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AccueilJournalNuméros parus en 2006N°47 - Mars 2006La perception de la lutte des classes aujourd’hui > Quelles perceptions de la lutte des classes ?

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Quelles perceptions de la lutte des classes ?


Nous avons choisi de faire des interviews croisés sur la perception de la lutte des classes. Nicole, Kroquette, Yann, Sophie, Sébastien, Marielle et Mathieu ont répondu à nos questions. Et l’on se rend compte que la question de la conscience de classe est aujourd’hui totalement différente de ce qu’elles pouvaient être au moment de l’apogée du fordisme et de l’ouvrier-masse.


1- Est-ce que tu pourrais te présenter (âge, nom ou pseudo), ton parcours professionnel, la boîte dans laquelle tu bosses ? CDI, CDD... ? En quoi consiste ton boulot ?

Nicole : Nicole 54 ans. J’ai commencé à travailler à l’âge de 14 ans en tant qu’employée de maison. A 18 ans après un court apprentissage, je suis devenue employée de commerce ou vendeuse pour employer le mot courant. Depuis ce jour j’ai alterné des contrats dans des petites boutiques ou dans des grands ensembles (Galeries Lafayette...). J’ai eu trois CDI, un an de chômage, un an d’arrêt maternité ainsi que quatre licenciements (trois économiques et un pour faute grave). Aujourd’hui, je suis vendeuse et responsable de deux marques de lingerie aux Galeries Lafayette.

Kroquette : 21 ans, Kroquette, stagiaire (exploitée) en fin de formation BEATEP, le diplôme de l’animation qui permet de pratiquer en tant que professionnel, une formation qui dure un an en théorie, mais qui s’étale avec toutes les validations d’acquis.

Sophie : Je m’appelle Sophie, j’ai environ 28 ans et je bosse actuellement comme surveillante d’externat, bientôt en fin de délégation, dans un lycée général (David d’Angers) à Angers. Etudiante en histoire, titulaire d’une maîtrise, je tente pour la troisième fois le CAPES d’histoire-géo. Mon boulot consiste pour l’essentiel à faire acte de présence et quelques petites tâches administratives.

Sébastien : Je m’appelle Sébastien, j’ai 30 ans. Après avoir planté mon parcours universitaire, j’ai fait quelques jobs en intérim, puis j’ai signé un CDI dans la boite où je suis actuellement. C’est une fabrique de meubles (non mixte : ça va faciliter la rédaction, il n’y a que des ouvriers, pas d’ouvrières), et j’y suis magasinier, c’est à dire que je charge et décharge des camions, je m’occupe du stock et de l’approvisionnement des chaînes de production. Yann : Coucou. Yann, 32 ans. Je travaille depuis un peu plus de treize ans ; j’ai d’abord fait pas mal d’interim/tafs saisonniers avant d’avoir une première expérience un peu plus longue de chauffeur livreur pour un prestataire de service (livraisons et récupérations de matériel de réception). C’était un travail assez éprouvant, jusqu’à 14 jours d’affilées sans repos, des horaires connus la veille au soir pour le lendemain sans limite d’heures (jusqu’à 52 heures en 3 jours !) avec des anciennes de l’URSAFF qui grugeaient une bonne partie des heures, notamment des heures supplémentaires. J’ai par la suite bossé 5 ans pour une entreprise d’archivage industriel (CDI) où j’ai également fait de la livraison et de l’enlèvement d’archives, du balayage intempestif d’entrepôt, un peu d’inventaire pour finir par être en fixe sur un site d’entrepôts où je faisais essentiellement de la manutention dans des conditions assez particulières (travail dans des structures métalliques dans le noir, équipé comme un mineur, etc.). Au bout d’un moment j’ai eu la possibilité de travailler sur la révision intégrale de la logistique d’intégration et d’entrées/sorties des archives ce qui m’a amené à être une sorte de chef de projet (informatisation, redéfinition des règles de classement, apparition du code barre en lieu et place de vieux classeurs poussiéreux etc.). Par un concours de circonstance, j’ai été amené vers 2000 à rencontrer quelqu’un bossant dans une société de services en informatique qui m’a « aidé » à me faire embaucher par cette SSII sous forme d’un CDI. J’ai appris plus tard qu’il avait touché de l’argent pour cette cooptation. Le principe de ces sociétés peut se rapprocher d’une boîte d’interim dans la mesure où chaque employé (du moins ceux qui « produisent ») est affecté sur des missions temporaires pour des clients divers. N’ayant que peu/pas d’expérience en informatique, je me suis retrouvé à un poste d’opérateur (en production informatique). Entre temps on m’a également confié la charge de « assistant manager » qui consiste à faire l’interface entre le management « d’en haut » et les « collaborateurs » (ceux du bas quoi...). Puis un jour, par un hasard presque complet, je me suis fait catapulter « chef de mission infogérance » d’abord dans le service informatique d’un gros groupe français puis aujourd’hui, depuis 3 ans, dans celui d’un groupe européen dont les racines sont aux USA. Mon job consiste à gérer le contrat relatif au projet, par conséquent la relation client fournisseur, à manager une équipe d’une petite dizaine de personne et à mesurer les quantités et qualités des tâches effectuées dans un souci (évidemment permanent hé hé) d’amélioration dans le cadre de processus assez contraignants.

Marielle : Marielle, 26 ans :Bac + 5 multimédia avec plein de stages pratiquement non payés mais formateurs. Parcours pro : 6 mois chez Dargaud comme graphiste/maquettiste. 1 an en tant que chargée de com’/graphiste dans 1 boite de logiciels en CDI. 1 an graphiste vidéo chez dvdpartners en CDI, bientôt au chômage pour cause de licenciement économique déguisé en licenciement pour incompatibilité d’humeur.

Matthieu : Matthieu, 27 ans. J’ai fait un Bac Pro Electrotechnique et puis une formation dans le « froid ». Je suis en CDI depuis un an maintenant dans une boîte de froid et climatisation : dépannages, installations pour les grandes surfaces, l’industrie agroalimentaire. Mon boulot va de la conservation des corps dans une morgue à celle des pommes dans un frigo industriel... C’est un boulot varié.

2- Comment considères-tu ton travail ? En retire-tu une certaine forme de fierté ? Est-ce que c’est juste pour gagner ta vie ? Ton boulot a-t-il à tes yeux une utilité pour le reste de la société ?

