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AccueilJournalNuméros parus en 2006N°54 - Décembre 2006A Bas le pouvoir (de quelques uns) ! Vive le pouvoir (de chacun) ! > Pouvoir et engagement

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Réflexion

Pouvoir et engagement


Il nous semble urgent de briser la symphonie électorale par un contrepoint : nous devons toutes et tous nous engager pour récupérer du pouvoir sur notre vie et sur la société. La société de l’attente nous fait miroiter des « espoirs » : l’élection de Royal, gagner au loto, avoir une promotion sociale... Et si nous étions présent ? Si nous prenions plus de temps pour analyser la correspondance entre nos actes et les situations que nous vivons ? Nous sommes essentiellement ce que nous faisons, rien ne sert d’attendre, il faut exister à point. Le pouvoir que nous avons naît de nos engagements, essentiellement dans la durée.


Afin de contrer l’hégémonie capitaliste, les mouvements révolutionnaires et de transformation sociale doivent faire vivre d’autres valeurs qui sont asymétriques et qui partent d’autres principes :
- le savoir et l’information : au lieu de bourrer le mou aux gens, occupons nous de renforcer l’esprit critique via une éducation alternative pour les enfants qui leur permettent de se responsabiliser et de se saisir du savoir, de créer, d’être « éduqué » à la sensibilité (cf. pédagogie Freinet).
- le bien commun : définir a minima dans quelles sphères de la société les intérêts et pouvoirs privés ne doivent avoir aucune emprise : gestion de l’eau, éducation, transports publics, poste, énergie...
- la coopération : le modèle coopératif a une existence réelle souvent trop pâle et marginale dans des associations, syndicats, etc. Nous ne pouvons renforcer le collectif qu’en nous y confrontant : apprendre à écouter d’une part, expliquer son point de vue en argumentant calmement de l’autre, prendre en compte les intérêts d’autrui...
- Franchise et honnêteté intellectuelle : être franc c’est être libre, étymologiquement parlant. La conduite individuelle a à voir avec la politique et c’est en abordant directement les sujets qu’on évite l’habitude de la captation du pouvoir, en enfouissant rien qui ne nous soit commun sous le tapis.
- sphère publique / privée : pour qu’aucune forme de totalitarisme du pouvoir ne puisse exister la vie privée doit rester au maximum opaque à un phénomène de panoptisme social. En cela nous devons à la fois combattre et nous déprendre des formes de contrôle social notamment celles des Etats et entreprises (interconnexion des fichiers, vidéo-surveillance)

En tout cas, nous ne pouvons combattre toute forme de totalitarisme, qu’en nous comportant et agissant différemment. La fin ne justifie pas les moyens, elle s’en déduit.

De l’engagement au pouvoir : durée

Qu’est-ce que l’engagement ? L’engagement peut être considéré comme une poussée constante dans une activité et/ou dans un sens donné. Il ne débute pas par l’acte même, mais par une décision antérieure et « interne » de l’individu, qui est généralement inconsciente au début et qui peut prendre un temps assez long de maturation. L’engagement et le pouvoir faire qui en découle ont un rapport avec la durée. Le fait de prendre et de suivre des engagements, au lieu de subir des contraintes, pousse déjà à une rupture possible (et surtout indispensable) avec une société utilitariste à courte vue, la société où le capitalisme s’invite malgré nous dans chaque situation. Le fait de s’engager n’est pas gage d’émancipation ou de « qualité » de l’engagement, et pourtant une temporalité s’installe déjà au-delà de la société du travail précaire, et malgré elle. Benasayag parle de la société de l’évitement de l’effort : avoir un maximum de plaisir avec un minimum de contrainte. J’ai envie de creuser cette question sous un autre angle : si je ne fais pas d’effort personnel je subis ou suivrai ce qu’il se fait par ailleurs, et mon existence s’effacera, un temps, ou longtemps. Pas de liberté, pas d’existence sans effort : on prend une liberté, un droit. Nous existons au travers de ce que nous faisons, il n’y a pas de conscience pure qui serait déconnectée d’un quelconque effort. Enfin, les sportifs ou artistes entre autres le savent, plus l’effort est grand, plus le plaisir l’est également !

Une méthode : un engagement situationnel en prise avec une société donnée

L’engagement libertaire suppose de coopérer avec autrui sur des bases où pouvoir serait socialisé. La contrainte des corps ne peut pas exister sans consentement. Cela veut dire que la création de liens est nécessaire, indispensable dans une situation donnée et qu’il faut prendre le temps de le faire, de s’expliquer, de comprendre les motivations d’autrui et d’en chercher de communes (quitte à bousculer parfois, sans contraindre). Cela signifie, pour pousser plus loin, que pour transformer il faut aussi s’adapter à une situation et pouvoir faire des concessions, non pas sur les principes, mais souvent sur le choix des activités. Ce que l’on fait dans d’autres groupes sociaux, en couple, dans des groupes d’amis, sera rarement fait en politique.

La clé de l’engagement se situe, dans ce qui nous concerne dans la question de l’intrication de chaque personne avec un groupe donné. Les problèmes que nous rencontrons au sein des mouvements sociaux résident dans la question du collectif. Il s’agit d’une intersectionnalité entre l’individu, le collectif, et une société donnée.

