Retour accueil

AccueilJournalNuméros parus en 2006N°50 - Été 2006 > « Il n’y a pas d’immigration subie »

Rechercher
>
thème
> pays
> ville

Les autres articles :


Nouvelle loi sur l’immigration

« Il n’y a pas d’immigration subie »

Entretien avec Mamadou M’Bodje


Depuis novembre 2005, les grandes lignes de l’avant-projet de la loi CESEDA (Code de l’Entrée et du Séjour des Étrangers et du Droit d’Asile), publié en janvier 2006, sont connues : choix utilitariste des candidats à l’immigration, suspicion accrûe à l’égard des mariages mixtes, définition de critères d’intégration toujours plus restrictifs. Votée début mai 2006, la loi CESEDA, la deuxième que livre donc Sarkozy en matière d’immigration et d’intégration, n’attend plus qu’un passage au Sénat pour entrer en application. Mamadou M’Bodje, de l’ASIAD (Association de Solidarité et d’Information pour l’Accès aux Droits des étrangers non communautaires) nous livre ses réflexions au sujet de la loi nouvellement votée.


NO PASARAN : Si l’on écoute Sarkozy, sa nouvelle loi va faire passer la France d’une immigration subie à une immigration choisie. Que penses-tu de cette terminologie ? N’est-elle pas d’emblée destinée à induire l’opinion publique en erreur ?
Mamadou M’Bodje : Si l’on considère l’histoire de l’immigration à la fois dans sa globalité et dans ses particularités, on se rend compte que l’immigration n’a jamais été subie par la France. Au rythme des événements successifs qui ont bouleversé la vie de la société française (besoin de soldats pour la Première Guerre mondiale, saignée démographique de la Première Guerre mondiale, besoin en main d’œuvre accrû pour la reconstruction après la Seconde Guerre mondiale), l’immigration a toujours constitué un besoin. Même depuis 1974, date à laquelle le gouvernement de Giscard a fermé les frontières en instaurant la carte de séjour en réponse au début de la crise économique, le flux d’immigrés a été géré, de manière « officieuse », selon les besoins de l’économie française. Comment parler alors d’une immigration subie alors que la France a profité et profite toujours de l’immigration, comme en témoignent les innombrables sans-papiers qui font tourner le bâtiment et la restauration ? Imaginons un seul instant que le gouvernement ferme hermétiquement les frontières : le Medef serait certainement le premier à protester et à réclamer leur réouverture.
La loi Sarkozy et surtout le discours qui l’accompagne s’adressent aux électeurs du FN et de la droite extrême de De Villiers : Sarkozy n’en a jamais fait mystère, puisqu’il a été jusqu’à reprendre le slogan du FN : « La France, aimez-la ou quittez-la ». Ce qui a changé pour le coup, c’est l’application musclée des textes, par des pratiques irrespectueuses du droit européen, notamment en matière du droit de vivre en famille. De fait, entre un FN qui prône une immigration zéro sans avoir fait la preuve de sa capacité ou de son incapacité à faire ce qu’il dit, et Sarkozy dont le discours « viriliste » séduit, les électeurs ou sympathisants de l’extrême droite sont prêts à adhérer au discours de l’immigration prétendument choisie que développe Sarkozy, car il s’accompagne précisément d’une mise en pratique musclée (interventions de la police, expulsions nombreuses, ...) depuis que Sarkozy est en poste.
Quoi qu’il en soit, le discours développé par Sarkozy autour du vote de la loi CESEDA est doublement fallacieux : tout d’abord parce qu’il pose en préalable une contrevérité (la France subit l’immigration depuis toujours) et ensuite parce qu’il présente la nouvelle loi comme un changement radical dans la politique d’immigration et d’intégration française.