Nicole : Je travaille avant tout pour gagner ma vie. Je suis fier de ce que je fais et j’aime mon travail mais c’est avant tout pour gagner ma vie. Je pense que mon travail a une certaine utilité car ce que je vends apporte du bien-être aux femmes, une forme d’évasion, de confort psychologique pour certaine.

Kroquette : Un boulot qui se voudrait passionnant et enrichissant en soi, le contact avec les gamins n’étant pas quelque chose de désagréable à mon goût, seulement, si c’était un peu mieux considéré et si les animateurs en général étaient un peu moins pris pour des cons (y a qu’à jeter un vague coup d’oeil à leur fiche de paye et on voit tout de suite qu’on les prend pour des guignols qui occupent les gamins à longueur de temps, merci l’annexe 2 !!) Oui, si je bosse ou si je cherche du travail, c’est uniquement pour gagner ma vie maintenant. Parce que je considère que c’est quelque chose de tellement contraignant que je vois plus comment c’est possible de faire ça pour autre chose que de la thune ! Donc, tant qu’à faire, bosser le moins possible et dans un boulot le moins chiant possible ! Hormis cela, il est clair que je considère ce métier (animateur socioculturel)comme important ! On est sur un travail continu avec de l’humain. C’est pas une mince affaire que d’éduquer des p’tits bouts de choux à des valeurs qui nous semblent indispensables (du genre, le respect, la tolérance, la démocratie la solidarité et l’esprit critique). Y’a pas que les enseignants qui font un travail d’éducation sur la jeunesse, c’est faux ça ! Nous aussi on joue un rôle ultra important, mais seulement, on est les rigolos au nez rouge du mercredi et des vacances scolaires. Voilà. Et pire quand on est stagiaire...

Sophie : Je considère mon travail, depuis que je travaille en lycée, comme un moyen de subsistance sans grand intérêt ni pour moi moi ni pour les élèves étant donné le rôle que je suis sensée “jouer” dans cet établissement. Quant à l’utilité de mon travail pour la société, je dirai qu’il est quasi nul.

Sébastien : C’est un boulot assez physique, parfois dur et surtout pas bien payé ! Alors oui, j’y vais seulement pour gagner ma vie...bien que j’ai plutôt l’impression de perdre du temps à ça. Quant à l’utilité d’un tel boulot : tant que les gens auront « besoin » de meubles...

Yann : Je n’apprécie que fort peu mon travail même si d’un point de vue humain j’y ai beaucoup appris, en bien comme en mal. Je n’en retire aucune fierté, au contraire, je ne me sens pas bien du tout dans ce rôle de manager qui ne correspond pas à ma vision de la société et des relations entre les gens. Je ressens par ailleurs régulièrement une certaine gêne lorsque des ami(e)s ou autres me demandent de le décrire. Effectivement je ne fais ce travail que dans le but de gagner ma vie et en essayant d’adapter les méthodes habituellement utilisées de manière à les rendre plus conformes avec ma manière de penser et de faire. Pour moi, ce boulot n’a aucune utilité pour le reste de la société (des humain-e-s hein), au contraire puisque c’est une entreprise ultracapitaliste aux méthodes sanguinaires qui n’a d’autre but que de s’enrichir par la vente de « propriété intellectuelle » pour ma propre boîte et celle de produits à effets toxiques pour ce qui concerne « mon » client.

Marielle : Je considère mon travail comme très agréable par rapport à la plupart des gens qui gravitent autour de moi. Je n’en suis pas particulièrement fière, je ne sauve pas des vies au quotidien, mais je fais un travail qui est en rapport avec le cinéma dont je suis passionnée. C’est pour gagner ma vie (mal mais déjà la gagner) et en même temps, j’ai l’impression au quotidien de me cultiver, d’évoluer... Une utilité pour la société... je ne sais pas... je sais juste que les produits culturels tels que les dvds ne sont plus forcément des produits de luxe, et si tout le monde peut regarder chez soi un bon film au lieu de regarder les merdes à la télé, ça me réconforte un tant soit peu...

Matthieu : Je retire une certaine fierté de mon travail même si c’est de moins en moins vrai. Le travail me plaît quand je peux le faire correctement mais il y a une pression de la boîte pour que le travail soit plus rapide, ce qui entraîne le fait qu’on a de moins en moins de temps pour effectuer nos tâches. Et puis, ce boulot va à l’encontre de certaines de mes convictions écologique, par exemple la grande distribution gâche trop de ressources, nous fait bouffer des OGM, consomme énormément d’énergie... Dans le passé j’ai fait un stage à « La Monnaie », l’atelier de frappe des monnaies de Pessac. Les fonctionnaires ont du temps et on peut dire qu’eux peuvent effectuer correctement leur travail : ils sont nombreux, gèrent mieux leur temps... Ce genre de conditions peut te faire aimer ton travail, tu peux retirer de la fierté du travail bien fait...

3- Dans ta boîte, considères-tu qu’il y a une certaine forme de solidarité entre les collègues ?

Nicole : Nous sommes 8 vendeuses sur le plateau lingerie. Il n’y a pas de lien de solidarité hormis avec deux ou trois collègues. D’une manière générale chacun se débrouille et il n’y a jamais de front commun par rapport à la hiérarchie. Pas d’entraide lorsqu’il y a une surcharge de travail, c’est le lieu du chacun pour soi. Il y a une mauvaise ambiance, chacun restant dans son coin. Il y a même des rivalités pour les ventes.

Kroquette : Bof, j’ai pas trouvé beaucoup d’entraide de la part de mes collègues quand je me suis mobilisée pour les stagiaires ! Entre deux réacs, une qui n’était pas au courant, un qui était compréhensif tout de même mais pas du genre concerné (alors que pourtant....) le seul qui se soit bougé, c’était celui qui était dans une situation critique avec des conditions pas faciles aussi. Les autres ne pouvaient pas prétendre avoir un salaire de ministre pourtant, mais ils nous ont limite ri au nez quand on s’est bougés en manifs !

Sophie : Question solidarité entre collègues, ça dépend des collègues mais dans l’ensemble, comme on travaille de telle sorte qu’on ne se voit pas, les occasions d’être solidaires ne sont pas fréquentes. Quant à la solidarité interprofessionnelle au sein de l’établissement, n’en parlons pas. L’attitude générale est plutôt au “chacun pour soi” et les raisons d’être solidaires totalement inexistantes aux yeux de beaucoup.

