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AccueilJournalNuméros parus en 2005N°41 - Juillet-Août 2005 > PACtole pour l’agro-business

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Dossier : Pour une agriculture non productiviste

PACtole pour l’agro-business



La politique agricole commune (PAC), créée par le traité de Rome en 1957, est mise en place à partir de 1962. Ses objectifs étaient " d’accroître la productivité de l’agriculture, d’assurer un niveau de vie équitable à la population agricole, de stabiliser les marchés, de garantir la sécurité des approvisionnements, d’assurer des prix raisonnables aux consommateurs ".
Après 40 ans d’application, si la PAC a atteint ses objectifs en termes de quantité, c’est au détriment de la qualité de la nourriture, de l’environnement et des petits paysans du Nord comme du Sud.

Pour atteindre ses objectifs, la PAC a développé une politique des prix et une politique de modernisation de l’agriculture. Cette dernière devait permettre aux agriculteurs de produire plus, et plus efficacement. Pour cela, la Communauté européenne incite les exploitations agricoles jugées peu rentables à cesser leur activité, et les autres à investir afin d’améliorer les rendements. Le deuxième volet de la PAC, la politique des prix, repose sur deux mécanismes : la préférence communautaire et l’intervention. Le premier consiste à taxer les produits extracommunautaires afin de maintenir le prix des produits européens en dessous des produits importés. À l’inverse, les produits exportés le sont en dessous du prix garanti européen, une subvention représentant la différence est reversée aux producteurs par le FEOGA (Fonds européen d’orientation et de garantie agricole, alimenté par les droits de douane sur les produits extérieurs, les cotisations des Etats membres, un prélèvement sur la TVA...).
Les prix dépendant également de la production intérieure européenne, un second mécanisme a été mis en place, l’intervention. Ainsi, quand la production devient trop importante, les cours baissent, et la Communauté européenne autorise des organismes stockeurs, comme les coopératives agricoles, à acheter au prix garanti européen les excédents. C’est encore le FEOGA qui subventionne les organismes habilités. Les excédents sont alors stockés soit en attendant que les cours remontent, soit, et c’est le plus fréquent, en attendant de les écouler sur le marché mondial.
Ainsi soutenue, la production augmente, et dès la fin des années soixante, on assiste à une surproduction de certains produits comme le beurre ou la poudre de lait (pour pouvoir être stocké, le lait est transformé en poudre). Puisque toute sa production est garantie d’être achetée à bon prix, pourquoi un agriculteur ne se lancerait-il pas à la course au rendement. On assiste alors au développement de l’agriculture industrielle.
De plus, cette surproduction a été aggravée par une brèche dans la préférence communautaire. Certains produits, comme les tourteaux et les graines de soja, peu produits en Europe, mais énormément au Etats-Unis, échappent aux prélèvements et se retrouvent sur le marché européen à bas prix. Ces produits se retrouvent en concurrence avec les céréales pour l’alimentation des porcs, des volailles, des bovins et des ovins. Alors que les excédents de céréales remplissaient déjà les silos, ils ne sont plus achetés par les producteurs de viande qui disposent d’autres produits d’alimentation moins chers. Ces mêmes producteurs vendent leur viande à prix garanti. La production de céréales continue d’augmenter, son prix étant également garanti !
Autre exemple d’aberration : la production de lait. Autrefois, le veau était, comme on dit, nourri sous la mère, mais il ne consommait qu’un quart du lait que produisait sa mère la vache. Une partie des trois autres quarts étaient destinée à la propre consommation des paysans et à la vente soit en direct soit à une laiterie. Ce qui restait était écrémé : la crème servait à faire du beurre, tandis que le lait écrémé était donné aux porcs qui ont besoin de protéines. Il existait un équilibre fondé sur une diversification de l’utilisation du lait. Mais la PAC qui permet l’achat de toute la production à prix garanti a cassé cet équilibre. L’agriculteur vend toute sa production de lait (les veaux sont vendus à la naissance) à la laiterie, qui est de toute manière subventionnée pour stocker l’excédent. Alors que certains se spécialisent dans le lait, d’autres se lancent dans le porc, qui avec les tourteaux de soja, les farines de viande et de poisson se substituant au lait écrémé, n’a plus besoin des vaches. Il n’y pas plus besoin de prés ni de champs de blé, la nourriture est fournie par des industriels. Ainsi se développe la production hors-sol du porc. Mais revenons maintenant à notre veau et au lait parti à la laiterie. Donc le lait en arrivant à la laiterie est écrémé. La crème sert à faire du beurre qui sera stocké dans les frigos européens, et le lait écrémé réduit en poudre devient, en le mélangeant avec des matières grasses bon marché, comme le suif, un aliment pour notre gentil veau qui sera engraissé dans un élevage industriel. Par le truchement des subventions, le veau industriel est moins cher que le veau fermier, alors que le coût réel est bien plus élevé (transport, transformation du lait...).
En 1984, alors que plusieurs tentatives de maîtrise de la production ont échoué dans les années soixante-dix, les quotas laitiers sont mis en place. Chaque Etat doit geler sa production à un niveau équivalent à celui de 1983 moins 2%. Le principe, qui parvient à contenir la production reste inégalitaire. Ce sont en effet les gros producteurs qui s’en sortent le mieux, ceux là même qui ont provoqué la surproduction. Le quota est acquis pour le producteur et ses successeurs,et il peut même être monnayé. Ainsi, un jeune voulant s’installer payera un surcoût pour la terre qui a un quota. Sans compter que le petit producteur doit baisser sa production du même pourcentage que le gros. Et ne parlons pas des laiteries gérant les quotas, qui pour faire des économies sur la collecte de lait sélectionnent les gros producteurs, et de l’Etat qui rachète les quotas aux petits producteurs pour les inciter à cesser leur activité. Au final, c’est la moitié des producteurs de lait qui disparaît en cinq ans.
Du côté des céréales, il y a également une tentative pour contenir la production. En 1985 sont instaurées les quantités maximales garanties. Si désormais la production annuelle dépasse celle de 1985, les prix garantis aux agriculteurs diminuent d’autant. Donc s’il y a une surproduction de 10%, le prix garanti baisse de 10%. Mais le gros céréalier n’est pas fou : pourquoi il baisserait sa production si ses collègues ne le suivent pas. Il vendrait moins de céréales, et en plus le prix garanti serait diminué. Ainsi la surproduction continua et le prix baissa. Devant cet échec, la Communauté européenne décida en 1988 de faire diminuer les surfaces cultivées. Les agriculteurs volontaires gèlent pendant cinq ans une partie de leur surface céréalière, en contrepartie, ils sont indemnisés du manque à gagner. Cette mesure freina l’augmentation de la production, mais ne la diminua pas, car peu de céréaliers mirent en jachère une partie de leur terre, et ceux qui le firent en profitèrent pour mettre leur mauvaise terre en jachère, et augmenter le rendement des bonnes terres.
À la fin des années quatre-vingt, le bilan de la PAC est donc très négatif. Certes, elle a réussi à assurer la " sécurité d’approvisionnement " (qui n’implique pas, bien au contraire, la sécurité alimentaire), mais à quel prix. Entre 1975 et 1991, les subventions versées aux agriculteurs européens ont été multipliées par sept, alors que pendant la même période, leur nombre était diminué de moitié. De plus, 80% de ces subventions sont versées à 20% des agriculteurs les plus riches. Les aides publiques sont destinées à garantir des prix élevés, donc à soutenir la production qui ne tarde pas à devenir surproduction. Les agriculteurs sont donc incités à intensifier leur production car plus ils produisent, plus ils touchent d’aides publiques. Ces excédents issus de cette intensification sont stockés puis bradés sur le marché mondial à des prix inférieurs à ceux des cours mondiaux. Dans les pays d’Afrique et d’Amérique du Sud, les denrées venues d’Europe ont donc des prix inférieurs à la production locale, mettant encore un peu plus les paysans de ces pays dans la misère. Les conséquences du productivisme sur l’environnement ne sont plus à démontrer, l’eau bretonne en témoigne.
