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AccueilJournalNuméros parus en 2007N°58 - Avril-mai 2007 > S’ENGAGER AU-DELÀ D’UNE MORALE HUMANISTE

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S’ENGAGER AU-DELÀ D’UNE MORALE HUMANISTE

AVANT, PENDANT ET APRÈS LES PRÉSIDENTIELLES...


Tant bien que mal, quelques grands thèmes se dégagent des présidentielles - valeur travail, identité nationale... C’est généralement Sarkozy qui dicte le rythme et le contenu comme on l’a vu avec les polémiques récentes, la gauche se contentant de réagir sans que ses propres thèmes à elles ne soient lisibles, ou tout simplement opérants. La gauche se fonde essentiellement sur des interdits, dictant une nouvelle religion “biéniste” - non aux OGM, non aux expulsions des enfants de sans-papiers, non à la précarité mais on a du mal, c’est le moins que l’on puisse dire, à voir comment va fonctionner la société qu’elle propose alors qu’il n’existe pas de désir collectif lisible, cohérent et durable capable de faire vivre le squelette du programme “participatif” de Royal par exemple.


Car, c’est là le problème, toutes les bonnes intentions du monde ne remplacent pas le “travail réel” et on ne peut pas aborder la question d’un engagement social, révolutionnaire et anticapitaliste sans parler de désir (le parti de la passion) et de nécessité de coexistence (le parti de la raison). Tout ceci résulte, également, d’une position politique première où à un moment chaque personne se retrouve seule à prendre des décisions - ah quelle terreur ! Alors que la gauche ne semble croire qu’en l’élan du coeur, je cherche à démontrer dans cet article que cela ne suffit pas à la politique, que sans une part réservée à la rationalité, on mangera des patates autogérées jusqu’à la fin de nos vie, dans un monde de merde gouverné par les politiques capitalistes. Ayons l’audace d’affronter les questions de morale, d’engagement, et de coexistence sans nous voiler la face et en en finissant avec l’idéal totalement faux et dangereux de l’homme et de la femme de gauche qui n’auraient plus rien à prouver, ou qui se comportent comme tel.*

Si cet article suscite des polémiques, tant mieux, n’hésitez pas à y répondre en envoyant vos textes qui seront publiés à : nopasaran@ samizdat.net ou No Pasaran, 21 ter rue Voltaire, 75011 Paris.

DU PRINCIPE DE PLAISIR
(pour une politique du désir)

Il serait facile, trop facile, de tirer à boulets rouges et noirs sur Ségolène Royal (ou l’extrême gauche), sans replacer son programme et ses principes dans un contexte plus global et sans nous interroger nous-mêmes sur ce qu’on fait et ce que l’on propose. Que la gauche + l’extrême gauche soit à 35% maximum des intentions de vote, sans que l’on sente non plus un dynamisme de campagne au-delà de l’écoute polie et des effets de manche, doit également interroger celles et ceux qui ne se situent pas dans une logique électoraliste. Après tout, sur le papier au moins, les idéaux de gauche c’est le progrès social plus la justice, cela devrait intéresser une grande partie de la population qui vit et/ou subit la précarité, le mal-vivre ensemble, les conditions de travail dégradées...

Le fait est que l’engagement politique est perçu ou malheureusement, vécu par certain-e-s, comme un sacrifice que l’on ferait pour sa bonne conscience et/ou l’idée que l’on se fait de la justice (qui n’est rien d’autre qu’un rapport de force qui tend vers l’équilibre et qui essaie de sociabiliser toute forme de sélection naturelle).Ainsi, une morale du bien existe à gauche et elle nous fait furieusement penser à une sorte de morale chrétienne teintée d’altermondialisme. Par exemple, le jeûne contre les essais OGM, quelques semaines avant Pâques. Peut-être s’agitil de l’inconscience qui parle, mais on peut se demander comment les militants croient qu’en se faisant du mal dans l’indifférence générale, ils vont faire bouger les populations. Ou encore le “peuple de gauche” (fabrication artificielle servant à rassurer le PCF sur sa survie) un temps saisi par les tenues blanches de Ségolène Royal. Ou encore la question de la protection des enfants sans papiers, vécus souvent comme un sacerdoce ou un impératif moral sans que soit posé, en plus, la question de savoir sur quelles bases humaines, politiques et sociales nous allons tous vivre ensemble.