Sébastien : On ne peut pas parler de solidarité : c’est rare qu’un ouvrier aille en balancer un autre, mais c’est aussi rare de les voir s’épauler les uns les autres. Chacun fait ses petites affaires dans son coin, peu importe si ça peut nuire à son propre collègue.

Yann : Difficile à dire car je me sens un peu isolé de par mes convictions, mes manières de faire et ma vie extérieure à celle du travail. Du reste, je ne trouve pas cette solidarité ou alors elle trouve très très vite ses bornes. A la limite, l’idée dans des boîtes comme les SSII serait plus d’amener la compétition entre les personnes, je les vois donc régulièrement se piétiner pour prendre la place de l’autre. Heureusement du reste tout le monde dans cette satanée boîte ne se comporte pas comme cela mais tout de même c’est loin d’être la tendance générale. En revanche, le rejet de cette boîte qui les maltraite tout de même pas mal les unit un peu, le temps de gérer leurs besoins personnels. C’est d’autant plus surprenant pour moi que dans les boîtes précédentes où j’ai bossé et fais de la manut’, la solidarité entre collègue avait tout de même une autre valeur et était perçue comme une évidence.

Marielle : Mmmmmm... Pour les petits problèmes du quotidien, oui, il y a une forme de solidarité. pas de dénonciation ou de report de faute sur l’autre... Petite équipe et travail solidaire. après, quand il s’agit de chose plus grave, genre mon licenciement, tout le monde est de bon conseil, mais tout le monde essaie de sauver sa peau aussi et s’écrase face à la suprématie de celui qui signe les chèques...

Matthieu : Il y a effectivement une solidarité entre les techniciens. Quand tu rencontres des difficultés sur un dépannage tu peux passer un petit coup de fil à tes collègues, voire ils peuvent se déplacer pour te sortir des ennuis. C’est une sorte de solidarité « instinctive » qui ne se pose pas dans une optique de rentabilité. Après c’est un peu la seule forme de solidarité. La solidarité ne concerne que le travail, pas ta vie extérieure. Si tu as des problèmes familiaux, personnels et bien tu es un peu seul...

4- Que penses-tu du personnel d’encadrement ? Les vois-tu comme des collègues ?

Nicole : Ce ne sont absolument pas des collègues. Il y a deux personnes chargées de notre encadrement dont une qui démotive toute l’équipe car elle a un réel pouvoir sur la personne. Elle utilise la pression pour faire démissionner les démonstratrices. Il est difficile voire impossible de remettre en cause leur pouvoir, tu dois te plier à leurs ordres.

Kroquette : Tant qu’ils ne viennent pas me marcher sur les plates bandes et me dire ce que j’ai à faire, et que je peux organiser les choses avec eux, pas de problème.

Sophie : Dans mon bahut, le personnel d’encadrement est en représentation permanente pour faire bonne figure que se soit face aux parents d’élèves, aux élèves, à la municipalité, au rectorat... Je n’ai donc pas de relation de ‘collègues” avec mes supérieurs même si je serais tentée de les considérer comme tels.

Sébastien : Ah ! les petits chefs. Il y a plusieurs niveaux d’encadrement. Les conducteurs de ligne, qui ne sont pas vraiment des chefs mais qui ont vite fait de le croire. Certains sont des ordures à la botte du patron. Puis viennent les techniciens d’atelier. Ce ne sont pas vraiment des tyrans, mais ils sont souvent trop gentils pour être honnêtes : je ne me suis jamais fait engueuler, alors que, dans leur logique, ils auraient de nombreux prétextes pour le faire. C’est même plutôt inquiétant, en fait. Sans doute pensent-ils que je rattraperai mes fautes si ils ne disent rien, et que je me « responsabiliserai » par moi même...c’est beau la confiance.

Yann : Je les conchie. C’est un peu particulier il faut dire. Comme je l’écrivais plus haut, nous « produisons » en général sur le site même de nos clients. L’encadrement n’est pas là au quotidien si l’on excepte celui dont je suis censé être le tenant pour l’équipe avec laquelle je bosse. Le « vrai » personnel d’encadrement se trouve au siège de notre boîte, dans un bâtiment mégalomaniaque qu’ils ont fait construire récemment. Là-bas, c’est le paradis des cols blancs, un vrai milieu de requin où chacune de tes paroles peut te valoir un soufflet en guise de réponse. Pas de compréhension, uniquement dirigés par le dégagement de profit (la marge, la marge, bordel !!!), socialement parlant c’est un désastre. Qui plus est le monde de l’informatique a énormément changé en quelques années et la notion de précarité, initialement quasi inexistante dans ce métier, s’est intégralement installée. Evidemment, cet encadrement en profite beaucoup. Si tu ajoutes à cela que le salaire de ces personnes est en partie indexé sur les résultats générés par « ceux du terrain », je te laisse imaginer les pressions psychologiques et les trésors d’immondices employés pour qu’ils arrivent à leur fin. J’ai également eu l’occasion de voir de quelle manière ces personnes se débarrassent de collaborateurs encombrants à leur goût, parfois au mépris total de tout code du travail/convention collective/perception de l’être humain. Notamment pour ces raisons, j’ai beaucoup de mal à les désigner par l’appellation « collègues ».

Matthieu : Les gens de l’encadrement ne sont pas des collègues comme les autres même si ce sont souvent d’anciens techniciens. Il persiste une sorte de suspicion à leur encontre parce qu’ils ont changé de statut. Etrangement certains ouvriers aspirent à intégrer le personnel d’encadrement et pourtant cela ne les empêche pas d’être suspicieux envers ce même personnel. Il y a aussi le fait dans certaines boites que des jeunes soit catapultés « chefs » et qu’ils ont alors fort à faire avec les « anciens » de la boîte qui n’acceptent guère de se faire diriger pas un « jeune » qui n’est pas forcément le plus apte à remplir cette fonction...Je reconnais qu’ils sont aussi parfois dans une position délicate car ils subissent la pression de la hiérarchie et doivent transmettre les ordres aux employés.

5- Comment considères-tu ton patron et les patrons en général ?

