Retour accueil

AccueilJournalNuméros parus en 2006N°54 - Décembre 2006A Bas le pouvoir (de quelques uns) ! Vive le pouvoir (de chacun) ! > Une critique du pouvoir

Rechercher
>
thème
> pays
> ville

Les autres articles :


Réflexion

Une critique du pouvoir

... notamment dans ses formes contemporaines d’emprise


Quelques éléments pour cerner les formes de pouvoir actuelles. Dans ce qui semble souvent être un chaos social, un cheminement, pour cerner les formes contemporaines de pouvoir, peut consister à partir d’une étude de la mondialisation capitaliste et de repérer les effets de cette structuration lourde sur nos vies. Une autre voie à creuser - les deux se rejoignent - c’est d’étudier les rapports de force dans la vie quotidienne : sur quels attributs sociaux et modalités reposent-ils ?


Le pouvoir, dans sa définition classique, c’est contraindre la volonté d’un sujet, avec ou sans coercition, à agir selon le bon vouloir d’un individu (chef) et / ou d’un corps institué (entreprise, État). L’individu qui a le pouvoir s’appuie sur tout ou partie de plusieurs combinaisons de facteurs qui lui permettent de l’exercer :
- Le savoir et l’information : le dominant a des informations que les subordonnés n’ont pas. Comme l’a analysé Foucault, savoir = pouvoir. Avec le niveau de technicité actuelle, le savoir a pris une place prépondérante.
- La propriété privée et le contrôle des ressources : le dominant possède des biens en nombre et dirige ou contrôle des ressources nécessaires à la vie d’une communauté (le « pouvoir de l’argent »).
- Coercition : le sujet est capable d’infliger des dommages physiques, moraux ou matériels à autrui. Licenciement pour un patron, usage de la force par la police de l’Etat, retrait de capitaux dans un pays qui refusent de suivre les règles du FMI et des multinationales, guerre de basse intensité ou... renvoi des enfants dans leur chambre en cas de bêtise.
- Manipulation : le dominant contrôle les médias, la propagande afin de façonner les opinions d’autrui. Par exemple, pour les capitalistes, il est important de mettre l’Éducation nationale et supérieure sous la coupe de leurs intérêts afin de la professionnaliser, d’adapter les enseignements à leur recherche de profits en diminuant ou éliminant le superflu (littérature, philosophie, géographie, histoire, éducation physique, tout ce qui sert à rien, à part à rester/devenir humain).

Fascination, acceptation et dilution de la responsabilité

Les structures dominantes de pouvoir que sont l’Etat et l’entreprise n’ont plus de rapports de force ou d’intermédiaire avec la société civile qui soient réellement organisés. Nous sommes des individus isolés qui établissons des contrats déséquilibrés avec les deux institutions sus citées. L’individualisme, la difficulté à établir du collectif fragilise les populations ; c’est une forme de précarité. Les syndicats regroupent en majorité des encartés qui donneront, de temps à autre, leur avis, peu des militants partant pour l’action vivante et collective.

Ces deux pouvoirs institutionnels et notamment l’entreprise établissent aussi des rapports complexes et ambivalents vis-à-vis des individus. Si le salarié obéit, il peut avoir une promotion, une augmentation. Peut être. Avec la raréfaction des ressources (précarisation, hausse du coût de la vie) chacun-e fait vite son petit calcul : on peut perdre tout ce qui reste si l’on se révolte (et perdons), on aurait une faible chance de récupérer un nonos à ronger si l’on reste sagement obéissant. Le raisonnement reste, le plus souvent, individué.

Les chiffres de vente de la presse people et ce, partout dans le monde, le démontre : le pouvoir fascine, et quand les populations en sont privées, une part d’entre elles « rêve » devant le faste et les actes démesurés des puissants. Cette fascination béate renforce l’emprise que peuvent avoir certaines forces politiques. Par exemple, Silvio Berlusconi avait contre lui, lors des dernières élections législatives italiennes, l’ensemble des corps constitués, patronat compris (il lui reprochait des « lois » économiques uniquement en sa faveur). Malgré cela, malgré toutes les affaires, malgré sa politique ultra-libérale dont souffre la majorité des habitants du pays, il a quasiment fait jeu égal avec Prodi. Un sourire ultra-light pour un empire, on croit rêver mais c’est l’état des démocraties actuelles.

Des explications plus psychanalytiques existent : dans des périodes de troubles les populations cherchent les hommes ou femmes fortes, qui assoient leur pouvoir même en les écrasant : les partisans d’un accroissement des politiques sécuritaires font 70-80% des intentions de vote au total pour les présidentielles 2007 (Royal + Sarko + Le Pen, j’enlève Bayrou qui en parle moins). Les pulsions de destruction sont détournées, par lâcheté et bêtise, contre les immigrés, djeunes, chômeurs et autres « anormaux ».

