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AccueilJournalNuméros parus en 2006N°53 - Novembre 200620 ans de mesures sécuritaires - 20 ans de galères sociales > Criminalisation des pauvres : l’enfance du problème

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Criminalisation des pauvres : l’enfance du problème


Criminalité et pauvreté semblent aller de paire dans tous les débats actuels, cités en flamme, guérillas urbaines, personnes en situation dite « irrégulière », population carcérale en augmentation, nous sommes confrontés de plus en plus à une image d’une pauvreté criminel. De part ma profession, je suis plus que je ne l’aimerais confronté aux difficultés rencontrées par des groupes de personnes plus que jamais précaires. Néanmoins, je ne retrouve pas, d’une façon intrinsèque, l’image d’une pauvreté malveillante ou plus en proie à la violence et la délinquance que tout un chacun.


Il est tout d’abord intéressant d’essayer de saisir la nuance entre criminalité et délinquance. Petit rappel. Est criminel celui qui commet un crime, autrement dit, celui qui est l’auteur d’une infraction majeure à la morale et à la loi, acte qui se distingue par sa gravité. Est délinquant toute personne étant l’auteur de délit, c’est à dire un acte dont la gravité est intermédiaire ente la contravention et le crime.

La différenciation se fait donc par la nature de l’acte, son caractère unique rend difficile une globalisation.

Ces deux termes sont, sans distinction, bien trop souvent associés aux parties les plus vulnérables de la population. Existe-t-il une prédisposition naturel à la criminalité, ou bien peut être est-ce lié à un déterminisme social dans lequel le sujet est éjecté de son statut d’acteur ?

Victime ou bourreau voici aujourd’hui les deux seuls positionnements qui sont communément admis. P. Bourdieu nous a peu être laissé une ouverture afin de sortir de cette réflexion manichéenne. Le concept d’habitus nous permet d’associer une certaine forme de réalité sociale sans évacuer la place du sujet. L’habitus repose en effet non seulement sur une construction dans laquelle la socialisation primaire (famille) et secondaire (l’école) jouent un rôle fondamentale, mais également sur une évolution plus ou moins choisie par l’individu. Ainsi, si nous nous saisissons de cette notion, nous pouvons écarter l’idée quelque peu simpliste d’une pauvreté malveillante pour tenter de se rapprocher de la complexité inhérente à la compréhension des comportements humains.

Dans un premier temps, il est intéressant de se poser la question en partant non pas des événements criminels présentés dans les médias, mais de la façon dont nous nous saisissons de ces événements. Prenons pour exemple l’augmentation significative de la délinquance chez les jeunes en difficulté sociale. Nous pouvons nous apercevoir qu’aujourd’hui certains comportements liés au passage de l’adolescence se confondent avec les actes de délinquance.

Il ne s’agit bien évidemment pas d’attribuer tous les actes de délinquance à l’adolescence mais bel et bien d’expliquer un changement de points de vue par rapport à l’interprétation que l’on en fait.

En effet, pendant plusieurs décennies, les comportements déviants et /ou dangereux de l’adolescence s’expliquaient par des hypothèses psychanalytiques, psychologiques voir psychiatriques.

L’adolescence se trouvait être bien souvent associé à des états « Border line » (addictions, troubles alimentaire, schéma dépressif), ou pré-psychotique (notion de clivage du moi).

L’adolescence pouvait s’accompagner de troubles dit psycho-pathologiques dans deux dimension : précaire/réversible ou permanent/chronique.

Ces troubles se manifestaient alors : par des troubles addictifs (alimentaire ou poly-toxicomanique), par des troubles du comportements (fugue, errance, délinquance, actes auto-mutilatoires, hétéro-agressivité, violences sexuelles, jeux pathologiques), par des troubles névrotiques et/ ou psychotiques, psychosomatiques, états limites ...

A cela se rajoute les théories psychanalytiques, clivage du Moi, processus d’inviduation, processus de deuil, acceptation de la perte de l’objet archaïque ...

L’adolescent « déviant » n’était donc pas un individu nocif mais une personne considérée comme malade par la société du sommeil.

Aujourd’hui l’adolescence, à travers le prisme de la tolérance zéro, se trouve être désignée bien souvent comme criminelle. Ainsi l’usage de drogue qui pouvait être expliquée et interprétée comme le signe d’un mal-être grandissant dont la seule réponse efficace se trouvait dans la médecine, les sciences humaines et l’éducation, devient la marque d’une volonté criminel qui ne peut avoir pour d’autre réponse qu’une sanction pénal.

De la même façon, il est possible de percevoir une augmentation des actes criminels ou délinquants. La manière dont nous interprétons ces faits peut jouer un rôle certain.

Allons-nous vers une criminalisation des actes autrefois perçus avec plus de clémence ? Réunion dans les halls d’immeuble, mendicité, occupation de lieux inhabités, fraude dans les moyens de transport, tous ces comportements devenus criminels concernent essentiellement la partie la plus défavorisée de la population. N’y a t’il pas un fossé de plus en plus grand entre légitimité et légalité ?