Nicole : Ils ne voient que le fric, l’argent d’abord. On est là pour travailler et leur apporter de l’argent. On a aussi droit à des pressions lorsqu’on ne fait pas notre chiffre d’affaire, de véritables intimidations. En fait, j’ai trois patrons, deux pour mes deux sociétés de lingerie et le troisième qui est le patron des galeries Lafayette, un vrai caméléon difficile à cerner. Je n’ai pas de soucis majeurs avec mes deux marques vu que je ne vois jamais la hiérarchie... Je pourrais me passer de la hiérarchie pour faire mon travail.

Kroquette : Mon directeur s’est préoccupé de mon stage comme on s’occupe d’un vieux chewing gum écrasé par terre. Apres, c’est un cas bien précis. J’ai eu des directeurs consciencieux, qui s’inquiétaient de notre intégration dans l’équipe et qui étaient là pour filer un coup de main en cas de trouble. Ce qui est frappant, c’est que ces directeurs ne se prenaient justement pas pour des directeurs. Ils faisaient partie intégrante de l’équipe sans se prendre pour le Grand-chef-qui-a-tout-vu-tout-fait et qui basaient leur relation sur le principe de confiance. Et qui bossaient autant que le reste de l’équipe. Malheureusement, il y en a trop peu et mon image du Patron en général reste l’image du gros con qui n’en fout pas une et qui s’en met plein les poches sur le dos de ses salariés, sur qui il a les pleins pouvoirs !

Sophie : Je considère les patrons (personnellement, je n’en ai pas vraiment) comme des gens souvent exécrables, peu soucieux de savoir si leurs entreprises ont vraiment un intérêt pour la société dans laquelle ils vivent et qui ne conçoivent pas leurs relations avec leurs employés autrement que dans un rapport d’autorité souvent infantilisant pour ces derniers.

Sébastien : C’est un contexte assez particulier dans cette boite : il y a quelques années, le patron a failli se faire virer, et les ouvriers se sont mis en grève pour le garder (et par là, quelques dizaines d’emplois qui auraient sauté en même temps). Pour moi, il n’est qu’une image, commerciale pour les clients des environs, et rassurante pour les ouvriers : en milieu rural, tout le monde se connaît et c’est plaisant de savoir qui dirige quoi, ça rassure. Mon vrai patron, c’est le responsable du site. C’est lui qui prend les décisions qui concernent l’usine où je bosse (il y a trois sites séparés d’une dizaine de kms). Je passe sur les nombreuses petites choses avec lesquelles il nous pourrit le temps de travail, ce serait trop long, je crois. Il fait partie des chefs qui veulent tout savoir sur tout et n’en retiennent que ce qui les intéresse. Il est partout, voudrait que rien ne lui échappe, mais il délègue si facilement ses tâches, qu’au bout du compte, il ne sert à rien. Il est détestable.

Yann : Travaillant dans un groupe européen, je ne peux pas dire que je connaisse mon patron, je ne l’ai même jamais rencontré physiquement. Mettons que le responsable de mon agence, du moins aujourd’hui, n’est pas exactement un modèle de sympathie ni de compréhension. La première fois que je l’ai rencontré, il ne s’est pas passé 5 minutes avant qu’il me parle de chiffre d’affaire à réaliser, de marge à dégager, de qui est le client à favoriser etc. J’ai également eu l’impression qu’il ne m’écoutait pas et ne s’intéressait pas à la « vraie » personne en face de lui. En gros, je n’ai aucune confiance en lui mais en même temps il est rarissime que j’aie fait confiance en un patron, pour moi c’est un peu trop l’exemple même de que peut être un « ennemi ». Cela dit, une des originalités de ma boîte c’est que ce patron change quasiment tous les ans : j’en ai eu 5 en 6 ans !!!! J’ai tout de même eu la chance de rencontrer des patrons plus humains et sympathiques, dont un qui clairement ne comprenait pas ce qu’il foutait à ce poste là. Certains d’entre eux (deux pour être précis) mettaient même la vie privée de ses employé-e-s devant leur vie professionnelle dans les ordres de priorité si j’ose dire et je t’avoue que c’est pour moi/dans ma tête un fait rarissime. Les patrons en général ? Je m’en méfie et n’oublie jamais qu’il a besoin de moi pour asseoir son autorité et accentuer le gouffre entre les riches et les moins riches. C’est pour moi un symbole d’autorité, de recul social qui travaille à l’avènement du capitalisme. C’est également une personne pouvant générer du stress, de l’inquiétude ou de la paranoïa chez les autres. Ok je prends des raccourcis et suis manichéen dans ma manière de présenter la chose, la situation est sans aucun doute plus compliquée que ça mais je n’ai pas vraiment de considération pour ces personnes dont je me méfie comme de la peste.

Marielle : Mmmm... Je n’ai pour l’instant travaillé que dans des petites entreprises c’est à dire directement en relation avec le patron... Pour moi, c’est un homme qui n’a qu’un but : l’intérêt de son entreprise et donc de sa propre bourse. Même si il est sympa avec vous, essaie de motiver et récompenser les gens, ce n’est pas du tout dans un but philanthropique. Tout ce qu’il veut, c’est exploiter tes compétence pour en faire des sous, et quoi qui se passe, au moment où tu seras devenu soit inutile, soit un peu encombrant ou si tu contredits ses objectifs tu seras très facilement évincé, peu importe vos relations passées. Zou...

Matthieu : Je bosse dans une vieille boîte (environ 100 ans d’existence) dite « familiale » mais qui a beaucoup grossi. Le patron est assez paternaliste. C’est aussi quelqu’un qui connaît bien le métier. L’entreprise est en train de devenir un groupe d’ampleur nationale. Nous savons qu’il va vendre à un plus gros groupe un jour ou l’autre... On sent déjà un changement de mentalité, l’esprit de la boîte se tourne de plus en plus voir la rentabilité, le profit. Pour ce qui est des patrons en général... Si les employés se prenaient en main je crois qu’on pourrait très bien se passer d’eux...

6 - Que penses-tu de l’actionnariat salarié ?

Nicole : J’ai pas d’actions. Mais pourquoi pas ? Ça peut être une forme d’encouragement pour la société pour laquelle tu bosses. Kroquette : Franchement, c’est quelque chose qui m’est tellement lointain, les actions ! Je trouve que ça ressemble un peu à se faire de la thune sur tout et n’importe quoi, et à s’engraisser en quelque sorte sur le dos de gens qui se cassent le cul à bosser comme des forcenés. J’aime pas les actionnaires, c’est des nantis.

