Retour accueil

AccueilJournalNuméros parus en 2006N°54 - Décembre 2006A Bas le pouvoir (de quelques uns) ! Vive le pouvoir (de chacun) ! > Pouvoir et démocratie

Rechercher
>
thème
> pays
> ville

Les autres articles :


Concepts

Pouvoir et démocratie


Démocratie est un mot grec, de demos, le peuple et cratos le pouvoir. Etymologiquement, démocratie signifie donc le pouvoir du peuple. Or, il n’existe pas qu’un seul type de démocratie. Peut-on vraiment parler véritablement de pouvoir du peuple dans tous les cas ? Revenons sur quelques principes de base.


Aujourd’hui, l’ensemble des régimes démocratiques est dit « représentatif », et repose sur certains principes de fonctionnement :
- les gouvernants sont désignés par élection à intervalles réguliers ;
- les gouvernants conservent une certaine liberté dans leur décision une fois élus ;
- les gouvernés sont libres d’exprimer leurs opinions et leur volonté politique ;
- les décisions sont soumises à la discussion publique. Or, ces différents éléments organisent la confiscation du pouvoir. Le peuple (ou du moins la minorité de la population ayant voté pour le/ les vainqueurs) [1] désigne ses représentants et ce, régulièrement, il peut ainsi exercer un certain contrôle, c’est-à-dire qu’il peut les révoquer : mais pour cela, il doit attendre l’échéance électorale suivante. Certes, il peut se révolter, mais ainsi que de nombreux gouvernants ont pu le seriner, « ce n’est pas la rue qui gouverne ». En outre, les électeurs ne décident pas librement parmi l’ensemble des citoyens lequel sera leur représentant. Il choisit parmi un petit nombre de candidats déclarés qui briguent un mandat. Or, ce petit nombre s’est constitué en une classe de professionnels de la politique, qui s’accaparent le pouvoir.

D’autre part, les électeurs donnent un blanc-seing aux gouvernants pour la durée de leur mandat. En effet, c’est la particularité du mandat représentatif : celui-ci donne toute liberté d’action à son détenteur. De plus, la discussion publique est largement orientée par les médias, mais également les partis politiques. Dans une démocratie représentative, les partis jouent en effet un rôle primordial : « Un parti n’est pas [...] un groupe d’hommes qui se proposent de promouvoir l’intérêt public en appliquant un certain principe sur lequel ils sont tombés d’accord ». [...]

Certes, tous les partis se muniront, cela va de soi, à tout moment considéré, d’un stock de principes [...] de plate-forme électorale et ces articles peuvent caractériser ce parti et contribuer à son succès tout comme les marques des marchandises vendues par un grand magasin peuvent caractériser ce grand magasin et contribuer à sa réussite. Cependant un grand magasin ne peut être défini par ses marques et un parti ne peut pas davantage être défini par ses principes. Un parti est un groupe dont les membres se proposent d’agir de concert dans la lutte concurrentielle pour le pouvoir politique. » [2]

Dans cette lutte concurrentielle, ce sont les partis qui décident des problèmes en instance et non les citoyens.

Dans ces conditions, difficiles de conclure, au pouvoir du peuple. Et c’est sans doute la prise de conscience du décalage entre la volonté du « peuple » et celle des élites politiques qui a conduit à ce que l’on nomme la crise de la représentation. C’est alors que la « démocratie participative » est sortie du chapeau.

La démocratie participative : du sparadrap sur la fracture

La démocratie participative est un concept assez flou : le plus petit dénominateur commun à toutes les initiatives est la volonté d’augmenter la participation des citoyens à la vie politique. Ses mises en œuvre sont très diverses. Dans certains pays, comme en Suisse, l’expérience va jusqu’à donner aux citoyens l’initiative législative.

On pourrait se féliciter de cette possibilité, mais il faut aussi en mesurer les risques. Imaginons que des citoyens souhaitent rétablir la peine de mort. En choisissant le bon moment, leur projet aurait plus de chance d’abolir que toutes les initiatives parlementaires. Les projets proposés par une minorité de citoyens ne sont pas toujours les plus progressistes (la Californie a ainsi interdit l’accès des étrangers illégaux aux services publics suite à un référendum d’initiative populaire).

Maintenant, venons-en à ce qui est proposé en France. Tout d’abord, la procédure de débat public a été mise en place pour les projets d’infrastructures et d’équipements (le plus médiatisé ayant été celui du 3ème aéroport de Paris). Si le point de vue des populations est réellement pris en compte, on peut s’interroger sur la pertinence du niveau du questionnement. Prenons l’exemple des éoliennes. De façon largement majoritaire, la population considère comme nécessaire la mise en place d’énergies propres mais lorsque le débat est posé au niveau local, on se heurte à un refus (bruits, dénaturation du paysage...) Il manque donc une coordination à un niveau plus global et on assiste à la victoire des intérêts particuliers.

A cela s’ajoutent des consultations diverses des citoyens par le biais de questionnaire, de comité de quartier...Et là, on frise le ridicule, tant sur les sujets choisis que sur le fonctionnement. Le cadre extrêmement restreint est fixé par le pouvoir politique et la population y participe peu (ou moyenne d’âge : 60 ans et +), ce qui peut se comprendre vu le cadre (à Tulle, cela consiste à débattre sur le bruit d’une mobylette à pot percé qui tourne dans un quartier, à Limoges, un questionnaire a été envoyé sur, entre autres, le choix des espèces de fleurs, etc.) Dans tous les cas, il s’agit plus de redonner une légitimité au pouvoir des représentants que de donner du pouvoir au citoyen. Au mieux cela pourrait créer une classe de sur-citoyens et de sous-dirigeants, un corps intermédiaire.

