apparition du terme "interculturalité".
- Interculturalités : les cultures se croisent, se métissent, pour donner naissance ensuite à d’autres formes d’existence et de commun pluriel. Les communautés peuvent exister mais sont également liées entre elles par diverses formes de pactes sociales. Le métissage a ainsi donné naissance à d’autres formes de cultures. L’interculturalité suppose que les cultures soient considérées comme égales par les divers intervenants.

Pour autant l’interculturalité est née de guerres et d’invasions - la fin de l’empire romain au Vème siècle et sa mise à sac par les tribus barbares de l’est. Du XVIème au XIXème siècle les européens ont plutôt optée pour la destruction des civilisations amérindiennes - la question dite indigène renaîtra au XXème. Au XIXème siècle la barbarie colonialiste a abattu une partie des populations puis asservi une majorité d’entre elles en Afrique et d’Asie. De ces guerres sont nées pourtant d’autres formes de cultures. Nous pourrions citer par exemple une ville des Etats Unis qui est passée du multiculturalisme à l’interculturalisme - la Nouvelles Orléans. L’interculturalité se manifeste dans la région de la Lousiane par des modes de vie comme celui des Cajuns (ex-français) et de nouvelles formes musicales qui sont nées du brassage de population et des métissages (jazz est de l’argot qui signifie grosso modo "baiser" - des affects comme mode de contournement de l’oppression, voir aussi note (1) de l’article sur le fascisme économique). Citons également San Fransisco pour ses nombreuses communautés culturelles ou contre-culturelles, des chinois aux gays en passant par les écologistes, féministes... Et sans guerre ou conflit communautaire.

Le Chiapas (Mexique, voire l’article dans ce n°) est passé du multiculturel à interculturel. Le multiculturel, c’étaient les propriétaires terriens mexicains qui exploitaient, ou réduisaient en esclavage, les indigènes (chiapanèques). L’interculturalité est naît en deux temps. De la rencontre d’abord entre des militants marxistes venus des grandes villes (surtout Mexico) autour de l’année 1984, avec les indigènes. Puis, dès 1994, de l’insurrection des zapatistes et des chiapanèques. de la culture traditionnelle et communautaire indienne et des rencontres internationales sont nées de nouvelles formes de coexistences, et de cultures (se reporter à l’article).Mais ce devenir est menacé par le capitalisme, autant dans son utilisation des forces armées que par la prégnance de sa "culture" de domination et de marchandisation (colonisation par le fric).

Liberté de circulation et d’installation, des papiers pour tous ou plus de papiers du tout !

Une source d’inégalité : les voyages "Nord-Sud" sont plus fréquents que l’inverse. Les populations pauvres du Sud sont invitées... à rester chez elle de par le coût des transports et les politiques anti-migratoires des pays riches (sauf lorsqu’il s’agit d’exploiter une main d’oeuvre, mais quel bel exemple "d’échange culturel", quel beau savoir faire des pays du Nord...) Ainsi quand la société française refuse de voire les sans papiers comme des humains à part entière, privés de droit, de ressources, de dignité, et les réduit à faire dans des conditions ignobles d’exploitation le sale boulot que les gentils gosses français que nous sommes, ou étions, refusons (BTP, restauration), cette même glorieuse société. Et on ne doit pas oublier que ses mêmes gentils gosses vont faire du tourisme dans les pays du Sud - "regarde cet enfant à la rue, n’est-ce pas triste ?". Quand ce n’est pas le tourisme sexuel qui se développe : certains deviennent violents s’ils voient un noir draguer une blanche en France mais se taieront si leur cousin va soulager ses couilles en Thaïlande, ou acheter une femme au Maroc... Deux poids, deux mesures, l’histoire d’une hypocrisie et d’une vision très sélective.

C’est pour ça que nous soutenons les revendications des sans papiers et que nous défendons la liberté de circulation et d’installation. Pour qu’elle ne soit pas qu’un droit liée au fric et réservé aux pays du Nord. Mais possible pour tout le monde. La question de l’organisation de la société et celle des solidarités internationales se posent alors et justement cette liberté de circulation peut permettre les rencontres, car la majorité des populations qui se déplacent ne le font pas pour leur plaisir mais parce qu’elles n’ont pas le choix. Quand bien même, la liberté de circulation et d’installation a existé pendant des siècles, des millénaires. Sa suppression ne sert qu’à maintenir les populations du Sud dans la misère, les droits entre français et étrangers doivent être égaux car nous y gagnons tous, par les enrichissements culturels et le nivellement par le haut des droits sociaux.

Enfin, nous devons remettre en jeu la question du cosmopolitisme d’une part et de l’universalisme de l’autre, que personnellement j’imagine comme une mosaïque mouvente en 4 dimensions - la quatrième étant le brassages historique, la capacité à faire revivre des cultures mortes au travers d’un imaginaire mutagène. Egalement la réaffirmation primordiale : chaque être qui naît sur cette terre a droit à la vie.