Sophie : L’actionnariat salarié est selon moi un moyen très efficace de lier un salarié aux intérêts d’une entreprise et de ce fait, de détruire toute solidarité entre ouvriers.

Sébastien : C’est l’arnaque : on fait croire aux ouvriers que plus ils bossent, mieux ils bossent et plus ils seront intéressés par les chiffres de la boite, alors que ce n’est sûrement pas à eux que ça profite le plus. On a responsabilisé l’ouvrier par rapport à sa production : la boite, ce qui en sort, c’est aussi à lui (?). Si c’était vrai, ça se saurait.

Yann : C’est une chimère. Le discours tenu dans ma boîte à ce propos est une escroquerie de premier ordre. Ils laissent entendre que la boîte appartient à ses salariés par ce biais, ce qui est évidemment un mensonge éhonté. S’il est vrai qu’une (petite) partie est entre les mains de quelques centaines de porteurs, c’est bien un petit collège de personnes qui tirent les ficelles, un peu comme une mini société secrète qui dirigerait nos vies... Qui plus est, l’argent insufflé dans ces actions sans que personne n’ait réellement son mot à dire sert le développement économique de la boîte et non les intérêts du salarié concerné. Je trouve ça gerbant que la boîte utilise l’argent de ses propres employés pour spéculer et s’en mettre d’autant plus dans les poches. De toute manière je ne cautionne pas la bourse et ses mouvements d’humeur spéculatifs amenant le malheur et le chômage aux plus pauvres des salarié-e-s lorsque des boîtes aux patrons richissimes génèrent des bénéfices gigantesques.

Marielle : C’est un moyen comme un autre de nous faire croire que c’est dans l’intérêt des employés de mettre en bourse les entreprises... Mais on sait très bien que c’est pas aux employés ou petit porteur que ça rapporte vraiment... Si ça te rapporte un peu, ça veut dire que grâce à ton assentiment, ça a rapporté 500 000 fois plus aux gros porteurs... Tout bénéf.

Matthieu : C’est un leurre de nous faire croire qu’on va toucher le produit de ce que l’action va générer. De plus, il y a tellement de délits d’initié que les petits actionnaires ne peuvent vraiment pas avoir toutes les billes en main. Il y a des gens dont c’est le métier de faire du profit avec la bourse, comment croire qu’on va pouvoir les enfler avec 2 ou 3 actions ? Ce n’est pas nous qui avons en main les billes de la bourse.

7- T’es-t-il déjà arrivé de chourrer des trucs sur ton lieu de travail ?

Nicole : Non, jamais même pas une fois, hormis les cadeaux d’entreprises, on est simplement trop surveillée.

Kroquette : Bien sûr ! On profite de ma force de travail gratuitement, je devrais me géner peut etre ??? Déjà que je suis pas payée...

Sophie : Ça m’est arrivé de récupérer des trucs qui auraient terminé à la poubelle mais qui n’en restait pas moins propriété de l’Etat selon la loi.

Sébastien : En fait, c’est même devenu une obligation. Mais bon, je n’en tire aucune fierté, j’ai jamais sorti de trucs importants : pas d’ordinateur ou de machines-outils, quelques outils, beaucoup de papeterie, rien de bien grave, m’sieur le juge.

Yann : Evidemment. Je continue en fonction de certains besoins. De détourner certains moyens de productions également pour des fins toutes autres (tracts, affiches de concerts ou autre etc). En revanche, je dois bien reconnaître que ces vols et détournements sont infimes en comparaison de ce qu’il serait éventuellement possible de sortir et de ce que ce type de boîte peut se permettre de perdre... Un peu « petit joueur », quoi.

Marielle : Ben tant qu’à être mal payée, essayer de rapporter quelques trucs à la maison pour pas avoir à les acheter. quelques stylos, post-it, punaises, trombones, etc. Et genre une boite de chaque, pas plus... Et sinon, dans la boite ou je suis, pas du tout, je dois même m’apporter mon propre carnet acheté par mes soins et mes stylos... C’est à peine si je suis pas obligée d’acheter mon PQ.

Matthieu : Oui, bien sûr ! C’est loin d’être énorme : des câbles, de la quincaillerie. Il y en a qui sont plus forts que moi. De toutes façons pour les patrons nous sommes tous des voleurs, ils ne cessent de nous fliquer : contrôle des heures, codes barres, GPS, etc. Les vrais voleurs sont plus hauts dans la hiérarchie. Par exemple des commerciaux profitent de tarifs préférentiels pour arrondir leurs fins de mois en faisant de la revente et en empochant la différence. Ils usent à fond des voitures de fonction, etc. C’est une sorte de vol institutionnalisé à mes yeux...

8- As-tu déjà, seul ou de manière concertée, agit pour ralentir le rythme de travail ?

Nicole : Non

Kroquette : Plus d’une fois, et dès que j’ai pu en avoir l’occasion même !! En faire le moins possible tant que ça ne pouvait pas nuire à mes collègues ou à une activité, c’était quelque chose d’assez fréquent là où j’étais. Mais paradoxalement, ça m’est arrivé beaucoup de fois de faire du rab volontairement pour finir une activité avec les enfants ou tatasser avec un collègue pour préparer un truc. Mais j’insiste sur le fait qu’à chaque fois que je faisais du rab correctement, c’était en volontariat. Sinon, je torchais.

Sophie : Non, l’occasion ne s’est pas présentée.

Sébastien : Il arrive que j’ « oublie » de passer des commandes, ou que j’ « oublie » de prévenir que je n’ai pas reçu telle ou telle livraison, ça bloque les chaînes quelques minutes, puis ça repart. Ça reste ponctuel, mais c’est plaisant quand même. Par contre, on ne peut pas parler de concertation, la plupart de mes collègues préfèrent penser que je ne le fais pas volontairement.

Yann : Pas vraiment. Dans mes boîtes précédentes, de tailles beaucoup plus petites, la menace et/ou la discussion ont pu suffire même si les avancées étaient loin d’être gigantesques...

Marielle : Non. Ah si pardon ! Dans mon ancien taf... Je glandouillais pas mal... MSN, internet etc., seule et totalement emmerdée par mon taf !

