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AccueilJournalNuméros parus en 2006N°46 - janvier-février 2006Privatiser le vivant > OGM, le vivant privatisé

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OGM, le vivant privatisé


Qu’est-ce qu’un OGM ? D’après le tribunal d’Orléans, c’est un danger immédiat pour l’environnement et la santé. C’est vrai, mais ce n’est pas uniquement cela, c’est aussi une machine à fabriquer des brevets et à privatiser le vivant.


La volonté de privatiser le vivant n’est pas née avec les OGM, elle remonte au 19e siècle, lorsque les premiers semenciers ont décidé de se battre contre cette « injustice » : la faculté des êtres vivants à se reproduire gratuitement. Et oui, un semencier ne peut pas vendre des semences si les paysans peuvent utiliser le grain récolté pour l’année suivante. Les semenciers ont donc commencé à sélectionner les plants, pour ne garder que les plus résistants ou ceux offrant le meilleur rendement. Les pionniers de la sélection isolaient des plantes présentant des caractères intéressants, les cultivaient individuellement pour les reproduire et les multiplier (les cloner). Puis au début du XXe siècle, ils créent des hybrides, des croisements entre plusieurs plantes présentant des caractères intéressants. Ces plantes présentent l’avantage d’offrir un meilleur rendement mais dégénérent rapidement : leur rendement chute considérablement si on les ressème.

Ainsi, les semenciers ont commencé à appliquer au monde du vivant les principes de la révolution industrielle caractérisée par l’homogénéité, l’uniformité et la stabilité des productions de masse. En effet, ce qui est issu d’une sélection et appelé « variété » devrait plutôt s’appeler clone, car toutes les plantes sont les mêmes. Après sélection, elles deviennent homogènes et même stables. Cette uniformité est fondamentale car elle a permis de créer des droits de propriété sur du vivant, ce qui était jusque-là impossible.

Le premier système de propriété sur les semences est apparu en France dans les années 1920. Il repose sur trois principes : Distinction, Homogénéité et Stabilité (DHS), qui permettent d’établir une « carte d’identité » de la variété obtenue. Il a été repris en 1961 dans le traité de l’Union pour la protection des obtentions végétales (Upov), signé par les six pays du marché commun, et est étendu maintenant à une soixantaine de pays. Les semences deviennent alors des produits industriels qui, après investissement, réclament des retours sur investissement, ce qui est incompatible avec la gratuité de la reproduction du vivant. Il faut empêcher les paysans de semer des graines venant d’une récolte précédente et les contraindre à payer pour semer. Il y a deux possibilités pour cela. La première serait le recours à un procédé législatif, mais ce n’est alors politiquement pas concevable (Les certificats d’obtention végétale définis par l’Upov assurent bien à l’obtenteur le monopole de la commercialisation pour une période de quinze à dix-huit ans, mais laissent encore aux paysans la possibilité d’ensemencer leur champ plusieurs années de suite).

La seconde possibilité est le recours à un procédé biologique. Cette seconde option est déjà celle qu’offrent les hybrides dont les graines sont improductives et contraignent les paysans à acheter des semences chaque année, ce que les semenciers justifiaient par les hauts rendements de ces hybrides (sans préciser que ces hauts rendements sont subordonnés à l’utilisation de fortes doses d’engrais et de pesticides). Cercle vicieux de l’agriculture industrielle mais cercle très bénéfique pour l’agro-business.

Et les OGM...

