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AccueilJournalNuméros parus en 2006N°50 - Été 2006Psychanalyse & mouvement social > Au-delà du Livre noir de la psychanalyse

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Introduction

Au-delà du Livre noir de la psychanalyse


En vingt ans, l’éventail des diagnostics psychiatriques est passé d’une trentaine de pathologies répertoriées à quelques centaines de troubles. Car ce sont le plus souvent des troubles spécifiés qu’on soigne, au mépris de l’histoire individuelle de chaque patient. Du coup, le marché de la santé mentale s’envole. Oui, il y a un marché de la souffrance psychique. Oui, il y a là de l’argent à gagner. Pour l’exploiter au mieux il faut l’étendre. Cette extension, fruit d’un marketing soutenu, s’appuie sur diverses interventions faites au nom de « La Science ». On le voit avec la croissance actuelle des ventes de psychotropes en France.


Les deux dernières de ces interventions sont le Livre noir de la psychanalyse, et le tout récent rapport de l’INSERM sur le dépistage des « troubles des conduites » chez l’enfant et l’adolescent. Le premier est rédigé par certains tenants des thérapies comportementales, les premiers faisant leur jeu et celui des laboratoires pharmaceutiques seconds sur un fond de déroute des services publics confrontés à la gestion de la Sécurité sociale dans ses deux perspectives, déficit pour les uns, pactole pour les autres.

Un tour de passe-passe tend à substituer du prêt-à-porter psychiatrique aux démarches de soin prudentes et réfléchies, dont celles de la psychanalyse. Ainsi voit-on peu à peu se réduire les approches fines et nuancées de la psychiatrie classique au profit d’un catalogue de symptômes, le quasi universel DSM IV, grâce auquel chaque comportement humain un peu surprenant ou douloureux se voit assigner la valeur d’un trouble pathologique. D’aucuns en ont fait une bible dispensant d’un savoir sur les processus pathogènes et d’une vraie pensée sur la souffrance psychique, au cas par cas. D’où vient qu’un tel détournement ait pu séduire tant d’intervenants en santé mentale ? D’où vient que tant d’organismes se soient appuyés sur lui pour produire des rapports qui vont tous dans le même sens ? L’association de quelques items du DSM IV permet de prescrire des thérapies comportementalistes et des psychotropes. C’est ce que préconise le dernier rapport de l’INSERM, infiniment plus nocif que le grossier Livre noir de la psychanalyse. Ainsi introduit-il des Troubles oppositionnels avec provocation : les TOP. Or les psychanalystes savent depuis Freud et Winnicott combien les comportements d’opposition sont nécessaires aux acquisitions du statut de sujet et à la pensée. En tirant argument de grandes pathologies psychiatriques, plutôt rares et en reportant leur gravité sur ces comportements normaux et souhaitables, on élargit le marché de la santé mentale en transformant une manifestation habituelle en trouble pathologique. Les psychothérapies et les psychotropes sont alors préconisés. En se substituant au bon sens et à l’expérience des parents, cette « science » hostile aux processus inconscient, les inquiète, les culpabilise et transforme leurs enfants en clients de « psy », en consommateurs. Il en va de même pour la confusion les dépressions et la tristesse normale, le deuil, le mal-être social. D’où la surconsommation d’antidépresseurs.

Cette parodie en voie d’extension mondiale s’appuie sur une résistance à la perception de l’intime des souffrances psychiques, sur une paresse de la pensée et sur quelques automatismes de prescription. D’où peuvent venir l’inspiration, le souffle et le mouvement qui soutiennent financièrement et psychologiquement un tel désastre ? Qui en tire massivement avantage ?

Prenons la « petite histoire » actuelle. Le Livre noir de la psychanalyse a rapporté quelque argent à ses instigateurs. La plupart des articles qu’il regroupe sont consacrés à l’éloge des thérapies du manifeste et à des diatribes contre tous ceux qui, à la suite de Freud, se sont intéressés aux processus préconscient et inconscients. La diatribe pousse à l’injure et l’injure à l’appel aux violences physiques (qui nous a contraint à répondre dans les Monde 2 du 19 novembre à un article haineux de Christophe Donner paru une semaine plutôt dans la même publication). Là se trouvent la rage et la violence, mais ce n’est pas le plus important. Montons d’un cran. Plus il y aura d’acteurs dans le monde de la santé mentale, plus le marché de celle-ci s’ouvrira par leurs efforts personnels d’extension. La création du statut de psychothérapeute, adossé au DSM IV, crée un élargissement du marché de la santé mentale. Donc, plus d’intervenants, plus de soi-disant « troubles » à soigner, plus de « thérapies », plus d’échecs de celles-ci à « guérir » la normalité, plus de prescriptions de psychotropes (on a vu cela en URSS). Le marché ira grossissant avec le nombre des psychothérapeutes. Il leur faudra démontrer qu’ils sont bons, voire les meilleurs malgré la brièveté ou l’absence des formations actuelles. Ils tentent de se comparer avantageusement et fallacieusement aux psychanalystes, par ailleurs si longuement formés et si peu prescripteurs, quand ils ne se parent pas ce titre. C’est ce qui se passe pour l’heure en France.

