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AccueilJournalNuméros parus en 2006N°54 - Décembre 2006A Bas le pouvoir (de quelques uns) ! Vive le pouvoir (de chacun) ! > La soumission des hommes ordinaires

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Expérience de stanley milgram

La soumission des hommes ordinaires


Comment des hommes, comme vous et moi, qui n’avaient rien de « tueurs nés », ni même de « tueurs modelés » par un entraînement spécifique, ont pu massacrer des populations entières ? Pour répondre à cette question, S. Milgram a mené une petite expérience scientifique.


Deux personnes se présentent dans le laboratoire de psychologie de l’Université de Yale. Le professeur présente alors l’expérience : il s’agit d’étudier les effets de la punition sur la mémoire et l’apprentissage. Pour cela, l’un des volontaires jouera le rôle du moniteur et l’autre celui de l’élève. L’élève est placé dans une pièce contiguë, sanglé sur une chaise et relié à des électrodes. Le moniteur devra lui lire une liste de couples de mots. Puis il interrogera l’élève en lui demandant de choisir le bon couple parmi quatre. A chaque mauvaise réponse, il devra administrer une décharge électrique en commençant par la plus faible « choc léger » jusqu’à la plus forte qui porte la mention « attention : choc dangereux ». A partir de 150V, l’élève commence à supplier qu’on arrête, et après un cri d’agonie à 285V, il ne répond plus. Ce que le moniteur ne sait pas c’est qu’il est en fait le véritable sujet de l’expérience et que l’élève est en fait un acteur. Ce point n’est pas à mettre en doute : dans un sondage post expérience, 98% des sujets ont répondu avoir cru que l’élève recevait véritablement la décharge et seul 5% d’entre eux ont pensé qu’il n’était rien arrivé à l’élève, 15% que l’élève était mort. Et malgré cela l’obéissance sera la règle. Dans les conditions de base de l’expérience, 65% des sujets vont jusqu’à la charge maximale. Milgram a ensuite fait varier les conditions de l’expérience, voici quelques-uns des résultats les plus significatifs :
- Quand ce n’est plus le sujet lui-même qui administre la décharge mais un autre moniteur « complice », c’est 92,5% d’entre eux qui vont jusqu’à la charge maximale.
- Quand l’élève se trouve dans la même pièce, 40% vont jusqu’au bout.
- Quand l’expérimentateur donne les ordres par téléphone et non à côté, 20,5% obéissent.
- Quand le cadre est un organisme privé et non plus l’université, 47,5% vont jusqu’à la charge maximale.
- Quand il y a 2 expérimentateurs qui sont en désaccord, aucun sujet ne va jusqu’au bout.

De cette expérience, on peut déduire plusieurs ressorts de la soumission à l’autorité. Le premier ressort tient à la légitimité de l’autorité. La justification idéologique, reposant sur les valeurs de la société permet d’obtenir une obéissance spontanée : dans le cadre de l’expérience, le fait de participer à une avancée de la science (valeur particulièrement importante dans nos sociétés) au sein d’une Université réputée, au dessus de tout soupçon, est loin d’être un élément anodin. C’est un élément que l’on peut retrouver aujourd’hui par exemple dans l’acceptation des OGM, présentez-les comme un moyen de lutter contre la faim dans le monde et vous aurez l’accord du plus grand nombre pour les développer. Le second ressort vient de la proximité de la victime : qu’elle disparaisse de votre vue, que vous la considériez comme un objet, et tout de suite les sévices deviennent plus faciles à infliger. Enfin, et cet élément est lié au précédent, la soumission tient à la déresponsabilisation : « Pour qu’un homme se sente responsable de ses actes, il doit avoir conscience que son comportement lui a été dicté par son « moi profond ». Dans la situation de laboratoire, nos sujets ont précisément un point de vue opposé : ils imputent leurs actions à une autre personne. » [1] Voici la principale défense : « Je n’ai fait qu’obéir aux ordres ». Et pourtant aucune coercition n’était exercée sur les « moniteurs ». Il ne risquait absolument rien en refusant d’obéir.

Christopher Browning [2], historien américain, s’est posé la même question que Milgram en étudiant le bataillon SS 101. Ce bataillon de 500 réservistes (il ne s’agissait donc pas d’un bataillon particulièrement idéologisé) a, à lui seul, massacré plus de 38 000 êtres humains. Or, rien ne les y obligeait. Lorsque le commandant leur a présenté l’ordre, il leur a donné le choix d’accepter ou de refuser. 12 hommes sur les 500 ont refusé, ils ont été affectés à une autre mission. En analysant les raisons de cette obéissance, Browning est arrivé en partie aux mêmes conclusions : processus de déshumanisation des victimes, déresponsabilisation, retrait derrière l’autorité supérieure. Mais il souligne également un autre élément : l’effet de groupe. Les hommes du bataillon ont avant tout obéi par conformisme, pour ne pas lâcher le groupe. L’obéissance à l’autorité est donc aussi liée au contrôle social exercé par le groupe.

Ainsi, les « pires crimes du siècle ont été le fruit de l’obéissance » [3], une obéissance obtenu sans usage de la force. Alors, vous savez ce qu’il reste à faire, ne jamais obéir, toujours résister.

Bonnie


[1] Expérience menée de 1960 à 1963. Stanley Milgram, La soumission à l’autorité, Calmann-Lévy, 1974

[2] Christopher Browning, Des hommes ordinaires.

[3] Abraham ou le bataillon des Assassins, reportage de Hans Lechtleiner, diffusé sur Arte dans le cadre du Théma Résistances.


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