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AccueilJournalNuméros parus en 2005N°45 - Décembre 2005ÉMEUTES EN BANLIEUES Qui sème la misère, récolte la colère ! > De la banlieue à l’éthnie : la religion comme régulation sociale ?

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De la banlieue à l’éthnie : la religion comme régulation sociale ?


Une flambée des banlieues, quelle meilleure occasion de sortir du bois pour les tenants du racisme ? Fait nouveau, les récentes violences ont vu se déployer dans toute sa force la rhétorique de l’ethnicisation du monde, c’est-à-dire de la perception croissante de la réalité en termes d’ethnies et de communautés - qui plus est supposées engagées dans une concurrence guerrière pour le contrôle des populations. Des théories du complot typiques de l’extrême droite à l’appel aux religieux par le gouvernement et les médias, la logique ethnique monopolise la parole publique officielle, la religion vient à la rescousse de l’Etat... et les populations sont sacrifiées à l’ordre.


Les récents événements survenus dans cette frange à la fois spatiale et sociale habituellement rassemblée sous le nom de « banlieues », a surpris tous les observateurs, tous les militants, du gouvernement au mouvement social. Et chacun de tirer la couverture à soi, de fournir l’interprétation qui convient le mieux à ses opinions, quitte à simplifier abusivement la réalité. La gamme est large, depuis la révolte prolétaire de l’extrême gauche aux théories du complot de la droite, en passant par l’auto-revalorisation de son action passée par la gauche plurielle - ah, la police de proximité, du sécuritaire à visage humain ça m’sieur-dame !
S’il est un élément d’analyse particulièrement propice aux manipulations, c’est bien la thématique ethnique, ou plutôt ethnico-religieuse. Elle constitue le cœur d’une bonne partie des complots que les tenants de la droit dure ou extrême, mais aussi des républicains classiquement classés à gauche, se permettent d’inventer pour expliquer la situation. Ainsi Finkielkraut, affirmant sans ambages au journal israélien Haaretz qu’il s’agit tout simplement d’une « »guerre ethnico-religieuse », et qui refuse « l’alibi social » - c’est-à-dire tout analyse qui mettrait l’accent sur des déterminations sociales, qu’il s’agisse de la misère, des inégalités, de la ségrégation ou de l’influence pernicieuse des médias. D’ailleurs, comme le déclarait récemment Balakany, « il n’y a pas de misère en France »...
Sarkozy ne s’est d’ailleurs pas gêné pour jeter de l’huile sur le feu qu’il avait allumé par ses déclarations méprisantes envers toute la population de ces quartiers. Il s’agit de bien faire comprendre que le problème n’est pas le fait de la société française, mais de l’étranger infiltré tel une cinquième colonne - l’ennemi intérieur, irréconciliable parce qu’Autre... Au menu, l’annonce de l’expulsion de tous les étrangers arrêtés durant les événements - message : et ça sera efficace, vu qu’ils sont étrangers... alors que la plupart ont la nationalité française ! Puis la réactivation d’une loi de 1955, appliquée en Algérie puis en Nouvelle-Calédonie - message : les banlieues sont des territoires en train d’être perdus par la République, du fait de la guerre que des minorités hostiles y ont déclenché.
Bref, un accent mis sur la différence non pas sociale, mais plus fondamentalement ethnique et/ou culturelle des populations habitant les banlieues - différence qui interdirait toute coopération, tout dialogue avec elles. Une différence absolutisée, qui ne laisse place qu’à l’élimination d’une des parties. Dans le même temps, les médias en rajoutent une couche. La primauté est donnée aux appels à la paix sociale émanant d’institutions et mouvements musulmans, « oubliant », ou plutôt niant de fait le du travail entrepris depuis de nombreuses années par les éducateurs, assistants sociaux et autres médiateurs sur ce terrain. Le but était peut-être « généreux », visant à démontrer une fois encore que les musulmans ne sont pas nécessairement hostiles. Mais le résultat, beaucoup plus pervers, fut tout autant de renforcer un sous-entendu ethniciste : puisque ces populations sont différentes, elles doivent être régulées de façon particulière, par les représentants de leur communauté d’origine. Seuls des musulmans peuvent parler efficacement aux musulmans - ce qui, par la bande, légitime l’entreprise sarkozyste de contrôle social communautaire, relayant celui de l’Etat auprès de populations « particulières ». Un mécanisme qui fait écho aux mécanisme de gestion coloniale des populations - débarrassée de l’alibi de la “ mission civilisatrice ”, se rapprochant par là des dispositifs coloniaux anglo-saxons, où peu importe la culture du moment que l’ordre et le commerce règnent pour le plus grand profit des classes supérieures de la société, indigènes ou coloniaux.