Matthieu : Sur les chantiers assez long un petit peu. En fait c’est plus gérer son rythme de travail par rapport aux délais demandés. Mais je peu de moins en moins le faire car je bosse de plus en plus sur les dépannages et dans l’urgence c’est plus compliqué de retarder le taf. Et puis ce retard sera facturé au client et ça arrange bien le patron qui veut escroquer le maximum de thunes aux clients... Des « anciens » (il y a 15/20 ans) disent qu’avant ce n’était pas possible que les chefs imposent une accélération du rythme de travail. Il était implicitement convenu que pour faire telle tâche il fallait tant de temps... C’était un rythme collectif, un rythme « entendu ». Aujourd’hui ils n’arrêtent pas de nous parler de la concurrence, des lois du marché à chaque fois que tu émets une critique sur la vitesse du travail...

9- Quelle est ta vision du syndicalisme (à l’échelle de ta boîte et plus largement), es-tu syndiqué ? Les syndicats te semblent-ils représenter les travailleurs ? Que penses-tu des relations qu’ils entretiennent avec le MEDEF et l’Etat ?

Nicole : Je ne suis pas syndiquée, il y a la CFTC aux galeries Lafayette mais ils sont plutôt discrets, pas assez dynamiques. D’une manière générale, ça peut être une bonne chose, à savoir que je trouve qu’ils ont de moins en moins de pouvoir. Il y a bien toujours des grèves mais ça ne mène plus à grand chose. Ils n’ont plus beaucoup de poids. Je pense que les syndicats représentent les travailleurs. Ils sont quand même là pour nous défendre. Ils m’ont aidé (la CGT) lors de mon licenciement abusif, is m’ont apporté un soutien et m’ont accompagné dans mes démarches. Heureusement qu’ils sont encore actifs localement pour des cas ponctuels, notamment aux Prudhommes. Actuellement l’Etat est bien plus puissant que les syndicats, le MEDEF est pour l’état donc il leur montre patte blanche. Les syndicats sont des contestataires. Après j’avoue que j’ai du mal à faire la distinction entre les différents syndicats, pour moi ils se ressemblent tous.

Kroquette : A l’échelle de ma boite déjà, je me demande bien s’il y avait quelqu’un qui savait ce qu’était qu’un syndicat !! L’animation, c’est pas trop des révoltés on dirait... Pourtant, y’aurait de quoi ! Personnellement, je ne suis pas syndiquée, et ne l’ai jamais été. C’est un choix. Je fais aussi le choix de sympathiser à certains syndicats proches de mes idées, mais pas assez pour que j’y adhère. Ils ne représentent pas grand chose malheureusement à part une bonne pelletée de bureaucrates tellement éloignés des gens qu’ils sont sensés défendre qu’ils tapent bien trop souvent à côté de la plaque. Mis à part encore certains, SUD, CNT... Du coup, au niveau des relations avec le MEDEF et l’Etat, je trouve que les syndicats restent tout de même pas trop virulents et se contentent un peu trop d’actions planplan qui ne font ni trembler le MEDEF ni qui que ce soit d’ailleurs. Apres, il ne faut surtout pas que les syndicats disparaissent parce que leur boulot reste tout de même de défendre les salariés sur le monde du travail. Mais ils n’ont pas vraiment de moyens de combattre les attaques du gouvernement, et puis en France, y a pas que des salariés et personne ne prend en compte la partie de la population non salariée.... A quand Sud Chômeurs et Sud Stagiaires ????

Sophie : Je soutiens fortement l’existence des syndicats dans notre société mais je ne suis pas syndiquée justement parce qu’il s’agit d’un soutien purement théorique qui relève plus de l’idéal que de la réalité. Je ne crois aujourd’hui plus au pouvoir des syndicats parce qu’ils soutiennent depuis plusieurs années une évolution du code du travail qui amène progressivement à leur propre disparition. Le seul soutien que les syndicats apportent encore aux travailleurs consistent à accompagner les salariés lors de conflits personnels avec leur employeur.

Sébastien : Il n’y a qu’un seul syndicat représenté dans l’entreprise, la CFDT. Autant dire que pour moi, ils ne font jamais rien que de tracter pour les « grosses » manif’. Ils n’ont pas d’autre apparition. Alors, je ne suis pas syndiqué. Par manque de courage sans doute, parce qu’il y a tout à faire, et que je n’y connais rien, ou presque. Et puis, à mon avis, les syndicats, tels qu’ils existent actuellement, ne font que médiatiser un dialogue avec le patronat, dialogue dont l’issue est déjà définie. Les travailleurs ont besoin de vrais représentants, pas de gens qui décident et parlent à leur place sans les en aviser.

Yann : Assez pessimiste je dois dire. Je ne suis pas syndiqué car le principe d’organisation syndicale m’effraie un peu. Lorsque je me suis adressé à des délégués syndicaux, j’ai eu le sentiment d’avoir à faire à des groupes très hiérarchisés et suivant une sorte de ligne « dure », la ligne du parti. J’ai malheureusement un peu la même perception des syndicats qui se disent libertaires mais il est également vrai que n’ayant jamais vu de délégué de ces syndicats représentés dans les boîtes où j’ai bossé je suis nettement moins catégorique et pêche sans doute par méconnaissance. Je fais globalement un rejet de ces organisations qui à mes yeux ne laissent pas ou peu l’individu s’exprimer. Cela dit, je ne suis pas aussi fataliste que ça : au niveau local, là où les personnes sont beaucoup plus actives, j’ai tout de même vu pas mal de syndicalistes se bouger les fesses pour aider quelqu’un, y compris de non encarté. Je trouve cela très rassurant et ça me redonne un peu d’espoir quand aux relations entre collègues (ou non d’ailleurs). Après, autant au niveau local je trouve ça efficace et réaliste, donc oui localement ces syndicats représentent les travailleurs « locaux », après au niveau national je pense que c’est tout à fait l’inverse, en quoi les mammouths du syndicalisme représentent-ils autre chose qu’eux-mêmes au lieu de représenter une population de travailleur. Je le vois un peu comme le même chèque en blanc donné au président de la ripoublique pour faire le roi soleil et nous pourrir la vie. Et puis fricoter avec le MEDEF comme avec l’état montre le niveau de compromission de ces pseudo têtes pensantes. Penser globalement, certes, agir localement me semble bien plus indispensable que les parades des ténors au sommet de l’état (de quel sommet d’ailleurs ?). Dans ma boîte, il y a très peu de syndicats et pour le peu de comptes rendus que j’ai pu lire soit ils ne sont pas très actifs soit leur marge de manœuvre est minime. En tout cas, ce sont parmi les seuls à résister de manière un tant soit peu organisée à l’assaut sans trêve de nos patrons...

