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AccueilJournalNuméros parus en 2006N°46 - janvier-février 2006 > Pour un Forum social des banlieues

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Pour un Forum social des banlieues


C’est au début des années 80, avec l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand, qu’un mouvement pour l’égalité vit le jour. Il impliquait des jeunes d’origines étrangères et le tissu associatif des banlieues, né de la reconnaissance du droit à former des associations. Dès le départ, la politique mesura l’importance de ces formes d’auto-organisation et chercha à en faire un vivier de recrutement. C’est le cas d’associations comme Sos racisme et plus récemment de Ni putes ni soumises. “Des associations plus médiatiques qu’effectivement présentes sur le terrain”, comme l’explique Rachid Nekkaz, du collectif citoyen Banlieues Respects, né dans les jours d’émeutes de l’union de nombreuses associations citoyennes des banlieues et d’ailleurs, pour demander un retour au respect réciproque entre les jeunes et la police.


Si depuis 2002, les coupures budgétaires ont durement touché les associations, elles n’ont pas été faites à l’aveuglette, au contraire. Selon Rachid Nekkaz, “le gouvernement favorise volontairement l’émergence de structures cultuelles, comme le Centre français de culture musulmane”. Un choix que laisse aussi transparaître l’abandon progressif d’un mot comme “beur”, qui connotait les fils et les petits fils des immigrés maghrébins, et auquel on préfère maintenant le terme “musulman”. Un changement sémantique qui a des implications profondes. Nordine Iznasni, un des fondateurs du Mouvement de l’immigration et des banlieues (Mib), souligne que “dès qu’il y a un problème, c’est le gouvernement qui appelle les imams pour qu’ils interviennent dans les quartiers. Ils veulent nous gérer à travers l’Islam. Ils pratiquent le communautarisme, comme ils le faisaient à l’époque des colonies. C’est le système de la “caïdat”, mais les vrais caïds, ce sont eux”.

Le Mib est un mouvement atypique, né en 1995 dans le sillage du travail du “Comité contre la double peine”, et qui est autofinancé “car c’est le seul moyen pour pouvoir dire merde”. “Une association - poursuit Nordine Iznasni - est comme un contre-pouvoir, elle naît parce qu’il y a un vide, un manque. Nous sommes nés pour rompre l’isolement, pour qu’un problème local devienne visible. Et nous le faisons avec les moyens que nous avons et avec ceux que nous n’avons pas.”

Depuis la Marche de l’égalité, partie de Marseille en 1983 dans l’indifférence générale et accueillie à Paris par plus de cent mille personnes, peu de choses ont changé. “Jamel Attala, un des organisateurs de la Marche - explique Nordine Iznasni - me racontait qu’à l’époque, comme aujourd’hui, les émeutes étaient d’abord causées par de continuelles agressions de la part des policiers, qui - dans les quartiers populaires - cultivent de mauvaises habitudes. J’ai participé à ‘Convergence 84’, à l’époque je disais que la France est comme une mobylette, elle a besoin de mélange pour avancer. Actuellement, dans les débats télévisés, on parle de ‘race’. On ne veut pas reconnaître que nous sommes face à une révolte politique. On dit que ce sont les bandes organisées qui sèment la terreur, alors que c’est la misère qui sème la terreur dans la vie des gens.”

Les associations dans les banlieues

Le Mib, actif surtout dans la banlieue parisienne, est toutefois parvenu à sortir d’une dimension simplement locale. Il est également présent à Lyon, Strasbourg, Colmar, Montpellier, Nîmes et Toulouse, et peut compter sur environ 1500 activistes. Ce n’est pas peu, “mais pas tant non plus, si l’on considère que dans la seule banlieue parisienne il y a 11 millions de personnes”. Le Mib s’applique désormais à limiter les dégâts de la révolte pour ceux qui y ont participé et sont exposés à des peines de prison ferme d’une dureté telle que, pour Nordine Iznasni, “il ne s’agit pas de justice, mais de vengeance”. Le MIB prépare aussi “une marche itinérante à travers les quartiers pour appeller les gens à s’unir. Depuis 1981 nous avons toujours rêvé qu’il se produise quelque chose comme ça. Maintenant il faut tout faire pour que cela devienne politique”. Et si Nordine laisse échapper un “ce serait bien de réussir à s’unir pour résoudre les problèmes des gens...”, en lui le scepticisme semble prévaloir par rapport aux autres pans de mouvement qui agissent dans les banlieues. Pourtant le Mib ne travaille pas seul, il a souvent à faire au “mouvement No vox”, au Dal, à Droits devant ou à la Confédération paysanne. Mais la peur d’être neutralisés est forte. D’autant que “l’histoire idéalisée de la renaissance d’un désir citoyen est une lecture qui - selon le philosophe franco-argentin Miguel Benasayag, un des promoteurs des ‘No vox’ - ignore, comme d’habitude, la réalité des banlieues”.

