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AccueilJournalNuméros parus en 2002N°5 - Janvier 2002 > Une guerre fabriquée par Sharon

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Une guerre fabriquée par Sharon


par Adam Keller
[traduit de l’anglais par R. Massuard et S. de Wangen]


Tel-Aviv, 4 décembre 2001 - Depuis plus d’un an, c’était débattu dans les médias et dans les milieux politique et militaire : ce qui se passe entre Israël et les Palestiniens est-ce une guerre, ou n’est-ce qu’un " combat " ? Tôt ce matin, la question a été résolue : c’est vraiment une guerre. Le gouvernement d’Israël a officiellement et formellement déclaré comme ennemi l’Autorité palestinienne et son président Yasser Arafat, et a donné instruction aux forces armées sous son commandement de poursuivre activement et agressivement la guerre par terre, par air et par mer.

Ceci n’est pas un événement fortuit. C’est le résultat logique de la politique entreprise par Ariel Sharon depuis qu’il a pris le pouvoir en février ; et, en fait, c’est une continuation directe de la politique de Sharon ministre de la Défense du début des années 80 quand il a lancé l’invasion désastreuse du Liban dans le but de détruire l’OLP et d’expulser Arafat. Depuis qu’il est devenu Premier ministre, Sharon s’est rapproché de plus en plus de cette guerre totale. Des mesures d’oppression se sont accumulées sans cesse, l’innovation scandaleuse d’hier devenant la routine d’aujourd’hui. L’"étranglement" imposé à Ramallah dès la première semaine du mandat de Sharon et qui a déclenché alors de nombreuses protestations internationales était, en fait, bien moins sévère que le siège imposé à présent à chaque ville et chaque village de Cisjordanie.

Le même processus de banalisation a continué en ce qui concerne le bombardement des villes palestiniennes - d’abord par des tirs d’hélicoptères (déjà commencés sous Barak) puis par des avions de combat F16 et a continué avec l’assassinat de plus en plus fréquent de Palestiniens soupçonnés de terrorisme et avec les incursions armées dans les zones palestiniennes, d’abord pour quelques jours, ensuite pour des semaines et enfin pour des mois.

Il y a eu plein d’efforts et de plans de médiation tout au long du gouvernement Sharon. Le Premier Ministre n’en a jamais rejeté aucun ouvertement. Par contre il a utilisé ce qui jusqu’à maintenant semble être une méthode infaillible : demander fermement sept jours de " cessez le feu complet et absolu " avant que des négociations sérieuses puissent avoir lieu, et alors faire une grosse provocation juste avant que le nouveau cessez le feu soit sur le point d’entrer en vigueur. Ce qui est arrivé il y a un peu plus d’une semaine était l’utilisation particulièrement efficace de la technique : quelques jours avant l’arrivée du dernier médiateur, l’ex général américain Zinni, Sharon a autorisé l’assassinat par des tirs d’hélicoptères de Mahmoud Abou Hunud, un dirigeant du Hamas important et assez populaire pour être sûr que sa mort serait vengée avec les méthodes brutales du Hamas - d’autant plus que l’assassinat a eu lieu alors que l’opinion publique palestinienne était déjà embrasée par la mort de cinq enfants palestiniens provoquée par une charge explosive déposée par des sapeurs de l’armée israélienne (ce qui apparemment était un accident).

Le stratagème était, en fait, tout à fait évident. Il a été alors commenté dans les médias : le spécialiste Alex Fishman a souligné dans Yedit Aharanot (le 25 novembre) que l’assassinat de Abu Hunut avait rompu l’accord tacite entre Arafat et le Hamas de ne pas faire d’attentats suicides - un accord qui a été en vigueur pendant plusieurs mois, et dont l’existence pourrait bien avoir sauvé des dizaines de vies israéliennes.
Sans accès aux dossiers confidentiels de Sharon, il n’y a aucun moyen de prouver avec certitude que le Premier Ministre voulait réellement ce qui s’est passé. Il ne fait aucun doute que lui et ses conseillers militaires et de renseignement savaient bien ce qu’il résulterait de l’assassinat de Abou Hunud et cependant ils l’ont ordonné. Il ne fait non plus aucun doute que la vengeance sinistre de Hamas, causant la mort de 26 Israéliens choisis au hasard, était d’un bénéfice inestimable pour Sharon.

Elle lui donnait le prétexte parfait pour la déclaration de guerre contre Arafat, sabotant de fait la mission de Zinni et laissant les faucons du Pentagone prendre le dessus dans les conflits internes de l’administration du département d’Etat. Il en est résulté que l’attaque de Sharon contre les Palestiniens a reçu un soutien ouvert sans précédent de la part de Washington. Avec un tel soutien, Sharon pouvait se permettre d’adopter une attitude ouvertement méprisante envers son ministre des Affaires étrangères Simon Peres dont le prestige international en tant que lauréat du Prix Nobel de la Paix et artisan supposé de la paix était jusqu’ici vital pour le gouvernement Sharon. Désormais le Premier ministre pouvait se permettre de brandir sa déclaration de guerre à son cabinet et de balayer les objections de Peres.
Sharon a affiché sa nouvelle campagne comme "une guerre au terrorisme". Mais comment peut-on sérieusement prétendre que la cause de "la lutte contre le terrorisme" peut être défendue par le bombardement et la destruction des hélicoptères personnels d’Arafat qui, de toutes façons, ne pouvaient voler sans l’autorisation de l’aviation israélienne ? ou en envoyant des tanks et des bulldozers pour détruire les pistes de l’aéroport international de Gaza, qui a été inauguré il y a trois ans par le Président Bill Clinton en personne et qui a été fermé depuis le déclenchement de l’Intifada ? Ou en envahissant de nouveau Ramallah, dont une large partie a été récemment occupée par les tanks israéliens sans diminuer en rien l’intensité de la rébellion palestinienne ? Ou même, en ciblant systématiquement et détruisant les installations de la police palestinienne et des services de sécurité - le dispositif même avec lequel Arafat venait de commencer la tâche difficile et délicate de confrontation avec les Palestiniens radicaux. Vue dans la perspective d’un Premier Ministre israélien déterminé à maintenir l’occupation israélienne et la colonisation en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza, et à étouffer toute possibilité d’Etat palestinien, la campagne de Sharon de ces derniers jours prend tout son sens. Dans cette perspective, Sharon semble recevoir le soutien de l’administration Bush pour détruire ce que le Secrétaire d’Etat Powell présentait, il y a juste deux semaines, comme la vision des Etats Unis pour l’avenir de la région : une Palestine viable vivant en paix à côté d’Israël.


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