Marielle : Je trouve que les syndicats français sont totalement rétrogrades... Autant que le patronat français est totalement opposé à toute considération des interêts des gens qui ne sont pas patrons... En gros, il n’y a pas assez d’ouverture d’esprit et d’empatie d’un coté comme de l’autre pour l’équipe d’en face. Je ne suis pas syndiquée mais après les problèmes que j’ai eu dernièrement, je vais m’inscrire.

Matthieu : Nous sommes 600 à 700 dans ma boîte sur plusieurs sites mais comme c’est une entreprise « familiale » et bien il n’y a pas de syndicats... Je crois que pour le patron l’implantation d’un syndicat est totalement impensable. Il pense agir de manière « juste »... Ou tout du moins c’est ce qu’il dit... Dernièrement il y a eu un petit mouvement de grève car ils veulent nous fliquer avec des GPS. Il y a un peu d’agitation sur la boîte mais le personnel ne va pas se syndiquer pour autant... Il n’y a pas de culture syndicale dans ma boîte, dommage... Un exemple est très révélateur. Pour signer l’accord sur les 35 heures il fallait une signature de syndicat. Un responsable du service après vente s’est inscrit à la CFDT pour signer l’accord... Il a du abandonner sa carte peu après... Pour moi de toutes façons la CFDT c’est le syndicat du patronat. Je pense que le syndicalisme est nécessaire mais leur mode de fonctionnement ne me convient guère sauf peut-être SUD. Je trouve que les syndicats font du bon boulot en ce qui concerne la défense individuelle des salariés. Mais je trouve qu’en général ils ont une attitude trop « productiviste », trop « croissance », ce qui me gêne. Je pense par exemple à la CGT. Avec ce genre d’attitude notre planète va droit dans le mur... Le gagnant en tous cas c’est le MEDEF. Par exemple sur les 35 heures, s’ils ont signé c’est parce qu’ils étaient avantagés. Sinon, les patrons n’auraient certainement pas signé.

10- La grève te semble-t-elle être un outil efficace pour les travailleurs ?

Nicole : Oui ! Ça permet de dire qu’il faut arrêter de nous balancer des lois qui sont rétrogrades, pour faire un halte là, pour montrer qu’on est pas des esclaves et qu’on veut faire valoir nos droits comme tous citoyens.

Kroquette : Bien sûr ! Enfin, du moins, elle est bien le seul qu’il reste !(quoique qu’avec le CPE maintenant, non). La grève générale et insurrectionnelle, seule, peut permettre de bloquer suffisamment de choses pour créer un rapport de force contre le gouvernement. Pas des bouts de grève par ci par la qui sont au détriment des travailleurs et ne font ni chaud ni froid à l’Etat qui répond à grand coups de répression.

Sophie : La grève n’a pour moi aujourd’hui plus rien d’un moyen de pression (sauf peut-être pour des secteurs comme les transports, notamment routiers...) dans la mesure où les interlocuteurs sont devenus sourds et muets. Cela dit, j’utilise quand même mon droit de grève et je continue d’aller manifester tant qu’on a pas trouvé autre chose...

Sébastien : Faire grève peut s’avérer très efficace, je pense que ça dépend de la forme qu’elle prend : une occupation d’usine, un blocage de voies stratégiques sont sûrement plus nocifs pour le patron qu’une manif’. Si le patron peut remplacer les ouvriers en grève par des jaunes, ou par des précaires (voire les deux en même temps), la grève ne sert à rien. Alors, ça me semble important de rester sur son lieu de travail et d’immobiliser ses propres outils, tout le temps nécessaire. Facile à dire.

Yann : Oui et non. Oui parce que la paralysie d’un système peut le faire énormément se désagréger et qu’un patron ne peut se le permettre. Je pense néanmoins que souvent pour une boîte, le nerf de la guerre, c’est l’argent et que faire passer le message que la « richesse » est entre les mains de celui ou celle qui la produit est primordial. Du coup, je pense que c’est sur ce point sensible qu’il faut, au moins en partie, insister. La grève engendre des pertes et autres désagréments aux patrons, c’est vrai, mais le détournement de moyens de productions, pourquoi pas le sabotage, me semblent également des armes valables. Imaginons une sorte de grève où l’argument de combat serait la gratuité et non l’arrêt de la production, qu’elle soit physique ou intellectuelle. Que se passerait-il si à la SNCF tout devenait gratuit ou si des ouvrier-e-s d’une usine réquisitionnaient les biens produits pour les distribuer en masse à ceux/celles en ayant besoin ? Bon je m’emporte peut-être un peu là mais là où je voulais en venir c’est que la grève est un outil encore utile mais qu’il me paraît important de réadapter à la réalité des entreprises ou administrations d’aujourd’hui

Marielle : La grève est un outil efficace pour les grosses structures publiques, bien que je pense qu’ils l’utilisent mal (genre RATP et SNCF se mettent littéralement le peuple à dos parce qu’ils ne réfléchissent pas à une autre façon de mettre la pression à leur employeur...), on ne devrait pas avoir besoin de grève si il y avait un rapport intéressant et constructifs entre les syndicats et le patronat. Seulement, c’est à celui qui sera le plus sourd.

Matthieu : Oui, à l’échelle d’une boîte les grèves peuvent faire avancer les choses, elles permettent de montrer collectivement ton désaccord. Au niveau national on devrait tendre vers des grèves plus massives, voire la grève générale. Mais pour ce qui est des grèves massives, il me semble qu’aujourd’hui les fonctionnaires sont malheureusement les seuls à y parvenir un tant soit peu.

11 - Te sens tu appartenir à la « classe ouvrière » ? Si oui, qu’est-ce qui défini cette classe ? Les chômeurs font ils partie de cette même classe ? Qu’évoques pour toi le mot « prolétaire » ?