En 1991, un projet de réforme est proposé. Le point central de ce projet est la baisse progressive des aides aux prix, qui seraient remplacées par des aides directes pour chaque exploitation selon la surface de céréales produites. Cette aide doit être différenciée selon la taille de l’exploitation. Les agriculteurs ayant plus de 50 hectares cultivés en céréales et oléoprotéagineux (les COP) devront geler 15% de ces surfaces sans bénéficier de primes pour toucher cette aide. Ceux ayant entre 20 et 50 hectares doivent geler 15% avec primes, et les petits de moins de 20 hectares n’ont pas de surface à geler. L’objectif de ce projet était de ne plus subventionner l’intensification, d’être moins inégalitaire, mais aussi de faire baisser le prix des céréales afin de reprendre leur place dans l’alimentation des animaux. Mais cette réforme allait aussi faire baisser le revenu des gros céréaliers, qui ont su se faire entendre au final à Bruxelles. La réforme adoptée en 1992 revient en effet sur certains points de la proposition, comme les 15% de jachère sans prime qui deviennent avec prime. Les grosses exploitations ont maintenant un nouvel objectif : s’agrandir pour faire la chasse à la prime. Cette prime à l’hectare est calculée en fonction du rendement moyen des trois années précédent la réforme, chaque pays de l’Union étant libre de la répartition. En France, la prime est calculée département par département en fonction du rendement. Il y a donc une inégalité entre les territoires, et bien sûr, plus le rendement est élevé plus la prime l’est également. De plus, beaucoup de départements ont décidé de favoriser les terres irriguées d’une prime supplémentaire. De leur côté, les petits producteurs ont continué de disparaître.
2003, nouvelle réforme qui doit être appliquée à partir de 2006. Présentée comme une rupture devant mettre l’agriculture européenne sur le chemin du développement durable, cette réforme termine le changement d’orientation amorcé en 1992, et a pour objectif de libérer les marchés. Elle est en cohérence avec l’engagement pris dans le cadre de l’OMC d’ouvrir le marché intérieur européen. Les modalités d’attribution des aides reposent sur le principe des aides découplées : il n’y a plus besoin de produire pour toucher les primes. D’ailleurs, l’activité agricole est redéfinie comme " la production, l’élevage ou la culture de produits agricoles ou le maintien des terres dans de bonnes conditions agricoles et environnementales ". Donc des propriétaires fonciers non exploitants, entretenant leurs terres, pourront prétendre aux aides. Le niveau des aides attribuées en 2006 sera fonction de la référence d’aides de l’exploitation entre 2000 et 2002. Donc les paysans qui n’ont pas touché d’aides sur cette période, comme les producteurs de fruits et légumes, ne pourront en bénéficier. A moins d’acheter des droits à prime comme le prévoit une nouvelle mesure qui va encore une fois de plus favoriser les agriculteurs les plus riches. C’est la création d’un système marchand des droits à la prime. Les aides feront l’objet de cessions marchandes en cas de transfert de droits, et les gros exploitants pourront en surenchérissant s’accaparer les droits.

La PAC, en favorisant dans un premier temps le développement d’une agriculture productiviste, puis en aidant principalement les grosses exploitations par le système des primes, a radicalement transformé les campagnes européennes. Les dégâts tant environnementaux que sociaux sont énormes. L’alternative à cette agriculture industrielle, l’agriculture paysanne, commence à avoir un certain écho. Et si les paysans doivent lutter pour cette alternative, nous les consommateurs, ou plutôt nous qui avons besoin de nous nourrir avec plaisir si possible, pouvons agir. En effet, les premiers bénéficiaires du système productiviste sont l’industrie agro-alimentaire et la grande distribution. Nous pouvons donc éviter de passer nos samedi après-midi chez celui qui écrase les prix (au détriment de qui) ou chez celui qui soit disant défend notre pouvoir d’achat, et construire des alternatives à cette grande distribution.

Thierry

Source principale : Les champs du possible, André Pochon, La Découverte.


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