Le rap des marseillais

Pourtant le novembre français a donné une remarquable impulsion aux associations de banlieues. Kénny Arkana, une jeune rappeuse de Marseille, exhorte dans une de ses chansons le rap à recouvrer sa fonction originaire de voix des sans voix : “Réveille toi ! Reviens avec nous tu n’étais pas / un mouton quand tu as commencé, mais un résistant qui représentait/ la souffrance des incompris, le mal de ce monde/ les erreurs d’un système pourri, oh oui ton rôle était noble/ la voix du peuple, la rage des minorités”. Ce n’est pas un hasard si Kénny appartient à “La rage du peuple”, un collectif d’une vingtaine d’artistes de la troisième génération du hip hop marseillais, qui mêle mouvement hip hop - donc la culture urbaine - et altermondialisme.

L’un d’entre eux, Fakir, explique que “face aux derniers évènements il y a eu pas mal de confusion, parfois créative. Avec le collectif nous avons essayé de nous projeter plus en avant, et c’est comme ça que nous avons eu l’idée d’utiliser les forums sociaux pour en faire quelque chose d’utile à la banlieue. L’altermondialisme en France est souvent resté l’apanage des classes moyennes, nous avons au contraire toujours tenté d’intégrer le mouvement des banlieues, des cultures urbaines dont nous sommes issus au mouvement social”.

Attac a attendu plus de dix jours avant de réagir - à l’exception du comité local Attac Béthune - et dans le communiqué l’association “appelle ses adhérents, les comités locaux, à continuer le travail commencé pour ouvrir les files de l’association aux catégories populaires”. Ce n’est pas le seul exposant du mouvement altermondialiste français à avoir montré un certain embarras, avant d’opposer un front compact à la politique “indigéniste” du gouvernement.

Peu après le début des émeutes, “La rage du peuple” a lancé un appel pour un forum social des banlieues, d’un lieu où justement il n’y a pas eu d’émeutes. Peut-être parce qu’”une des causes de la révolte est la question de l’identité et qu’ici le sentiment d’être marseillais est très fort, et vient avant l’être français”, hasarde Fakir. Et, face à la multiplication des signes positifs en réaction à leur proposition, ceux de Marseille ce sont déjà constitués en comité local du forum social des banlieues et pourraient bientôt être rejoints par les collectifs de Bobigny (Seine-Saint-Denis) et de Lyon. Il est encore trop tôt pour savoir s’il y aura plusieurs forums locaux ou un seul national, mais peu importe. Ce qui est sûr c’est que le forum “doit partir des banlieues”.

Le collectif ne manque pas d’idées, raconte Fakir, au contraire. Il concentre son action à Noailles, “un lieu symbolique parce qu’y est en cours une réhabilitation qui met en conflit la ville touristique et la Marseille populaire. Ils veulent déplacer la cité, du coeur de la ville à l’extérieur”. Réussir à donner au mouvement des banlieues une dimension nationale serait un moyen pour rompre le mur du silence, faire en sorte que la France des banlieues fasse finalement irruption sur la scène. Parce que “si elle existe, elle n’est absolument pas représentée sur le plan politique, médiatique et souvent aussi associatif. Peut-être que cette fois, étant donné la durée et l’extension de la révolte, le problème a été posé de telle sorte qu’il y aura des réponses politiques. Le ‘Grenelle des banlieues’ proposé par Patrick Braouzec, le président communiste de la Plaine commune, en est une”.

L’irruption des banlieues sur la scène politique ne manquerait pas de peser, à 18 mois des élections présidentielles. D’autant, comme le répète Nordine Aznasni, qu’”il ne s’agit pas d’un problème d’intégration mais d’accès à l’égalité. Nous sommes traités comme si nous étions des immigrés permanents, et c’est un problème ancien, que seul un rapport de force différent pourrait changer, si l’on souhaite que le ministre qui insulte les gens et veut se présenter en 2007 ne soit pas élu.”

Sarah Di Nella

http://mib.ouvaton.org
http://www.banlieues-respects.org
larage_dupeuple@yahoo.fr


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