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AccueilJournalNuméros parus en 2005N°44 - Novembre 2005Les espaces non-mixtes en question > Non-mixité, mon amour

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Non-mixité, mon amour


Il s’agit ici de réfléchir sur la non-mixité des sexes. Rappelons que l’on pourrait décider d’autres critères de non-mixité comme par exemple fumeurs /non fumeur, végétariens /omnivores... La non-mixité apparaît comme une interdiction pour certains groupes définis de se mélanger à un moment précis dans un lieu donné. D’aucun diront que c’est une pratique arbitraire et ségrégationniste. D’autres y voient le possible milieu d’une utopie à vivre. Avant d’affirmer quoi que se soit, nous proposeront un moment d’analyse sur ce phénomène.


Réfléchir sur la non-mixité nécessite tout d’abord d’opérer une distinction entre non-mixité de fait et non-mixité pensée. Par “ non-mixité de fait ” nous entendons les espaces de non-mixité que l’on trouve dans la société dans laquelle nous vivons. Par “ non-mixité pensée ” nous entendons celle qui procède d’un choix réfléchi et qui est dans la visée d’une transformation sociale (ou du moins des rapports de pouvoir).

De quoi procède la non-mixité de fait ? On dira qu’elle exprime et renforce les schémas de construction genrée présents dans nos cultures et toujours construits par l’éducation. Cette non-mixité de fait ne s’effectue pas par une remise en cause de l’ordre préexistant mais par la négation des ses propres sentiments par l’individu qui cherche à correspondre à la normalité.

Ouvrons les yeux : la non-mixité de fait est partout. Dans les milieux professionnels, dans les loisirs, dans les liens sociaux et dans le foyer familial. Dans le milieu professionnel, et malgré l’opinion plus que courante que : “ ça y est les différences entre hommes et femmes sont massivement abolies ! Youpi !”, le bon sens nous montre partout une séparation hommes /femmes dans les activités. Pour les hommes : métiers du bâtiment, chauffeurs routiers, électriciens, plombiers, informaticiens, manutentionnaires, pompiers, etc. sont autant de professions où les femmes sont plus que rares et dont la représentation habituelle passe pour être “ un métier d’homme ”. Pour les femmes : infirmières, aides soignantes, secrétaires, auxiliaire puéricultrices, couturières, femmes de ménage, assistantes sociales, etc. sont autant d’activités professionnelles où la présence d’un homme se remarque... Cette dichotomie s’observe dès les spécialisations proposées par le système scolaire. Dans les loisirs, on retrouve facilement des lieux ou l’on est “ entre hommes ” ou “ entre femmes ” (clubs tunning de pêche ou de chasse, supporters de foot, cours de broderie, de danse, de décoration intérieure...). Comme si la non mixité au travail ne suffisait pas !

Et on continue avec les soirée entre copines ou copains où l’on parle en général des problèmes de couple ou d’absence de couple, de cul, d’aspect extérieur, de relation entre ami-es et où la confidentialité et l’affectif ne débouchent jamais sur une critique ou même une prise de conscience de l’origine des problèmes. Au contraire c’est souvent le lieu, là encore, d’expression et de renforcement des stéréotypes. Quant au foyer familial il garde toujours ses lieux de non mixité traditionnelle tels que la cuisine ou le garage. Cet état des lieux n’est pas exhaustif, on pourrait encore parler de bien d’autres situations où nous reproduisons la ségrégation entre les sexes sans trop nous poser de question. Pourquoi la société entretient-elle ce type de rapports sociaux ? Parce que la reproduction de comportements déjà éprouvés amène un confort notable à ceux qui ne veulent pas se remettre en cause. A la question : “ qui suis-je ? ” la culture répond par une conception et une image très claire des rôles masculins et féminins et des relations qui en découlent. Ce système de séparation n’est pas exempt de domination. C’est ce que nous appelons le patriarcat.

La non-mixité pensée commence, selon nous, par une reconnaissance de cette domination patriarcale. De plus, la non-mixité pensée ne sort pas de la cuisse de Jupiter, mais est née des mouvements politiques qui fournissent les bases d’une conscientisation de l’individu par rapport au système qui l’entoure et qu’il subit. D’ailleurs, dans les milieux politiques la domination masculine fut ressentie non seulement par la majorité numéraire mais aussi par la facilité à prendre la parole en assemblée, acte décisif et clé du processus décisionnaire. Les hommes s’expriment plus aisément (de par leur éducation, qui les encourage à s’affirmer, à l’opposé de l’éducation des filles), l’offensive et l’opposition frontale ne les paralysent pas. La répétition de choses déjà dites ne les gênes pas, au contraire, elle sert de ré-appropriation du discours. Mais il faut bien sûr dire que la plus grande présence des femmes sur la scène politique fait que les femmes se sont appropriées ce type d’usage de la parole. Il n’est pas proprement masculin (ce qui serait reconnaître au fond une “ nature ” masculine) mais une femme utilisant les mêmes procédés oratoires sera facilement “ masculinisée ” tant l’image même est connotée.

La non-mixité pensée a été un outil de ré-appropriation de la parole pour les femmes. Dans un espace non-mixte, hors de la présence des hommes, l’expression du ressenti et de la pensée politique se sont trouvés facilitées pour bon nombre de femmes. Se dégager du regard masculin est un bon moyen pour s’apercevoir du poids même de ce regard. Pourquoi ne parle t-on pas habituellement ? Pourquoi en non-mixité est on prolixe ? Parler de son vécu, partager des expériences est plus facile entre personnes ayant potentiellement ressenti les mêmes choses. Ainsi on peut penser à s’organiser, à construire une réponse collective face à des situations de dominations communes où la personne seule est souvent désarmée.

