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> Psychanalyse & mouvement social
> Au-delà du Livre noir de la psychanalyse
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IntroductionAu-delà du Livre noir de la psychanalyseEn vingt ans, l’éventail des diagnostics psychiatriques est passé d’une trentaine de pathologies répertoriées à quelques centaines de troubles. Car ce sont le plus souvent des troubles spécifiés qu’on soigne, au mépris de l’histoire individuelle de chaque patient. Du coup, le marché de la santé mentale s’envole. Oui, il y a un marché de la souffrance psychique. Oui, il y a là de l’argent à gagner. Pour l’exploiter au mieux il faut l’étendre. Cette extension, fruit d’un marketing soutenu, s’appuie sur diverses interventions faites au nom de « La Science ». On le voit avec la croissance actuelle des ventes de psychotropes en France.
Les deux dernières de ces interventions sont le Livre noir de la psychanalyse, et le tout récent rapport de l’INSERM sur le dépistage des « troubles des conduites » chez l’enfant et l’adolescent. Le premier est rédigé par certains tenants des thérapies comportementales, les premiers faisant leur jeu et celui des laboratoires pharmaceutiques seconds sur un fond de déroute des services publics confrontés à la gestion de la Sécurité sociale dans ses deux perspectives, déficit pour les uns, pactole pour les autres. Un tour de passe-passe tend à substituer du prêt-à-porter psychiatrique aux démarches de soin prudentes et réfléchies, dont celles de la psychanalyse. Ainsi voit-on peu à peu se réduire les approches fines et nuancées de la psychiatrie classique au profit d’un catalogue de symptômes, le quasi universel DSM IV, grâce auquel chaque comportement humain un peu surprenant ou douloureux se voit assigner la valeur d’un trouble pathologique. D’aucuns en ont fait une bible dispensant d’un savoir sur les processus pathogènes et d’une vraie pensée sur la souffrance psychique, au cas par cas. D’où vient qu’un tel détournement ait pu séduire tant d’intervenants en santé mentale ? D’où vient que tant d’organismes se soient appuyés sur lui pour produire des rapports qui vont tous dans le même sens ? L’association de quelques items du DSM IV permet de prescrire des thérapies comportementalistes et des psychotropes. C’est ce que préconise le dernier rapport de l’INSERM, infiniment plus nocif que le grossier Livre noir de la psychanalyse. Ainsi introduit-il des Troubles oppositionnels avec provocation : les TOP. Or les psychanalystes savent depuis Freud et Winnicott combien les comportements d’opposition sont nécessaires aux acquisitions du statut de sujet et à la pensée. En tirant argument de grandes pathologies psychiatriques, plutôt rares et en reportant leur gravité sur ces comportements normaux et souhaitables, on élargit le marché de la santé mentale en transformant une manifestation habituelle en trouble pathologique. Les psychothérapies et les psychotropes sont alors préconisés. En se substituant au bon sens et à l’expérience des parents, cette « science » hostile aux processus inconscient, les inquiète, les culpabilise et transforme leurs enfants en clients de « psy », en consommateurs. Il en va de même pour la confusion les dépressions et la tristesse normale, le deuil, le mal-être social. D’où la surconsommation d’antidépresseurs. Cette parodie en voie d’extension mondiale s’appuie sur une résistance à la perception de l’intime des souffrances psychiques, sur une paresse de la pensée et sur quelques automatismes de prescription. D’où peuvent venir l’inspiration, le souffle et le mouvement qui soutiennent financièrement et psychologiquement un tel désastre ? Qui en tire massivement avantage ? Prenons la « petite histoire » actuelle. Le Livre noir de la psychanalyse a rapporté quelque argent à ses instigateurs. La plupart des articles qu’il regroupe sont consacrés à l’éloge des thérapies du manifeste et à des diatribes contre tous ceux qui, à la suite de Freud, se sont intéressés aux processus préconscient et inconscients. La diatribe pousse à l’injure et l’injure à l’appel aux violences physiques (qui nous a contraint à répondre dans les Monde 2 du 19 novembre à un article haineux de Christophe Donner paru une semaine plutôt dans la même publication). Là se trouvent la rage et la violence, mais ce n’est pas le plus important. Montons d’un cran. Plus il y aura d’acteurs dans le monde de la santé mentale, plus le marché de celle-ci s’ouvrira par leurs efforts personnels d’extension. La création du statut de psychothérapeute, adossé au DSM IV, crée un élargissement du marché de la santé mentale. Donc, plus d’intervenants, plus de soi-disant « troubles » à soigner, plus de « thérapies », plus d’échecs de celles-ci à « guérir » la normalité, plus de prescriptions de psychotropes (on a vu cela en URSS). Le marché ira grossissant avec le nombre des psychothérapeutes. Il leur faudra démontrer qu’ils sont bons, voire les meilleurs malgré la brièveté ou l’absence des formations actuelles. Ils tentent de se comparer avantageusement et fallacieusement aux psychanalystes, par ailleurs si longuement formés et si peu prescripteurs, quand ils ne se parent pas ce titre. C’est ce qui se passe pour l’heure en France. Face à cela, il y a peu de monde. Que faisons nous ? La psychanalyse est jeune et elle accumule les découvertes « scandaleuses » : le jeu des pulsions, la sexualité infantile, le Moi serviteur de ses trois maîtres, la réalité, le Ca et le Surmoi, et plus récemment la perte partielle, temporaire ou durable du statut de sujet dans les états-limites. La psychanalyse ne catégorise pas, ne crée pas de cohortes statistiques de ceci ou de cela dans tel ou tel pourcentage de la population. Elle a affaire à des sujets, rencontrés un par un ; leurs vies psychiques sont aussi différentes que le sont les visages. Les psychanalystes se refusent à ranger l’action, la pensée, la passion, l’émotion, l’affect, la vie, dans le Grand Livre de la Pathologie Mentale. Aussi, chaque pratique analytique est elle une recherche originale, chaque analyste un chercheur sans recettes. La psychanalyse restera attaquée par les ten ! ants de l’ordre établi, politique, technologique, commercial et religieux. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que ces assauts ne sont que des escarmouches dans une stratégie universelle de déconsidération de la pensée et de passage du statut de sujet citoyen à celui d’assujetti, consommateur et endoctriné. Si ce rabotage atteint tous les domaines, nous sommes particulièrement sensibles à ses extensions dans le domaine de la santé mentale. Il semble clair que les plus souffrants de nos concitoyens n’auront bientôt droit qu’à de l’ersatz de soins, du cache-misère, comme on le voit avec certaines « cellules d’urgence », politiquement opportunistes, ou avec la substitution des prisons aux services psychiatriques publics. Les saupoudrages, la magie et son commerce contribuent au nivellement par le bas des soins psychiques. Il importe de tenir bon sur les positions exigeantes de la psychanalyse et de contribuer, avec tous ceux qui pensent encore, au travail de soin, de civilisation et de culture. Gérard Bayle
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