Nicole : Oui j’en fais partie car je ne suis pas cadre. J’essaye de gagner ma vie tant bien que mal. J’ai un salaire peu élévé et je ne vais pas consommer dans les magasins de luxe mais plutôt dans les hard discount ou les super marché. Ue autre caractéristique de la classe ouvrière c’est l’endettement. Tellement de choses nous font envie qu’on est tenté par certaines formes de crédit facile et ça vous dépasse. Les chômeurs en font aussi partie... Je ne saurai pas définir le terme de prolétaire.

Kroquette : la classe ouvrière est pour moi la classe en opposition à la classe « bourgeoise », et pas la classe des « gens qui travaillent », ouvrier n’étant pas, à mon sens, synonyme de « travailleur ». Je pense que les chômeurs en font partie. La classe ouvrière, ce sont des gens qui, contrairement aux bourgeois, vivent soit d’un salaire difficilement gagné, soit des aides encore accordées par l’Etat, RMI, allocations, etc... Bref, ce sont souvent des ouvriers, ou des fils ou des petits fils d’ouvriers qui ne se déplacent pas en 4X4 pour trimballer leurs marmots à l’école ou vivent sur le dos de salariés qu’ils exploitent dans leurs boites. Je pense y appartenir. Enfin, je ne sais pas vraiment comment définir le mot prolétaire. J’ai pas envie de faire le raccourci prolo=pauvre, bourgeois=riche et en même temps, c’est un peu ce que ça m’évoque, bien que je trouve cela trop manichéen. Du coup, j’ai pas de définition exacte de ce mot si ce n’est que je dirais que les prolétaires, ce sont les gens qui font partie de la classe ouvrière...

Sophie : Non, je ne m’estime pas appartenir au monde ouvrier et je considère que le terme de classe ouvrière ne recouvre plus une réalité

Sébastien : Je pense que j’appartiens à la classe ouvrière, parce que je suis ouvrier, salarié. Maintenant, définir cette classe, c’est difficile pour moi. Ce n’est pas un groupe de gens unis par leur propre volonté, mais c’est plutôt une catégorie de la population active. Je pense que le terme n’a plus la signification qu’il a eu, une classe unie, regroupant des personnes de conditions similaires, avec des désirs similaires quant à la gestion de leur travail et des moyens d’exercer ce travail. Je sais pas si « lutte des classes » est un mot qui peut encore s’utiliser. Le mot prolétaire résonne toujours péjorativement : métro, boulot, dodo ! Et éventuellement, regarder la TV en rentrant du taf. Alors que c’est peut être là que j’y verrais une classe. Celle de ceux et celles que le travail aliène, et qui voudraient bien tout faire péter, mais à quoi bon ? On y pense, mais qu’est ce qu’on peut faire ?

Yann : Je ne sais pas trop te répondre là-dessus. Je travaille dans un bureau, reçoit un salaire correct par rapport à mes besoins et ne rencontre plus les mêmes rapports de force qu’autre fois alors qu’en tant que manutentionnaire j’avais très clairement cette sensation. J’ai même parfois l’impression de « trahir » cette classe de par mon métier. Je t’avouerai que je ne suis pas très à l’aise avec ça. Le mot prolétaire ? Eh bien il évoque pour moi une notion un peu désuète, rattachée au siècle dernier. Cette réalité du prolétariat s’est en partie estompée pour se généraliser au-delà de la notion d’ouvrier en usine. Le prolétariat tel qu’on pourrait le concevoir aujourd’hui ne me semble plus vraiment avoir de point commun avec celui que décrivait Marx autrefois. Et puis dans ma tête ça « exclut » un peu tous ceux qui ne bossent pas qui ont une importance au moins aussi grande. De là à faire des chômeurs une classe, je ne sais pas... ça me parait à prime abord un peu arbitraire. Cela dit, je ne suis pas très lettré à ce sujet qui me semble-t-il renvoie vers des notions très précises donc je devrais peut-être arrêter là...

Marielle : Oui, je fais partie de la classe ouvrière, non pas au sens historique mais au sens sociologique du terme : toute ma vie, je consacrerai une grande part de mon temps à travailler pour un patron afin de survivre. Les conditions de travail ne sont pas les mêmes, mais le résultat est que je devrai toujours me plier à la volonté de mes supérieurs et faire passer ma vie privée... Les chômeurs de courte durée font partie de la classe ouvrière... Les chômeurs de longue durée, j’hésite plus. tout dépend si ce chômage est volontaire ou pas... Prolétaires... Le peuple s’acharnant à la tache pour arriver à faire subsister leur famille, exploités et sans droits, et qui enrichit les riches. C’est un mot un peu dépassé en France à mon goût mais qui s’applique encore dans beaucoup de pays... Prolétaire fait appel dans mon esprit à un travail dur et physique à l’usine ou dans les champs... et qui a du mal à vivre malgré un travail énorme. Voilà.

Matthieu : Bien qu’issu de la classe bourgeoise je me sens appartenir à la classe ouvrière. Je suis allé vers un milieu ouvrier qui m’était relativement étranger. Il y a aussi une certaine réaction par rapport à mon milieu d’origine... En tous cas je sais que la bourgeoisie a conscience de former et d’appartenir à une classe ! Pour ce qui est de la classe ouvrière, je sens par certains comportements que cette conscience de classe a tendance à s’étioler. Par exemple si je dis à mes collègues que nous sommes des ouvriers ils vont me répliquer qu’ils sont techniciens et non ouvriers... C’est presque devenu une insulte pour eux. Pourtant, eux comme moi, ont le mot « ouvrier » d’inscrit sur leurs fiches de paye... Les chômeurs appartiennent aussi à la classe ouvrière... [Prolétaire], Cela fait presque partie de l’histoire, ça m’évoque le temps révolu des discours enflammés... C’est devenu un gros mot, encore pire que « classe ouvrière »... Le prolétaire c’est pour moi celui qui n’a que sa force à vendre et donc pour moi c’est toujours une réalité.

12 - Envie de dire un truc particulier ?

Matthieu : Plein de gens de ma génération sont dégoûtés du travail par son côté aliénant : la hiérarchie, le temps perdu, etc. Les gens ne se rendent pas compte qu’on pourrait s’organiser autrement pour changer profondément notre façon de travailler... Quand tu dis ça on te répond : « monte ta boîte, deviens patron ! » Quel intérêt ? Bizarrement ça plaît à personne d’être commandé mais tout le monde exerce un pouvoir et s’y accroche, refuse de le lâcher... En tous cas pour moi le patronat est dépassable.


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