Mondialisation capitaliste : la marchandisation de la culture est-elle un phénomène interculturel ?

Le rapport entre développement de la culture et celui du capitalisme est complexe. La mondialisation facilite la diffusion des cultures sur un mode de représentation. De la transmission générationnelle nous sommes passés à une transaction commerciale de la culture, du moins dans la culture dominatrice, la culture dite "occidentale". Cette incidence a des conséquences qui peuvent être aussi à l’origine de la crise de sens que nous connaissons et subissons. Un exemple : si je veux que mon appartement prenne une coloration asiatique (coloré comme une superficialité), à supposer que j’ai les moyens je commande tout par Internet des produits sérialisés qui occuperont l’espace. Mais cette culturation de l’espace de vie n’est pas dû à un parcours personnel ni à une transmission générationelle : elle est a-historique, déterminée par la capacité d’un compte en banque. La marchandisation n’est pas seulement "tout s’achète" mais aussi "tout est représenté", et non pas vécu. Nous passons à un autre mode d’existence qui n’est plus lié du tout à une filliation historique, nous rentrons dans d’autres sphères que certains philosophes nomment "post-modernisme".

Le lien historique est ainsi en profonde mutation, il n’est plus perçu d’où l’impression de génération spontanée que l’on peut parfois avoir. Ce lien historique brisé ne doit pas forcément être vécu comme un mal en soi, à moins de choisir des replis républicains dans la "France des clochers", qui n’existe plus vraiment.

Car cette remise en question, paradoxalement, met à mal les communautés nationales et de ce chaos peut naître aussi autre chose que l’idée de mère patrie. Un nouveau cosmopolitisme ? Nous n’en sommes pas là. Actuellement la cassure de la filiation créé les replis vers des communautarismes traditionnels ; l’exemple musulman est le plus cité mais dans les sociétés européennes par exemple il prend aussi la forme de la résurgence des cultures régionales, les nombreuses fêtes de la bière ou des géants de papier mâché. Dans la ville où j’habite, Brive, les manifestations annuelles qui réunissent le plus de monde sont celles des vaches. Des vaches défilent à la queue leu leu dans les rues, et les gens sont contents car ça rassure de voir nos racines... Mouais.

Au delà de la culture capitaliste, le lien entre interculturalité et écologie

L’autre appauvrissement de la culture, et de l’interculturalité, c’est le tourisme : la mise sous cloche des paysages. C’est d’ailleurs tout le débat qui existe entre l’environnement d’une part et l’écologie :
- l’environnement : il faut préserver un paysage tel quel, pour que des régions gardent un capital touristique, et en liant les infrastructures avec l’environnement dans une récherche de profit. Tous les débats sur le développement durable reprennent ces concepts. Le terme environnement est d’ailleurs lui même très révélateur : le monde nous entoure, nous environne mais nous en resterions le centre, en fait cette place occupée est totalement imaginaire, liée à l’individualisme narcissique de l’occidental. Et dans un cadre capitaliste, nous exploitons au maximum cet environnement.
- l’écologie : l’humain n’est qu’un élément interdépendant d’un ensemble plus vaste, qu’il ne doit pas asservir, ni servir, mais avec lequel il doit coexister dans une idée de durée et de transmission générationnelle (au lieu de tout brûler comme nous sommes en train de faire aveuglément). Or un projet écologique ne peut être qu’un projet internationaliste et interculturel, un projet d’échanges humains. L’écologie s’est construite sur ces projets transnationaux et a confronté des cultures du nord et du sud dans des perpesctives d’échanges solidaires, on pourrait citer par exemple René Dumont ou pas mal d’ONG qui ne pillent rien mais apportent autant qu’elles découvrent. L’écologie peut être un vecteur de tolérance, de réalisations collectives et d’interculturalité qui ouvre des perspectives équilibrantes pour l’humanité.

Raphaël

[ Aparthée : Une autre question peut se poser, celle de l’explosion démographique qui est liée à l’accroissement de la misère, elle cesse ou s’atténue avec l’obtention de droits sociaux. Ce qui poussait les populations à se masser sur les côtés en Indonésie, et ce qui a entraîné tant de morts dus au Tsunami, c’est la pauvreté (fragilité des habitations) et la nécessité d’exploiter les ressources maritimes au maximum, pour survivre. La question démographique doit être un libre choix de chaque individu via l’accès à une contraception - et les programmes de l’ONU de ce type sont freinés par les Etats Unis et l’église catholique]


No Pasaran 21ter rue Voltaire 75011 Paris - Tél. 06 11 29 02 15 - nopasaran@samizdat.net
Ce site est réalisé avec SPIP logiciel libre sous license GNU/GPL - Hébergé par Samizdat.net