La désinformation politique et médiatique règne en maître. Et fait passer des messages certes inquiétants, mais bien trop en phase avec la politique menée pour ne pas en être suspects. A les en croire, par exemple, l’incident survenu à la mosquée de Clichy-sous-Bois serait aussi, sinon plus grave que la mort des deux personnes, et ressenti comme tel par la population du quartier. Si cela est vrai, c’est en effet très grave : quand la religion devient plus importante que la vie humaine, la guerre “ sainte ” est proche. Si la mosquée est devenue le cœur du territoire, l’imam et les textes saints en sont la référence - et alors, comme pour tout religion, adieu liberté de l’individu et esprit critique, priés de se plier aux normes de la communauté élue par Dieu...
Mais le conditionnel s’impose : “ si ” c’est le cas... Car, bizarrement, médias et politiques ont passé sous silence bien des aspects contraires à leur vision ethnique de la réalité sociale. Ils “ oublient ” d’aller vérifier sur le terrain l’impact des messages émanant des institutions religieuses qu’ils ne se privent pas de relayer. Or, de toute évidence, les appels au calme des religieux n’ont pas fait mouche - mais chut, la religion c’est important, mais si, parole ! Qui, par exemple, a entendu parler des incidents survenus dans la périphérie de Nîmes, dans le quartier Valdegour ? Exemplaires, ou plutôt contre-exemplaires, pourtant, d’autant qu’ils pourraient bien ne pas être si isolés que ça...
Les religieux y sont assez mal vus du fait de leur côté ultra-moraliste, et surtout se sont complètement discrédités lors de l’affaire Mourad - jeune tué par la gendarmerie il y a quelques années. A la suite de sa mort, ils essayèrent de clamer la colère spontanée, se posèrent de manière autocratique comme les seuls intermédiaires avec la préfecture, et appelèrent à se réfugier dans la prière ! Affaire toujours en cours, grâce à l’acharnement d’un comité de soutien autonome, mais qui laisse des traces : le dimanche 6 novembre, un imam appelant au calme se fait bombarder d’œufs par les jeunes du quartier, qui refusent d’engager le dialogue avec les représentants religieux. Plus encore, le 13 novembre vers 18h30 un début d’incendie se déclare dans la mosquée du quartier. Attentat raciste ? Peut-être pas... Difficile à dire, d’autant qu’une plainte a été déposée et que le silence règne. Mais, l’hypothèse raciste semble écartée par la population, qui lui préfère celle du règlement de compte - soit entre courants religieux, soit, et c’est une rumeur persistante, acte de “ représailles ” des jeunes contre ceux qui veulent représenter la population du quartier sans lui demander son avis...
Aucune certitude donc, simplement des hypothèses plus probables que d’autres. Mais aucun écho dans les médias ou le monde politique. Peut-être parce que cela contredirait les thèses ethnicistes dont la parole publique officielle est imprégnée ? On nous abreuve tous les jours du problème ethnique, ou du problème religieux, l’islam empêcherait l’intégration, l’immigration extra-européenne créerait un ennemi intérieur... Dans ce paysage apocalyptique, des jeunes, souvent “ issus de l’immigration ”, qui chassent un imam, qui s’en prennent d’eux-mêmes aux représentants de ce qu’on essaye de leur imposer comme “ leur ” religion, c’est plutôt rassurant... Non ? Ah, c’est vrai, j’oubliais : pour nos dirigeants, le problème n’est pas la religion, ni même l’islam, le problème c’est l’ordre public - et à ce compte-là la question de la liberté individuelle ne fait pas le poids... Allah Akbar, et Sarkozy est son prophète... si ça maintient l’ordre social !

Alf


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