Emergence d’autres savoirs et d’autres pratiques

Mais pourquoi certaines formes de collectif, notamment politiques, mettent les individus mal à l’aise ? La société utilitariste, celle de la culture et de l’économie capitaliste, stratifie et hiérarchise fortement les savoirs et activités : il y a ceux qui rapportent de l’argent, du statut et les autres qui sont minorés. Ainsi dans nos réseaux politico-humains, des personnes arrivent parfois en nous disant qu’elles ne savent pas faire grand-chose, mais sont rassurées au bout de quelques temps : savoir bricoler, écouter autrui, faire beaucoup avec peu en cuisine, ou organiser peut être utile chez nous. A l’opposé du spectre admis et conforme, les savoirs universitaires sont souvent plus utiles dans nos mouvements que dans le salariat qui en demande peu en fait.

C’est par l’émergence de la lisibilité des compétences et savoirs que chacun pourra se sentir à l’aise, reconnu et utile pour le collectif. C’est un vrai chantier qui rentre dans la stratégie globale. Un raisonnement inverse et non excluant de celui du capitalisme : non pas sélectionner mais élargir le champ des possibles.

Les mutations de l’engagement politique

Mutation ou crise ? Pendant un siècle tout type d’engagement politique de gauche, social et émancipateur s’est situé par rapport au curseur communiste : les gauchistes, les libertaires ou socialistes parlementaires étaient obligés de se « justifier » par rapport à lui. L’idée motrice était celle du progrès : l’union de tous les humains allaient apporter la victoire, il suffisait de s’occuper de l’organisation et de lancer des appels pour qu’effectivement une large part de la population et notamment les ouvriers y « répondent » ou, a minima, en débattent. C’étaient les masses qui se soulevaient, pas les individus, pas dans le sens où les gens étaient toujours nombreux dans les manifs, ou faisaient grèves par automaticité (dès les années 1950 notamment le rapport a été plus complexe) mais dans le sens où la notion d’individu n’occupait pas encore la totalité du champ. La discussion avec d’anciens militant-e-s du PCF, qui aurait, aujourd’hui, autour de 60 ans, est très éclairante à ce sujet. Les engagements duraient 20, 30 ou 40 ans, les personnes s’engageaient très tôt que ce soit par l’usine puis via la fac, et restaient longtemps dans une structure extrêmement codifiée, CGT, PCF ou autre orgas et syndicats, desquelles pour l’immense majorité des militants « partait » leur engagement [1] Chômage de masse dès les années 70, crise des identités de classes suite à l’émergence des classes moyennes, mutation des individualismes, chute du mur de Berlin. Une immense masse s’est abattue sur la mosaïque révolutionnaire, ses éclats en ont perdu le lustre.... Aujourd’hui l’engagement est morcelé, moins repérable. Mais le premier changement c’est qu’il part de l’individu et non pas d’un bureau politique. Une méfiance immense s’est installée envers les corps organisés. Peut-on vraiment le regretter. Chez les « anciens » militants dont je parlais plus haut le regret existe dans le sens où les personnes croyaient réellement à la révolution, la souhaitait ardemment et se situait pour certains par rapport à elle. Mais moins ou pas de regret vis-à-vis de l’organisation : même celles et ceux qui sont restés dans un parti ne l’abordent plus de la même façon et, c’est le moins qu’on puisse dire, gardent une certaine indépendance d’esprit par rapport à la politique de leur parti.

Diminution ou non individualisation du pouvoir dans la sphère politique

L’engagement au sein des mouvements radicaux a ceci de différents qu’il s’agit de se coordonner ensemble pour arriver à des objectifs communs, au lieu d’être des élus qui dirigeront des administrations. On introduit ainsi une notion de coopération égalitaire, le pouvoir passe d’une part par le mandatement au sein d’assemblées (cf. article « pouvoir et démocratie ») et d’autre part par sa socialisation. Voilà une phrase, que j’ai entendu et qui pourrait résumer la socialisation du pouvoir : « peu importe qui le fait, du moment que cela est fait ». Ce raisonnement pose deux ruptures par rapport à la société capitaliste :
- on ne crée pas un marché ou une demande, au sein de la sphère politique, mais nous souhaitons nous organiser pour maintenir ou accroître un bien commun que l’on a défini au préalable, de l’eau potable à l’éducation en passant par les transports, les soins, le logement. C’est-à-dire que l’on raisonne, à nouveau, à l’endroit. De quoi avons-nous besoin pour vivre, et comment l’obtenir collectivement en partageant le travail de manière égalitaire. La sphère politique s’occupe ainsi des nécessités, les sphères privées et culturelles (le temps qui reste, important) des désirs individuels / collectifs (sans recouvrir la société).
- on casse un schème individualiste, toujours dans la sphère politique. Dans une perspective libertaire et radicale au sens où nous l’entendons, il ne s’agit plus avoir le pouvoir pour diriger, mais de pouvoir faire individuellement ou ensemble pour nourrir un bien commun. Exemple : les individus s’organisent pour une tâche mécanique, machinale : peu importe qui le fait. La fierté individuelle et le désir de reconnaissance seront dès lors déplacés dans la création - artistique, artisanale, associative, etc.

Raphaël


[1] Au demeurant, le phénomène était le même à la FA, lire « autonomie individuelle et puissance collective » d’Alexandre Skirda


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