Revenons sur la loi, qui, au jour où a lieu cet entretien, a d’ores et déjà été votée par le Parlement et n’attend plus qu’un aller-retour Sénat Parlement : constitue-t-elle une rupture par rapport aux précédents textes législatifs en matière d’immigration et d’intégration en général, et par rapport à la première loi Sarkozy de novembre 2003 en particulier ?
La loi CESEDA constitue une véritable rupture par rapport à la Loi en général, c’est-à-dire par rapport aux droits et aux libertés garantis par la Convention européenne et qui sont aussi des droits constitutionnels : le respect de la vie privée, le droit de vivre en famille de façon normale, l’intérêt supérieur de l’enfant et le droit à l’asile. On peut d’ailleurs s’interroger sur la position qu’adoptera le tribunal de la Cour européenne des Droits de l’Homme quand il aura à émettre des jugements qui iront à l’encontre de ce que préconise la loi CESEDA. Hormis cet aspect-là, la deuxième loi Sarkozy (sur l’immigration et l’intégration) s’attaque une fois de plus aux droits et libertés dont la valeur constitutionnelle mérite d’être rappelée : le respect de la vie privée, le droit de mener une vie familiale normale, la dignité, le droit d’asile, le droit supérieur de l’enfant. De la sorte, le projet de loi, sans conteste, va créer de nouveaux cas de sans-papiers et des situations administratives inextricables. N’oublions pas à ce sujet que c’est la gauche qui a restreint la procédure de regroupement familial jusqu’alors possible par la procédure d’introduction (lorsque la famille du demandeur est encore dans le pays d’origine) ou par régularisation (lorsque la famille du demandeur est déjà installée en France et qu’elle remplit les conditions de ressources et de logement) à l’introduction uniquement. De même, c’est la circulaire Chevènement [1] de 1997 qui a restreint l’accès à la carte de résident de dix ans en instaurant des cartes de séjour temporaires (telle la carte vie privée / vie familiale limitée à un an) qui précarisent leurs détenteurs, en particulier en ce qui concerne l’accès à un emploi stable, à un logement, réduisant considérablement les catégories pouvant obtenir de plein droit la carte de résident.

Hors de France, cette loi a suscité, dès avant son vote, de nombreuses réactions des politiques et des populations des pays d’où sont originaires bon nombre d’immigrés résidant en France. Comment les interprètes-tu ? Comment peuvent-elles s’inscrire dans la lutte des associations et des militants français ?
Dans la droite ligne de sa politique de communication, Sarkozy a entrepris une sorte de tournée en Afrique au moment où était votée la loi CESEDA en France. Il passait ainsi aux yeux de ses sympathisants pour celui qui défie, pour l’homme courageux qui ne craint pas d’aller dire là-bas qu’il y a, selon lui, trop d’immigrés en France et qui n’hésite pas à affronter les réactions des gouvernements des pays d’où sont originaires une partie des immigrés résidant en France.
En Afrique, les réactions ont été variables : j’apprécie celle du président malien, qui a déclaré très intelligemment vouloir recevoir Sarkozy en vertu des valeurs d’accueil qui prévalent dans son pays et sur le continent, tandis que le dialogue entre Sarkozy et le président sénégalais n’a eu lieu que par télévision interposée pour aborder la question du pillage des cerveaux. Au bout du compte, la politique de Sarkozy en matière d’immigration est perçue là-bas non seulement comme une politique raciste, mais aussi comme un véritable pillage de tout ce qui peut exister comme richesses, aussi bien matérielles qu’humaines, à charge pour les consulats, dont le pouvoir de contrôle est renforcé en amont pour faciliter le travail des préfectures, de faire la sélection des individus autorisés à aller en France. Il suffira d’indiquer, à titre de motivation, l’absence de visas pour débouter la personne de sa demande. Les personnes hautement qualifiées et les « gros commerçants » disposent d’ores et déjà de la liberté de circulation, à l’instar des capitaux : qu’en est-il aujourd’hui des individus « normaux » ?