Les systèmes de sélection et d’hybridation étaient déjà des formes d’appropriation du vivant, très intéressantes sur le plan commercial, mais ils ne permettaient pas une appropriation complète en n’offrant pas la possibilité du brevetage. L’arrivée des OGM change la donne. À la fin du 19e siècle, les juristes ont rejeté la demande des sélectionneurs de breveter leurs obtentions végétales, car un brevet suppose une invention et la description des étapes de cette invention de sorte qu’elle puisse être reproduite. Or pour reproduire une plante, il suffisait de la semer. Mais des découvertes scientifiques (la double hélice d’ADN, le décryptage du génome) et les manipulations génétiques changent radicalement les choses. En effet, une plante dont le patrimoine génétique a été modifié est désormais assimilable à une invention. Il est alors possible de la breveter. La Cour Suprême des États-Unis a ouvert le chemin en autorisant le brevet d’un micro-organisme. Trois ans plus tard, une plante entière a été brevetée, et en 1988, c’est un animal entier. En 1998, le Parlement européen a voté la directive 98/44 permettant « la brevetabilité des inventions biotechnologiques », directive transposée par l’Assemblée nationale le 28 novembre 2004.

Au niveau mondial, dans la cadre du Gatt puis de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), les Accords sur les Droits de Propriété Intellectuelle liés au Commerce (ADPIC), signés en 1994, visent à harmoniser les législations nationales sur les brevets, marques déposées, copyrights, droits d’auteur, et surtout à étendre le brevet au vivant et aux logiciels. Ces accords font que ce n’est pas uniquement l’organisme modifié ou le procédé qui a permis de l’obtenir qui est protégé, mais également l’information génétique qu’il contient, et toutes les applications qui peuvent en découler.

Les libéraux justifient le brevet comme étant un stimulant de l’innovation (quelles innovations, et qui décide du bien fondé de ces innovations ?). Quand on regarde aujourd’hui le nombre de firmes possédant les brevets sur le vivant, et leur poids, on se rend vite compte que c’est avant tout un formidable phénomène de concentration qui est stimulé. Ainsi, partout dans le monde, les compagnies semencières passent sous le contrôle d’un très petit nombre de firmes. Ces firmes peuvent désormais, en organisant la rareté des semences naturelles, et dans une logique industrielle, imposer des semences transgéniques accompagnées des insecticides, engrais et désherbants associés, produits et commercialisés, bien entendu, par ces mêmes firmes. L’exemple le plus connu est le maïs transgénique « Roundup Ready » développé par Monsanto, et qui comme son nom l’indique, résiste au désherbant « Roundup » de la même firme Monsanto. Le paysan qui achète des semences de maïs « Roundup Ready », parce qu’il croit qu’il va utiliser moins d’intrants, mais aussi parce qu’il n’a plus trop le choix du semencier, sera donc obligé d’acheter le fameux désherbant, et ne pourra pas utiliser une partie de sa récolte pour l’année suivante, sinon ce sera un pirate. Monsanto paye des boîtes privées pour traquer ces vilains « pirates », qui peuvent n’être que des paysans dont le champ a été contaminé par des cultures voisines. Ainsi au Canada, un agriculteur s’est vu condamné à verser des dommages et intérêts à Monsanto, parce que l’on a retrouvé dans son champ des plants génétiquement modifiés !

Les OGM sont la continuation, et même l’achèvement du processus d’industrialisation et de privatisation du vivant qui a débuté il y a un siècle et demi. Ce qui est nouveau, c’est qu’ils sont brevetés mais aussi qu’ils sont transgéniques : ils peuvent contaminer les autres plantes d’une façon irréversible.

Bien sûr, aucune firme ne peut afficher son objectif d’accaparer le vivant. Elles déclarent vouloir combattre la faim dans le monde ou limiter l’utilisation d’insecticides et autres désherbants. La découverte de « Terminator », une plante génétiquement programmée pour être stérile (empêchant donc de fait au paysan de ressemer) a clairement montré d’autres fins et a provoqué l’indignation générale, ce qui l’a mise pour un temps au placard. Mais les multinationales de l’agro-business n’ont plus besoin de cette technologie pour empêcher les paysans de semer le grain récolté : il y a un moyen moins onéreux en recherche et développement, et qui leur est offert par nos gouvernants, le brevet.

S. & T.

À lire : La guerre au vivant, sous la direction de Jean-Pierre Berlan, Agone


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