Enfin, dans un groupe informe, une « masse » la responsabilité est diluée. C’est la faute des autres, je ne suis responsable de rien, puisque si je veux, je fais un pas de côté, ou me tais, ou n’apparais pas. Cette façon de fuir le pouvoir pour mieux rejeter la faute sur autrui existe jusque dans les mouvements sociaux ou l’anonymat d’Internet, la distanciation avec des assemblées générales, est parfois bien pratique pour ne pas se confronter aux corps et prendre des engagements. L’ellipse de confort : chacun-E d’entre nous a pu se servir de cette tactique, c’est devenu un mode de gestion des rapports comme un autre. C’est un cercle vicieux : les rares personnes qui essaient de prendre du « pouvoir-faire » (et non pas du pouvoir sur les autres) recevront tout sur le dos en cas d’échec, il y aura donc moins de personnes qui prennent ces risques, etc. Cet affaiblissement de l’influence et du « pouvoir faire » des mouvements sociaux est inéluctable si l’on n’accepte pas de prendre des coups en réinvestissant l’espace public et associatif. Cette fascination pour l’emploi de la force d’une part, l’espoir d’avoir quelques miettes du gâteau de l’autre, la déresponsabilisation enfin, explique l’acceptation aux dominations en partie. La seconde explication étant la difficulté à créer du collectif : mieux vaut subir qu’agir ensemble semble être devenu la règle (v. article sur l’engagement)

Invisibilisation et ramifications

A ce sujet les formes de pouvoir actuels sont difficiles à cerner. Le développement de la décentralisation multiplie les rapports de force entre régions, qui se livrent à une guerre de pouvoir pour attirer subventions et capitaux privés : les intervenants administratifs se multiplient (ex : contrôle des chômeurs).

Il y a un siècle les patrons et les propriétaires des entreprises capitalistes ne formaient qu’un seul corps. Aujourd’hui le patron se présente comme un intermédiaire entre les actionnaires majoritaires et les salariés. Le pouvoir dans une entreprise privée est invisibilisé : nous ne croisons jamais les réels dirigeants, ou ne pouvons mettre que difficilement des noms et des visages dessus.

Le développement du corps intermédiaire des cadres a eu pour effet, également, d’accroître les capillarités subtiles du contrôle social - les salariés y participent pour la plupart pleinement en cherchant à se faire valoir, et ce dans un contexte d’intensification du travail qui multiplie les erreurs et les accidents (voir la multiplication des rappels de voiture dans l’industrie automobile, qui comprime ses salariés). La division contemporaine du travail, c’est-à-dire le saucisonnage de la production de bien et de services entre de multiples bureaux et segments de chaînes de production créée l’aliénation, celle-ci est accentuée par la rationalisation de la technicité.

L’injonction de l’urgence et de la nouveauté

Cette nécessité d’urgence, de travailler en flux tendu, au moins dans le secteur privé, renforce le pouvoir de ce qui l’ont déjà et rend difficile toute réflexion et réponse collective. C’est le cas de beaucoup de monde : on passe souvent nos journées à se dépêcher. Plus le temps est comprimé, moins nous avons la possibilité de récupérer du pouvoir sur nos vies. C’est d’ailleurs pour cela que le dispositif des villages autogérés nous avait semblé indispensable au réseau No pasaran pour recréer des formes de vie collective qui ne soient pas comprimés, de larges espaces non-marchands ouverts à toutes et tous.

Au nom de la course perpétuelle à la nouveauté, les savoirs sont vite périmés et dépassés pour la plupart d’entre eux (technologie) et le pouvoir semble nous échapper, le sentiment par exemple qu’ont les informaticiens d’être bons pour la casse dès 40 ans, etc.

Le pouvoir aux techniciens

Savoir = pouvoir. Le développement de la technique renforce le pouvoir de ses concepteurs et propriétaires. L’enjeu autour des nanotechnologies et de la privatisation du vivant n’est connue que d’une faible par de la population. Les « élus » n’abordent jamais cette question et pour cause : elle appartient désormais à la sphère privée, qui a laissé quand même le hochet du clonage humain pour que d’obscures commissions d’éthiques puissent « s’amuser » et ce, déconnectées des populations.

Prenons un autre exemple issu de la vie courante. Si vous aviez un ennui mécanique avec votre voiture, vous pouviez le régler vous-même, ou faire appel à un parent, ami... Avec l’électronique cela sera un technicien. Avec la complexification du droit dans tous les domaines, le citoyen se retrouve aussi diminué ou aliéné et doit s’en remettre à des spécialistes. Idem pour les normes des habitations : il faut faire appel à des spécialistes habilités ou, tout du moins, le droit est censé nous y contraindre...

Le flicage électronique (vidéo surveillance) échappe également non seulement à tout contrôle démocratique, mais les caméras sont invisibilisées : on ne sait pas (immédiatement) où il y en a en ville, à quoi elles servent... On peut compter sur la faiblesse des analyses en aval, mais les moyens techniques existent et peuvent tomber demain entre les mains d’un régime totalitaire.