Comment interprètes-tu les réponses des partis politiques institutionnels à la loi Sarkozy ?
Je les trouve très molles pour plusieurs raisons. Comment les partis politiques institutionnels peuvent-ils se trouver dans l’incapacité de répondre à Sarkozy alors qu’ils pourraient le faire en s’appuyant sur des faits historiques en matière d’immigration ? De mon point de vue, l’histoire de l’immigration n’est pas une fiction ; elle est écrite sur la base de recherches d’historiens pour nous rappeler nos liens communs et nos responsabilités citoyennes. Quelques éléments sont à rappeler ici pour démontrer que la France n’a jamais été en situation d’offre mais de demande pour satisfaire ses besoins de reconstruction et de développement économique, et qu’elle a toujours choisi ses étrangers qui sont peut-être mieux placés que l’État français pour lui dire qu’ils l’ont toujours subi.
Le premier élément consiste à préciser que la suppression de la possibilité, pour les étrangers résidans habituellement en France depuis dix ans (ou quinze ans si, au cours de cette période, ils ont séjourné en tant qu’étudiant), d’obtenir une carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » vise à les mettre dans une situation d’irrégularité permanente et à satisfaire ainsi les conditions d’exploitation de ces mêmes étrangers par leur employeur. Je rappelle ici qu’il est rare de rencontrer un sans-papier en France qui ne travaille pas, et qui donc participe à la bonne santé de l’économie. L’État et le Medef sont bien placés pour savoir que la reconstruction des pistes de Roissy et la construction du stade de France, pour ne citer que ces deux grands chantiers, ont pu s’effectuer dans les délais parce que des sans-papiers qui subissent la précarité composaient une grosse partie de la main d’œuvre ; à ce titre, le Medef et l’État ont des comptes à rendre aux citoyens.
L’autre élément concerne le regroupement familial, notamment sur les conditions de ressources et de logement : il s’agit là d’une procédure de droit commun, qui a toujours été abordée par les différents gouvernements sous un angle restrictif. Les conditions de logement doivent toujours répondre à certaines normes de superficie, de confort et d’habitabilité. La superficie, la taille du logement exigées varient depuis toujours selon le nombre de membres de la famille. Concernant les conditions de ressources, la loi actuellement en vigueur prévoit que les ressources du demandeur « doivent atteindre un montant au moins égal au salaire minimum de croissance mensuel ». Ce qu’il y aura de « nouveau », c’est la non-prise en compte dans l’appréciation du montant et de la stabilité des ressources du RMI, de l’ASS, AAH, l’allocation d’insertion, etc. Ce qui ne change pas grand-chose par rapport aux précédentes lois. Il n’a jamais été possible qu’une personne (ou son conjoint) bénéficiant de certaines allocations puisse prétendre au regroupement familial. C’est là que Sarkozy a réussi son coup médiatique, en stigmatisant encore plus les populations en situation de précarité, ce qui n’est pas sans arrières pensés pour le gouvernement : il passe le message que les étrangers sont une charge pour les finances publiques par le biais des prestations sociales non contributives, faisant du pied au FN.
Un autre élément qui ne fait pas parti de la loi Sarkozy, concerne la dimension du traitement et de l’égalité des droits, notamment ceux des anciens combattants « étrangers » à l’égard desquels l’État français n’a jamais eu de considération. Après avoir été condamné par les tribunaux français, l’État français continue de faire main basse sur les droits des anciens combattants, de leurs veuves et des ayants causes, avec la complicité des États (par leur silence) dont sont originaires les anciens combattants. Pour percevoir aujourd’hui leur maigre droit, ils sont obligés individuellement d’engager des procédures en contentieux contre l’État français. Alors, quand Sarkozy se permet d’aborder la question de l’immigration, de parler d’intégration, d’englober tout ça dans un slogan « La France aimez-la ou quittez la », comme si les étrangers détestaient la France ou venaient l’envahir pour la piller, je suis inquiet du manque de punch des partis de l’opposition pour répondre de manière virulente à ce discours arrogant de mépris et de rejet.
Que les « militants » qui liront cet article me traitent de donneur de leçons, je m’en tape complètement, parce que j’estime qu’il est nécessaire de reprendre un travail de terrain sur la question des droits des étrangers, de l’égalité, de la citoyenneté, en se servant du cadre européen pour se battre sur les droits constitutionnels / droits fondamentaux que sont les droits aux logement, au travail, à la santé à l’éducation. L’engagement pour moi ne signifie pas faire de la contestation contestataire en passant d’une lutte à l’autre sans aller au bout des choses, en laissant des personnes dans des situations précaires. Il faut penser aux conséquences de nos actes et de nos actions et de leurs effets sur les personnes que nous sommes censés soutenir.
Peut-être qu’un jour, les organisations de solidarité internationale de développement, de défense des droits, de luttes sociales, etc. seront capables de capitaliser ce qu’elles intellectualisent si bien pour le traduire en actions de terrain favorisant la transformation et le changement... Je rêve ?

Suite de l’entretien dans le prochain No Pasaran.


[1] Chevènement était ministre de l’Intérieur au cours de la cohabitation Chirac / Jospin entre 1997 et 2002.


No Pasaran 21ter rue Voltaire 75011 Paris - Tél. 06 11 29 02 15 - nopasaran@samizdat.net
Ce site est réalisé avec SPIP logiciel libre sous license GNU/GPL - Hébergé par Samizdat.net