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AccueilJournalNuméros parus en 2006N°53 - Novembre 200620 ans de mesures sécuritaires - 20 ans de galères sociales > Guerre aux pauvres !

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Guerre aux pauvres !


Depuis les premières révoltes des jeunes aux Minguettes à Lyon au début des années 80, la question des banlieues revient sur le devant de la scène médiatique à chaque nuit d’émeutes. En 30 ans le niveau de violences n’a fait que s’accentuer pour atteindre en 2005 un mois de crise. La dégradation des conditions de vies dans les quartiers populaires est dénoncée par tous les politiques mais à part colmater les brèches, rien de fondamental n’a été entrepris. Les multiples plans de ré-urbanisation et de relookage ne peuvent répondre aux délitements des identités sociales et à la misère économique. Pour maintenir l’ordre social, la police se retrouve donc au premier plan et le sécuritaire sous tous ses aspects (contrôle, répression, idéologique, politique, etc.) fait office de réponse politique.


A l’heure de la globalisation capitaliste, les banlieues résument sous toutes les latitudes [1] la place faite aux classes populaires par le système capitaliste. Bidonvilles, misères, exclusions, ségrégations, violences sont des données qui caractérisent toutes les périphéries des grandes villes de la planète-monde.

Ségrégation et apartheid social

La fin de l’Etat-Providence, de son rôle de régulateur économique à partir du milieu des années 70 se traduit en France par son désengagement des services publics et la privatisation des entreprises nationalisées en offrant au secteur privé les moyens des conditions d’exploitation de la force de travail les plus profitables pour les capitalistes. Cela passe principalement par une déréglementation des conditions de travail (développement du travail précaire et flexibilité) et par une réduction drastique des coûts d’entretien et de reproduction de la force de travail (réduction des budgets sociaux - par exemple la santé -, d’éducation...). Les Etats deviennent donc de gros ministères de l’intérieur chargés de réduire les coûts de la force de travail, d’en durcir les modes d’exploitation et de se doter des moyens de répressions suffisants pour parer à toutes éventualités si les exploités et les opprimés en viennent à remettre en cause cet ordre mondial. Un nouvel ordre mondial se fait jour : la mise en place d’un véritable développement séparé ou apartheid social. Trois points de vue concourent à étayer ce concept : l’exclusion sociale ; la construction européenne ; les rapports Nord/Sud/Est. Pour ne nous attacher qu’au premier l’exclusion sociale : les gouvernants et autres décideurs font le choix de sacrifier des pans entiers de la population. A la volonté d’intégration - économique et sociale - de l’ensemble des couches de la population, ils optent maintenant pour l’exclusion de certaines de celles-ci. L’ensemble des dispositifs, regroupé sous le terme générique de “ politique de la ville ”, a pour objectif essentiel de masquer la réalité de cette évolution. On évite ainsi de poser les problèmes à partir de ces choix politiques et de société. On stigmatise les populations qui sont victimes de l’exclusion et que l’on retrouve principalement dans ces quartiers ghettos : “les banlieues”. De même le terme immigré prend de plus en plus une connotation sociale. Une personne d’origine japonaise ou américaine sera très rarement vécue comme un ou une immigré ; par contre l’immigré regroupe bien souvent ceux qui seraient source de problème : les habitants des quartiers ghetto. De plus en plus l’immigré symbolise “ ceux qui vivent là-bas. ” Les nouvelles “ classes dangereuses ” seraient aux portes de nos centre ville. A l’échelle de la ville, la juxtaposition des cités ghettos, de l’ennui et de la misère, face aux quartiers chics, éclatants de luxe et d’opulence, participe à cette logique de développement séparé, d’apartheid social.

Stratégie de la tension

Depuis plusieurs années, le Ministre de l’Intérieur est spécialiste des petites phrases : “ La racaille ”, “ les juges laxistes ”, “ la Cour d’assises pour les attaques contre les forces de l’ordre ” dont l’objectif est d’attirer sur lui un électorat en demande d’homme à poigne forte. Le procédé est toujours le même ; on fait une déclaration tonitruante puis on laisse courir quelques jours pour voir ce que cela entraîne et on ré-intervient avec un ton plus mesuré mais évidemment en justifiant par les événement qui ont eu lieu entre les deux la première intervention. Cela a pour effet d’élever à chaque fois le niveau de tension entre les jeunes et la police.