Des résistances existent : domaine des logiciels libres en informatiques, mais les pouvoirs des techniciens tendent à s’accroître ce qui ne naît pas nécessairement d’une intentionnalité mais va dans le sens des intérêts capitalistes ou tout du moins, d’une multitude d’entreprises.

Un exemple de technicité politique : le traité de constitution européenne, qu’on a coulé (sans remord ni regret !) : tout a été fait, tous les médias se sont ligués pour que les citoyens n’y comprennent rien et confondent l’esprit de l’idéal européen avec la lettre du traité, qui tendait vers la privatisation de l’ensemble des services et du vivant (excusez du peu) Cette technicité est antidémocratique : le juridisme abscons de techniciens aux services des intérêts capitalistes a tenté de remplacer le débat sur dans quelles société nous voulons vivre, le comment ne venant qu’après.

Pouvoir de l’argent et du statut social

Une première lecture donne la quête d’argent et de statut social comme le modèle culturel dominant pour une majeure partie de la population. Il faut être ou paraître riche pour être mieux intégré à la société. Certes il y a l’égalité des chances... pour ce modèle unique : certains gagneront, d’autres perdrons. Si l’on accepte cet état de fait, on peut désigner cette culture sous l’emprise d’un darwinisme social.

Le pouvoir ne s’exerce pas en effet de façon neutre ; la culture sociétale dicte et imprègne ses modalités d’emprise. Si le modèle c’est gagner le plus possible d’argent, la population pourrait se révolter. Seulement, il y a le loto/euromillions, et toujours la possibilité, faible, d’avoir une promotion sociale. Evidemment, on peut jouer au loto et faire autre chose dans sa vie... Mais l’obnubilation pour l’argent est prégnante. Sensible si l’on demande, par exemple, si l’on peut oui ou non s’amuser même sans argent ou dans les rapports avec autrui (nécessité d’avoir de beaux vêtements qui soient ou paraissent chers). Les rapports humains peuvent s’arrêter à la présentation ou au statut social.

Cette valeur dominante rend l’assise du pouvoir plus facile : il suffit de promettre plus d’argent si les populations suivent un candidat qui prône l’augmentation du pouvoir d’achat, un patron qui dit qu’avec plus d’efforts, une meilleur paye (souvent « peut-être »)... Les jeux d’argent détournent de l’action collective : c’est moins fatiguant de gratter la case que de coopérer avec autrui. Tout pouvoir n’a aucun mal à percer dans un tel individualisme pesant.

Médias, mondialisation et théorie du soft power

Le quatrième pouvoir ne serait-il pas en passe de devenir le premier ? Les médias façonnent les opinions et créeent ce que Chomski appellent du consensus : les pensées conformes deviennent dominantes, plus rien ne peuvent s’opposer à elles. La mondialisation par exemple est « inéluctable », les « réformes » sont « nécessaires » ; la France ne peut pas poursuivre la voie du « déclin », etc. Cette pensée qui est celle des castes dirigeantes est relayée par les médias (rôle de médiation réel) mais là où les médias prennent le pouvoir, c’est lorsqu’ils considèrent la mondialisation capitaliste comme le seul horizon indépassable en présentant toute opposition comme anecdotique. Informations expédiées, ou inexistantes, sur le mouvement des précaires, celui du Chiapas, par exemple. 50 chasseurs en rogne à l’ouverture de la chasse feront la une à l’ouverture des JT, les mouvements sociaux sont relégués à des reportages en 15 ou 30 secondes lorsqu’ils existent.

Enfin le soft power, théorisé par un ancien secrétaire d’Etat à la défense américaine du nom de Jacques Nye, présente une forme contemporaine de pouvoir qui n’a plus d’emprise directe mais procède par assimilation des populations. Il s’agit en quelques sorte d’une stratégie inverse à celle de l’Empire romain : on assimile d’abord les consciences par la « culture », on conquiert les territoires (ou les marchés qu’après). Dans le dispositif du Soft Power la fiction a une place déterminante, il s’agit d’occuper le champ des consciences en exportant l’American way of life et les images qui vont avec. Cette stratégie correspond à la temporisation des rapports sociaux, à une forme de compromis permanent du centre (le fait que tous les pays gouvernent « au centre », etc.). De l’impérialisme brutal du XIXe/XXe siècle on passe à une conquête plus pernicieuse : une stratégie d’endormissement, vers une société du sommeil qui, entre antidépresseurs et consommations de fiction (deux traits dominants actuels) laissera en souriant faiblement les pleins pouvoirs aux castes politico-économiques. Souriez vous êtes aliénés...

Raphaël


No Pasaran 21ter rue Voltaire 75011 Paris - Tél. 06 11 29 02 15 - nopasaran@samizdat.net
Ce site est réalisé avec SPIP logiciel libre sous license GNU/GPL - Hébergé par Samizdat.net