De plus les lois nouvellement mise en application, sont elles une réponses efficace ou engendrent t’elles une complexification des situations ?

Dans ma profession j’ai pu observé les incidences et incohérences découlant de la loi Perben I et II ainsi que de la loi du 18 mars 2003 dite loi Sarkozy.

Le durcissement de la justice concernant les mineurs, prévoit un contrôle conjoint des familles et de l’enfant. Alors que la loi 2002.2 replace l’enfant et sa famille au centre du dispositif éducatif, les nouvelles lois sécuritaires contraignent à un flicage des familles provocant ainsi des contresens éducatif. Lois qui prévoient en cas de placement de l’enfant, une suspension tout ou partie des prestations sociales si les parents ne sont pas plein accord avec la proposition faite par le magistrat. Réfléchissons aux incidences que cette suspension peut avoir. Pour les familles les plus pauvres cette suspension en plus de connoté aux parents une diminution de leurs rôle ou de leurs pouvoir d’action auprès de leurs enfants, peut dans certains cas, signifié une perte tout ou partielle de leurs obligations parentale. Une mère sans domicile1 fixe qui ne dispose que des allocations familiales ne pourra même plus acheter quelques vêtements pour son enfant.

Autres déviances liées aux incohérences du système, la multiplicité des intervenants sociaux et judiciaires auprès des familles. Il m’est arrivé d’intervenir auprès de jeunes placés sous contrôle judiciaire sans jamais rencontrer les éducateurs PJJ censés mettre en place les procédures de réparation.

Enfin, j’ai étais parfois amener à rencontrer des « gens du voyage », ces derniers doivent pouvoir trouver sur chaque commune un lieu d’accueil. Or il est encore très courant que les municipalités refusent de mettre en place ces aménagements. De ce fait les gens du voyage s’installent sur des terrains municipaux non prévus à cet effet et deviennent, de par la loi du 18 mars 2003, criminels. Cette loi prévoit une sanction de 6 mois d’emprisonnement, de 3750 € d’amende ainsi que la suspension des permis et la confiscation des véhicules. Cet exemple pose deux problèmes, la première est de savoir qui est le véritable criminel, la municipalité qui refuse d’appliquer la loi et qui pousse ces communautés à la délinquance ou les gens du voyages qui répondent à ce refus par un acte de nécessité. La deuxième plus insidieuse nous amène à nous interroger sur l’effet que cela produit sur les enfants issus de cette communauté. Lorsque l’Etat protecteur devient persécuteur, quelles envies ou motivations peut emmener l’enfant à vouloir s’intégrer et à devenir un citoyens responsable ?

Certes les gens du voyage ne constituent qu’une petite partie de la population, mais les incohérences de ce type sont multiples, et pervertissent la socialisation des nouvelles générations.

N’y a t’il pas à partir de ces quelques remarques un angle nous permettant d’appréhender le problème de montée de la délinquance et des actes criminels. Plutôt que de désigner une frange de la population comme malveillante, posons-nous la question suivante, n’y a t’il pas eut plus de réaction que de réflexion ?

Les lois et les mesures prisent, ont-elles eu pour effet de répondre à des actes ou aux sources du dysfonctionnement ?

Quand aux effets, cela a-t-il engendré une baisse des comportements déviants ou cela a-t-il eu pour effet de légitimer ces actes dans l’esprit des personnes jugées coupables ?

Personnellement je suis en accord de l’hypothèse de P.Bourdieu qui explique que chaque individu réagit par et sur son habitus. C’est en effet la somme de ce que l’on a pu apprendre, associée à la manière de percevoir qui nous a été inoculé par notre milieu social, qui détermine, dans une certaine mesure, nos choix. Je suis éducateur, je porte professionnellement une double identité. Celle de l’agent chargé de pérenniser un système et celle de l’acteur ayant pour mission de le faire évoluer. Il ne s’agit pas pour moi de choisir entre une de ses deux identités mais de les porter ensemble.

De la même manière, il est néfaste de devoir choisir entre une adolescence malade et une adolescence criminelle.

La psychologie, la psychiatrie, la psychanalyse, l’éducation spécialisée peuvent permettre un accompagnement valable à l’échelle de l’individu.

L’éducation, la législation, l’organisme judiciaire, sont des outils indispensables pour répondre aux problèmes de société mais cela à condition de ne pas perdre les valeurs essentielles qui les justifient.

Justice doit être égal à protection et non à répression, éducation ne doit par être élevé (au sens animal) mais accompagner, Politique doit permettre un mieux vivre ensemble ...

L’idée d’une augmentation de la délinquance et de la criminalité dans la partie la plus précaire de la population et notamment des chez les jeunes n’a pas de sens car elle associe une sommes d’actes individuels qui n’ont de sens qu’à l’échelle de l’individu. Par contre l’augmentation du nombre de ces actes désigne bel et bien un mal-être de plus en plus partagé.

Il nous faut donc faire un choix entre une politique répressive qui ne répondra qu’à des actes individuels ou une politique consciente qui doit nous permettre de mettre en place les conditions nécessaires à un meilleur épanouissement de chacun-e.

Jérémy


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