Face à cela, il y a peu de monde. Que faisons nous ? La psychanalyse est jeune et elle accumule les découvertes « scandaleuses » : le jeu des pulsions, la sexualité infantile, le Moi serviteur de ses trois maîtres, la réalité, le Ca et le Surmoi, et plus récemment la perte partielle, temporaire ou durable du statut de sujet dans les états-limites. La psychanalyse ne catégorise pas, ne crée pas de cohortes statistiques de ceci ou de cela dans tel ou tel pourcentage de la population. Elle a affaire à des sujets, rencontrés un par un ; leurs vies psychiques sont aussi différentes que le sont les visages. Les psychanalystes se refusent à ranger l’action, la pensée, la passion, l’émotion, l’affect, la vie, dans le Grand Livre de la Pathologie Mentale. Aussi, chaque pratique analytique est elle une recherche originale, chaque analyste un chercheur sans recettes. La psychanalyse restera attaquée par les ten ! ants de l’ordre établi, politique, technologique, commercial et religieux. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que ces assauts ne sont que des escarmouches dans une stratégie universelle de déconsidération de la pensée et de passage du statut de sujet citoyen à celui d’assujetti, consommateur et endoctriné. Si ce rabotage atteint tous les domaines, nous sommes particulièrement sensibles à ses extensions dans le domaine de la santé mentale. Il semble clair que les plus souffrants de nos concitoyens n’auront bientôt droit qu’à de l’ersatz de soins, du cache-misère, comme on le voit avec certaines « cellules d’urgence », politiquement opportunistes, ou avec la substitution des prisons aux services psychiatriques publics. Les saupoudrages, la magie et son commerce contribuent au nivellement par le bas des soins psychiques. Il importe de tenir bon sur les positions exigeantes de la psychanalyse et de contribuer, avec tous ceux qui pensent encore, au travail de soin, de civilisation et de culture.

Gérard Bayle

Notions de base

L’appareil psychique Avant la psychanalyse il y eut le carthésianisme et le règne de la raison toute puissante d’une part, et la pensée magique et religieuse de l’autre qui a engendré le fanatisme et maintenu les populations dans une certaine ignorance pendant des siècles. Pour les carthésiens et autres adeptes de Descartes, notre esprit et notre volonté étaient censés gouverner l’ensemble de notre existence, si ce n’est les fous, qui était « dépossédés » de leur raison, et les névrosés (défini ainsi au XIXe siècle) atteints des troubles de l’âme. La découverte freudienne a décentré cette fiction du libre arbitre total. En introduisant les notions d’inconscient, de conflits psychiques et de pulsion, il a démontré que nos consciences n’étaient que la surface émergée de l’iceberg. Freud a ainsi créé un modèle théorique qui a permis de comprendre le fonctionnement psychique et d’interpréter les rapport entre les différentes instances de personnalité.
L’appareil psychique est le premier de ces modèles théoriques. On peut le définir comme un instrument psychique composé d’instances ou de systèmes qui vont accomplir un certain travail dans un ordre donné. La théorisation de l’appareil psychique s’est faite en deux temps. D’abord vers 1900 Freud affirme l’existence de l’inconscient qu’il oppose au psychisme conscient. Il en montre l’importance pour la compréhension de tous les phénomènes pathologiques (la première topique). La deuxième topique est élaborée vers 1923, elle va corriger la simplicité trop grande de la première théorie en prenant compte des différentes forces dynamiques repérées par Freud. On peut imaginer l’inconscient comme formé de plaques tectoniques, la conscience comme la surface, et l’activité volcanique comme les pulsions. Quand ça explose, Lacan rigole dans sa tombe.