Vous l’aurez compris, la situation ne nous satisfait pas plus. Seule la démocratie directe, en donnant le pouvoir à tous permet de surmonter le problème de la confiscation du pouvoir par quelques-uns et donc de la professionnalisation et l’institutionnalisation de celui-ci.

De la démocratie directe

  Plus qu’un régime politique, la démocratie directe est un projet de société. Tout d’abord, elle a pour vocation de s’étendre à l’ensemble des niveaux de la société, c’est à dire à tout groupe humain (du couple au monde en passant par les organisations de production). D’autre part, parce qu’elle suppose d’avoir du temps pour la discussion et la prise de décision, car si tous n’ont pas la possibilité de participer aux débats, la démocratie directe ne sera que fiction. La mise en place d’une démocratie directe suppose ainsi de changer radicalement notre rapport au travail et l’organisation de la production dans la société.

Qu’en est-il des modes de fonctionnement concret de la démocratie directe ? Petit retour à l’Antiquité. L’Assemblée athénienne se réunissait quatre fois par an et chaque membre pouvait s’exprimait sur le sujet de choix à condition de savoir tenir son auditoire (condition qu’il convient pour notre part d’oublier). Un Conseil de 500 membres, tirés au sort parmi une liste de volontaires était chargé de préparer les délibérations. Ces membres restaient en fonction un an, et pouvait entrer en fonction une deuxième fois après un intervalle. Une troisième candidature était impossible. A l’intérieur du Conseil, un bureau de 50 membres se réunissait tous les jours et pourvoyaient aux tâches administratives. Le bureau était renouvelé 10 fois par an et la présidence du pouvoir exécutif changeait tous les jours. On ne peut bien entendu prendre la démocratie athénienne pour modèle. En effet, il ne faut pas oublier qu’elle excluait les femmes, les « métèques » et les esclaves, qu’elle reposait sur le système de l’esclavage (qui permettait aux citoyens d’être dégagé des tâches de production).

Cependant, certains éléments dans l’organisation apparaissent des plus intéressants, car ils permettent de limiter la prise de pouvoir. En effet, la désignation par tirage au sort permet d’éviter une compétition des « ego » pour briguer une place de « pouvoir » et évite que les fonctions importantes soient réservées aux personnalités les plus influentes. D’autre part, la rotation des mandats empêchent la professionnalisation et la constitution d’experts détenant un mandat en raison de compétences particulières et prendraient ainsi un pouvoir important. L’apport de la démocratie athénienne s’arrête là.

A cela, nous devons ajouter la nécessité de la mise en place de mandats impératifs. Contrairement au mandat représentatif, le mandat impératif est un cahier des charges, plus ou moins détaillé, auquel le détenteur du mandat doit se tenir. Le mandaté est alors la voix de l’assemblée. Et cela ne va pas sans la possibilité de révoquer le mandat à tout moment : on n’attend pas d’avoir foncé dans le mur pour arrêter la voiture.

Voilà pour les principes de bases de la démocratie directe. Pour finir, je voudrais juste lever quelques objections et balayer quelques lieux communs sur la démocratie directe et son fonctionnement.

« La démocratie directe, c’est possible dans un petit groupe mais pas à l’échelle d’un pays » Certes, s’il s’agit de réunir 61 millions de personnes pour discuter, cela risque d’être difficile. Mais, s’il s’agit de coordonner une action à cette échelle, le système des mandats le permet.

« Le mandat impératif est trop rigide » Evidemment, un mandat trop précis sera inefficace, lorsqu’il s’agit de négocier avec d’autres. Mais, tout d’abord, plusieurs allers-retours peuvent être fait avec le groupe mandatant avant toute prise de décision. D’autre part, rien n’interdit de laisser une latitude d’action au mandaté. Et oui on peut faire confiance, sans compter que le mandat est révocable.

« Dans les débats, les grandes gueules auront plus de pouvoir. » Des « petits trucs » d’organisation des débats peuvent limiter largement le phénomène : tour de tables au début et à la fin, limitation des temps de parole, priorité à ceux qui ne se sont pas encore exprimés dans le débat.

Et il en est de même pour toutes les formes de domination, de pouvoir pouvant apparaître, à chaque groupe de mettre en place les moyens de la dépasser. La démocratie directe (que l’on pourrait aussi appeler autogestion) s’apprend (d’autant que la société actuelle ne fait rien pour nous y préparer) mais elle se construit et s’invente : pour que le pouvoir appartienne à tous de manière égalitaire et de ce fait, n’appartienne plus à personne.

Bonnie


[1] Prenons un petit exemple, Jacques Chirac est devenu président des Français alors qu’il n’a été choisi qu’au premier tour que par à peine 10% de la population française de plus de 18 ans.

[2] Joseph Schumpeter, Capitalisme, socialisme et démocratie, 1942


No Pasaran 21ter rue Voltaire 75011 Paris - Tél. 06 11 29 02 15 - nopasaran@samizdat.net
Ce site est réalisé avec SPIP logiciel libre sous license GNU/GPL - Hébergé par Samizdat.net