La tournée de l’Association AC le feu né après les événements de Clichy sous Bois en novembre 2005 l’a encore démontré avec force au travers des 20.000 témoignages recueillis dans des cahiers de doléance, les jeunes n’en peuvent plus du comportement des policiers. Un jeune homme de 21 ans de Noisy le Sec : “Toujours les mêmes contrôles, trop de contrôles, abus de pouvoir, pas assez de respect, trop rigide dans leur tête. Proposition : il faudrait plus de jeunes policiers qui viennent des quartiers défavorisés.” Une femme de 20 ans d’Aulnay-sous-Bois : “J’habite Aulnay-sous-Bois et je trouve que la police n’est jamais là au bon moment, sauf pour emmerder le monde et surtout les jeunes. Il faudrait plus d’effectifs et surtout de dialogue, car il y a beaucoup de violence.” Une femme de 40 ans toujours d’Aulnay : “Les policiers ne sont pas dans les normes de contrôle, le langage est incorrect, propos raciales [sic] ils jouent avec les mots, traités comme des immargumènes [sic].” E l’on pourrait multiplier les exemples à souhait. Ceci n’est pas une constatation nouvelle. Depuis plus de 20 ans le constat sur les méthodes de la police dans les quartiers populaires, le racisme, le harcélement, les contrôles incessants ont été dénoncé avec force par de nombreuses associations. Ce qui a changé c’est qu’aujourd’hui ce n’est plus au travers de collectifs et de revendications dans l’espace politique et public que les jeunes s’expriment mais dans la recherche d’affrontements avec tout ce qui représente l’autorité publique ou apparenté (voir les incendies des bus [2]). Auparavant la violence s’intégrait dans un processus d’opposition aux pouvoirs publics et de construction d’un rapport de forces pour faire avancer des revendications ; Aujourd’hui la violence diffuse a pour effet de creuser le fossé entre les habitants des quartiers. Le sentiment d’abandon et de relégation dans des cités-ghettos ne fait qu’enfermer les gens dans des sentiments d’insécurité et de peur. L’apparition dans le petit écran de l’homme/femme providentiel qui martèle par des slogans simplistes le droit à plus de sécurité n’a aucun effet sur les réalités mais rassurent à bon compte.

Des revendications en rupture...

Dans son livre “ Parias Urbains ”*, Loïc Wacquant démontre avec force que le discours des politiques de droite et de gauche sur la croissance partagée pour sortir les banlieues de leur marasme est un leurre, un mensonge grave de conséquences. En effet plus il y a de croissance économique, plus la précarité se développe et moins les moyens d’assurer des conditions de vie stables sont établies. Le modèle américain à ce niveau est impitoyable car les dispositifs de régulation étatique sont encore plus faibles qu’en France démontrant ainsi toute l’importance de l’action publique. “ On ne peut plus s’illusionner à penser que ramener les citadins démunis sur le marché du travail va réduire durablement la pauvreté dans les villes - comme l’indique clairement le gonflement ininterrompu des rangs des “ working poor ” (travailleurs pauvres) aux Etats-Unis et leur apparition en Europe de l’Ouest alors que l’emploi total atteint des niveaux recors et comprend un volant croissant de postes déqualifiés. Face à la diffusion du salariat désocialisé et à sa fixation dans les quartiers de relégation, les approches keynésienne ou “ social-démocrate ” d’intervention étatique sont condamnées à achopper, décevoir et finalement à se décrédibiliser d’elles-mêmes. ” D’où l’impérieuse nécessité de mettre au premier plan des revendications, le partage des richesses qui passent nécessairement par une déconnexion des revenus de l’emploi. Et au-delà de la satisfaction des besoins sociaux (logement, éducation, santé), c’est aussi à une reconstruction d’identités sociales novatrices qu’il faut s’attabler qui ne peut reposer sur une reconduction de l’identité ouvrière comme le font trop souvent les mouvements de la gauche de la gauche. C’est donc un défi d’ensemble qui est posé aux associations et nous avons pu mesurer au cours de ces décennies passées toutes les difficultés pour ces dernières de garder leur autonomie. Il est vrai que l’état de délabrement des liens sociaux est réel dans les quartiers, mais tous ne sont pas à la même enseigne ; de plus une politique active des pouvoirs publics qui poserait comme point de départ le droit pour les habitant-e-s de bénéficier des moyens de vivre avec ou sans emploi serait un élément décisif pour inverser les logiques de relégation et d’enfermement de certains quartiers. Cette double rupture à opérer doit obliger l’ensemble des acteurs militants sur les terrains de l’exclusion et de la discrimination à se rencontrer et à élaborer des nouvelles plates-formes revendicatives.

Laurent


[1] Voir l’excellent Manière de Voir n°89 / Octobre-novembre 2006 ; Trente ans d’histoire et de révoltes.

[2] Le drame de Marseille est là pour nous rappeler que la perte de toutes les valeurs conduit aux pires des comportements. Il faudrait vraiment renier toutes les idées d’émancipation pour voir dans ces dérives “guerrières” des actes révolutionnaires. *Loïc Wacquant. “Parias Urbains”. Ed. La Découverte.


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