La parole étant une des formes éminentes du pouvoir (quel pouvoir se tait ?), la ré-appropriation de la parole est une prise de pouvoir. Elle peut avoir des visées différentes : établir l’égalité dans le pouvoir ou chercher la domination (dans une logique classique du pouvoir d’un ou de quelques uns sur tous les autres). C’est cette potentielle prise du pouvoir qui effraie les hommes, et qui est une des causes du rejet de la non-mixité. On a souvent vu des femmes se réunissant en non-mixité se faire traiter de “ fascistes ”, avant même toute discussion sur le but de ces réunions. Stigmatisation du mot “ féminisme ” comme signifiant la recherche de la domination de la femme, rejet ou agression des groupes féminins pratiquant la non-mixité, depuis le naissance du mouvement de la lutte des femmes, ces comportements persistent).

La non-mixité qui se place dans une perspective égalitaire ne cherche par définition pas à recentrer le pouvoir autour d’elle, mais à construire les bases d’un réel dialogue mixte, non pas illusoire comme il l’est la plupart du temps dans la vie quotidienne. On peut même dire, dans une perspective de déconstruction des genres, qu’il ne s’agit pas seulement de dialogue mixte mais de modification en profondeur des rapports sociaux hétéronormés. Au-delà du genre, l’égalité est possible. On peut même penser qu’elle y réside. D’autant plus qu’au niveau individuel, la déconstruction du genre n’est pas une tâche facile ! Remettre en cause son éducation et ses comportements quasi ataviques signifie souvent devoir changer la personnalité et l’équilibre que la norme sociale nous offre pour notre petit confort. On comprend l’importance de la discussion, parfois en non-mixité ; et surtout en non-mixité pour comprendre certaines expériences personnelles violentes et traumatisantes, difficiles à extérioriser dans d’autres circonstances.

Les femmes ne détiennent pas le monopole de la non-mixité. Même si la domination des hommes sur les femmes est la plus courante et rend ainsi plus évidente la légitimité de la non-mixité féminine (dans une logique d’autonomie des luttes, comme les salariés se réunissent sans le patron ou les sans-papiers sans l’Etat !), les hommes subissent également la construction sociale du genre et donc une forme de domination du patriarcat. Force est de constater qu’il existe beaucoup moins de groupes non-mixtes d’hommes. On pense assez spontanément qu’ils en auraient moins besoin. Or s’il s’agit de déconstruire les genres en vue d’une égalité interindividuelle, pourquoi les hommes en auraient-ils moins besoin que les femmes ? Le problème n’est-il pas plutôt qu’ils n’en ressentent pas le besoin ? Une communauté masculine ne pourrait-elle pas être un bon lieu pour prendre conscience et analyser les schémas de domination que l’on reproduit souvent malgré soi ?

On rétorque souvent que la critique doit venir des femmes opprimées à qui il reviendrait de pointer les comportements dominateurs qui doivent être dépassés. Mais est-ce une solution dans une perspective d’autonomisation des individus ? Par exemple dans le cadre de la lutte des sans papiers, ce sont les soutiens qui se sont rendus compte de la domination qu’ils exerçaient sur les immigrés et qui ont poussé à l’indépendance des collectifs de sans-papiers. Pourquoi les hommes ne seraient-ils pas capables de réaliser puis de chercher à déconstruire les normes de l’identité masculine ? Certes on reconnaît la difficulté de passer d’une image de soi fondée sur la force, la confiance en soi, la stabilité et l’affirmation à une attitude où l’on dit ses faiblesses, ses troubles, ses incapacités. Et quand ce premier pas est franchi, il reste encore l’obstacle de l’auto-flagellation (je suis un homme donc je suis mauvais), tout aussi stérile que son pendant féminin qu’est la victimisation. Toutes les femmes ne sont pas des victimes, tous les hommes ne sont pas des bourreaux ! Nous pensons donc que la non-mixité doit être un outil d’émancipation des individus. Un outil collectif qui peut amener des pratiques et des discussions riches. A celles et ceux qui enferment la non-mixité dans la boîte des “ pratiques autoritaires ” par leurs actes ou par leur paroles, sans chercher le dialogue, nous répondons qu’il est possible de défendre et de produire une pratique anti-sexiste de la non-mixité. Une non-mixité ouverte, dont les conclusions doivent ensuite être l’objet d’une discussion commune, mixte, afin de dépasser la partition sexiste entre hommes et femmes que la non-mixité perpétue dans un premier temps - par sa logique même de différenciation des lieux de parole sur la base du sexe. A celles et ceux qui pensent que toute forme de non-mixité est inutile (féminine et masculine), nous leur demandons d’ouvrir les yeux afin de constater que malheureusement l’égalités des individus est loin d’être acquise et qu’elle passe notamment par la remise en question du genre. Une société anti-sexiste ne peut être issue que d’une collaboration interindividuelle entre hommes et femmes, au-delà des catégories “ homme ” et “ femme ”. Si la guerre des classes peut être utile, la guerre des sexes ne nous mènera nulle part.

Yapuka et Koriza


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