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AccueilJournalNuméros parus en 2006N°50 - Été 2006Psychanalyse & mouvement social > Impromptu en mot majeur... ou mineur ?

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Impromptu en mot majeur... ou mineur ?


Il s’agirait de positiver : les chômeurs deviennent des « demandeurs d’emploi », les entreprises ne licencient plus mais « appliquent des plans sociaux » et font « des restructurations » ! La société du positif ne fabrique plus de pauvres, même nouveaux. Il n’y a plus que des « précaires », et peut-être aussi à la rigueur, des « personnes en situation de grande précarité » ! D’ailleurs il n’y a plus non plus de fous, il n’y a plus que des « malades mentaux » ! Et pour dire l’angoisse que l’on a devant la folie, il faut parler de « ouf ».


À mettre un mot à la place d’un autre, les mots veulent-ils encore dire quelque chose ? Peut-être sont-ils lassés de ce qu’on veut leur faire dire et faire malgré eux. C’est peut-être « trop » de chez « trop » ! comme si ces formule apparues signalaient à la fois l’incapacité à trouver le bon mot et le besoin de garanties sur le sens d’un mot, le deuxième venant signer l’authenticité du premier, besoin de garantie dans un contexte où plus rien ne l’est. On l’a peut-être oublié mais les mots veulent dire quelque chose. Et le besoin de garantie ne signe-t-il pas la connaissance latente de la distorsion que subissent les mots et de l’inconnu qui subsiste sur l’origine de leur sens. « Les mots peuvent être comme de minuscules doses d’arsenic : on les avale sans y prendre garde, ils semblent faire aucun effet, et voilà qu’après quelques temps l’effet toxique se fait sentir. Si quelqu’un au lieu de « héroïque et vertueux » dit pendant assez longtemps « fanatique » il finira par croire vraiment qu’un fanatique est un héros vertueux et que sans fanatisme on ne peut pas être un héros » ( LTI la langue du 3eme Reich : Victor Klemperer). Que penser alors de ces sigles : DE [1], DELD [2], RMIste [3], TH [4], qui se veulent non-dévalorisants ? N’est on pas ici pris en flagrant délit de langage édulcoré ? Langage qui a l’apparence d’un sens mais qui n’a pas l’affect et la chair vivante qui va avec le sens. Si vous dites « chômeur », ce qui vient avec ce sont les images de perte d’emploi bien sûr, mais aussi perte de lien social, images de lutte sociale, de tristesse, de conflit, d’angoisse, et pour ceux qui l’on subi, images de dépression naissante ou installée, sentiment de dévalorisation, de culpabilité, sentiment d’être trahi, sentiment de honte et de révolte. C’est un langage décharné que celui des sigles, perte du contenu du mot, perte du sens, visant à faire disparaître l’histoire, mise à mort de la pensée. Le « Crédit Lyonnais » l’a bien compris puisqu’il se fait appeler maintenant « LCL » visant ainsi l’effacement du passé et des scandales, on zappe l’Histoire ! Les clochards ont-ils un logement depuis qu’ils sont SDF ? Quelle qualification professionnelle a-t-on quand on est RMIste ? Il n’y a plus rien derrière les sigles.

Sous les effets de la violence de l’insécurité économique pour se limiter à celle-là, ce qui disparaît ce sont les personnes dans leurs pensées et leur histoire. Les traumas de crise économique et de chômage n’ont pas été élaborés. Nous voilà dans un double effacement sous couvert d’humanisation et d’idéologie positive, effacement de la mémoire sociale et effacement de la mémoire individuelle. Le travail du psychanalyste n’est-il pas d’aider à la réintégration psychique consciente de la mémoire individuelle, de ce que chacun peut vouloir refouler et qui ensuite revient faire barrage dans sa vie ? C’est aussi de rendre possible l’élaboration, permettre au sujet de se réapproprier ce qui est à lui de ses difficultés et de se situer en tant que sujet dans le contexte économique de l’entreprise et dans sa propre économie psychique [5] et aussi ne plus se charger d’une culpabilité qui n’est pas la sienne.

Idéologie terroriste du zéro défaut ! Dogme de la « Qualité Totale » ! autant de machines à broyer le mental humain. Mise à mort de la pensée et des émotions dans l’entreprise. Gare à celui qui ne sait pas gérer ses émotions ! Chacun doit « positiver » garder et faire fructifier son capital en ne donnant rien là où c’est mal venu : ne pas gaspiller le patrimoine d’émotions ! Et si vous avez du mal à gérer vos émotions, n’allez pas faire une TCC : les « Thérapies Cognitives et Comportementales » ne sont pas comme leur nom le dit bien « psychothérapies » mais des thérapies qui rééduquent des comportements... On y oublie l’être qui pense et le respect de la personne dans son intégralité.

Faut-il dire avec Louise Michel (Mémoires, édition Tribord p.185) que « par delà notre temps maudit viendra le jour où l’homme, conscient et libre, ne torturera plus ni l’homme ni la bête. » Et que « cette espérance là vaut bien qu’on s’en aille à travers l’horreur de la vie » ?

Attention aux mots mineurs , ils cachent des maux majeurs !


[1] Demandeur d’Emploi

[2] Demandeur d’Emploi de Longue Durée

[3] Bénéficiaire du Revenu Minimum d’Insertion

[4] Travailleur Handicapé

[5] Economie psychique : c’est-à-dire de l’équilibre qui existe à l’intérieur de chaque personne sur la dépense qui est faite de l’ énergie psychique en l’investissant dans des émotions, dans des activités culturelles ou en travaillant et la régénération de notre potentiel de réserve en quelque sorte. Il s’agit de penser le psychisme en équilibrant la libre circulation des quantités d’énergie entre le conscient et l’inconscient


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