La première topique
Elle est exposée à la fin de L’interprétation des rêves. Freud imagine un système double qui est composé de l’inconscient et du préconscient/conscient. C’est l’expérience clinique qui a montré à Freud que le psychisme n’est pas réductible au conscient. Certains contenus psychiques ne deviennent accessibles à la conscience qu’après avoir surmonté un certain nombre de résistances. Cette expérience a révélé aussi que la vie psychique est remplie de pensées efficientes bien qu’inconscientes et que les symptômes pathologiques proviennent de ces idées-là. Tout ceci a conduit Freud à imaginer que l’inconscient est un lieu psychique particulier autonome et qui se comporte comme un système qui a ses contenus propres, ses mécanismes et son énergie. Dans son contenu, l’inconscient est le siège des pulsions innées, des désirs et également de tous les désirs refoulés. Le système préconscient est le siège des opérations mentales latentes et disponibles. Il y a entre les deux une différence de profondeur d’enfouissement, le préconscient est accessible à l’évocation volontaire alors que l’inconscient ne l’est pas. Le passage du conscient à l’inconscient est réglé par la censure qui agit comme une puissance de contrôle éthique qui va sélectionner les matériaux conformes ou non. La censure constitue un barrage au conscient et elle est donc à l’origine de tout refoulement. Les forces refoulantes vont devenir le surmoi et les forces refoulées constitueront une partie du ça.

La deuxième topique Elle date de 1920-1923, exposée dans Le moi et le ça. Elle met en évidence le ça, le Surmoi et le Moi.
Le ça : Il constitue le pôle pulsionnel de la personnalité, c’est une force énergétique inconsciente qui cherche à s’écouler. Les contenus du ça sont inconscients, d’une part c’est l’énergie qui nous anime, elle est innée, d’autre part c’est également l’aspect refoulé donc acquis et lié à l’histoire du sujet. Le ça se conforme au principe de plaisir, il tend systématiquement à la satisfaction du besoin, cette satisfaction ets soit concrète et réelle soit à la satisfaction détournée comme dans les rêves ou les actes manqués si le besoin est contrarié. Tous les processus qui se déroulent dans le ça n’obéissent pas aux lois logiques de la pensée si bien que les émotions contradictoires peuvent coexister sans se contrarier - ça n’est pas facile à gérer, certes.
Le Surmoi : le concept de Surmoi est issu de la constation de la force de la censure. Contrairement au ça qui est inné, le Surmoi se construit progressivement dans la confrontation du sujet aux interdits. Dès sa naissance et tout au long de son développement, le sujet rencontre des forces répressives, des interdits familiaux, sociaux, des exigences de l’environnement et également des jugements moraux. Par peur de perdre l’amour de ses parents il va intérioriser ces interdits et c’est cette intériorisation des forces répressives qui constitue le Surmoi. Le rôle du Surmoi est assimilable à celui d’un juge, instance interdictrice qui se rattache à la conscience morale, à la culpabilité, aux idéaux, aux attitudes de prohibition et d’autocritique.
Le Moi : dans un premier temps le Moi est l’agent de l’adaptation à la réalité, c’est l’instance qui assure la cohérence de la personne. Elle regroupe donc l’ensemble des motivations, des expériences et des actes d’un individu. Elle conditionne l’adaptation à la réalité, donc la résolution des conflits. Le Moi met en jeu une série de mécanismes de défenses dès qu’il y a perception d’une difficulté, il va donc se développer au contact des réalités extérieures en tenant compte des réalités intérieures du sujet. Il a donc un rôle de médiateur, qui est partagé entre les revendication du ça et les interdits du Surmoi.

La deuxième topique de Freud apparaît malgré tout assez simple mais de sa compréhension dépend celle du travail analytique : l’équilibre relatif entre les trois instances est la clé de l’équilibre psychologique. Autrement dit, si une des instances prend trop d’importance on tombe aussitôt dans la pathologie. La force et la faiblesse du Moi est le critère le plus sûr d’une appréciation psychologique. Dans la psychanalyse d’aujourd’hui un Moi fort est celle ou celui qui n’a pas peur des pulsions émanant de l’inconscient, qui se laisse pénétrer par elles, sans lacanisme aucun, pour les laisser s’épanouir et se réaliser lorsqu’elles sont compatibles avec le principe de réalité (relation sexuelle, appétit démesuré, rage lors d’une épreuve sportive ou d’une manif, ...) Les autres, celles qui sont en contradiction avec ce principe, elle les transformera en vu de leur adaptation relative à la réalité. En outre, la force du Moi se mesure à la résistance dont il est capable de faire preuve en cas d’insatisfaction pulsionnelle et de déplaisir.


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