Comme le démontrait Mauss dans sa théorie du don, et du contre-don, le fait est que soutenir autrui inconditionnellement et sans contrepartie, rabaisse les individus en difficulté et les oblige. En croyant faire le bien, on humilie les individus, qui ne nous seraient en rien “utiles” (ce qui est faux) et à qui nous apporterions tout (idem). Il n’y a pas de rapport égalitaire qui peut se fonder sur un tel déséquilibre.Lors du mouvements des chômeurs en 98, le mouvement syndical des gens bien pensants nous ont soutenus tant qu’ils ont crû que nous nous plaignions, quand ils ont vu que nous revendiquions sur nos propres bases politiques, beaucoup se sont détournés. Nous ne fûmes pas les miséreux de service à qui les aliénés du salariat devaient laisser la place 5 minutes dans des meetings, pour montrer leur grand coeur. On posa la question des surnuméraires : le capitalisme n’a pas besoin de nous pour tourner, alors que fait-on ? Quelle société imaginer qui permette une utilisation de toutes les énergies, sans déperdition, et pour la réalisation de toutes et tous ? Devant tant d’écart de ressources, entre les capitalistes et les précaires, que revendiquer, si ce n’est un revenu garanti pour toutes et tous ? Le fait que le mouvement des chômeurs ait eu un contenu politique a effrayé les moralistes de gauche, qui se crispèrent sur l’aumône, ou le CDI pour tous, quel que soit le contenu et l’utilité du travail.

Faut-il penser une politique du désir politique, tout comme l’érotisme est une politique de la sexualité qui (r)allume le désir  ? Sans doute. La question à se poser d’après nous, c’est la suivante  : En quoi le fait que nous nous engagions fait que nous aurons chacun, et tous, une vie plus épanouissante et plus heureuse ?
Lutter contre toutes formes d’oppressions ne suffit pas. L’impératif moral, qui ne mobilise guère que le personnel éducatif, nouveau sujet révolutionnaire par défaut, ne fédère pas le moins du monde les ouvriers, les chômeurs, une majorité de jeunes, etc. Deux principes poussent principalement les individus.

Le principe de sécurité : vivre des activités individuelles et collectives passionnantes ou au moins intéressantes, être dans une société qui favorise le dynamisme et la création au lieu de les shooter ou de les réduire à un rapport avec le fric. Comme la politique ne (se) permet, généralement, aucun plaisir ; n’est pas bandante, ne fait pas rire, et ne soulève pas la curiosité, le principe de plaisir se déplace dans la sphère privée et dans celle des loisirs. Le militantisme, c’est les deux ou quatre heures de service hebdomadaires, où les manifestants tirent trop souvent la tronche dans les manifs comme les cathos tirent la tronche à la messe - il faut se forcer à rester sérieux, c’est ça qui est convenable. Le reste, c’est long et triste comme un dimanche dans le hall de Roissy.

Pour qu’il y ait plaisir, et le désir d’activité sociale, il faut penser à cette politique du désir. Il ne s’agit pas de tout rationaliser (la révolte et l’impulsion ne se commandent pas par définition) mais de réfléchir à des amorces qui feront que nous pourrons rendre dynamique tout type de manifestations et intéressantes tout type d’alternative.

A côté de ces principes en existe d’autre qui ne relèvent pas d’un égoïsme, comme l’impératif moral, ou effectivement une idée de bien qui fait qu’on a envie de soutenir, aimer certaines personnes etc. Mais tous ces principes « s’appliquent » (ou viennent d’un élan !) principalement à des proches et ne peuvent être transposés à l’ensemble de la société. Cette remarque qui fera rire, tellement c’est l’évidence même, des personnes non-liées au mouvement social, n’est pas réglée pour autant dans ce même mouvement où l’élan du coeur et/ou la révolte, l’indignation guident un engagement forcément erratique. Ces soudains excès passionnels, même si elles sont indispensables, ne peuvent pas servir de moteur à long terme si chaque personne ne sent pas à l’aise et reconnu dans le mouvement par un apport propre à chacun-e. Ce raisonnement peut apparaître nietzschéen mais il ne cherche pas pour autant à abolir la morale ou toute idée de bien être d’autrui : bien sûr qu’on veut aimer, vivre en harmonie avec nos proches. Mais pas avec la terre entière, et c’est dans cet angle mort qu’il faut réfléchir à nos principes politiques.

Comment procéder ? Quelques pistes :
- informer sur les soubassements de nos activités : pourquoi on fait cela, dans quel devenir collectif cela s’inscrit-il...
- introduire la question de plaisir individuel et collectif dans chacune de nos activités : par exemple, en liant l’apparition politique avec le festif ou le percutant. Dans une manifestation, cela peut prendre la forme d’un cortège musical ou énervé s’il et dès qu’il le faut. Dans une alternative qui lie les individus sur le long terme, comme une ferme autogérée où les participants habitent, c’est déterminer un équilibre entre vie privée et vie collective, proposer du festif ou des activités créatrices, ou récréatives, sans qu’elles soient liées à un utilitarisme quotidien (lire également le texte de Chaïa Haller dans le dossier écologie du précédent numéro)
- enfin il existe un plaisir dans le fait même de résister, de lutter. On se sent vivant dès qu’on ne subit plus et que nous exprimons nos révoltes et nos attentes dans nos actes. Une meilleure lecture de l’action restreinte (collectif Malgré tout), et de l’action directe (Pouget) est sans doute nécessaire.

DE LA NÉCESSITÉ
DE COEXISTENCE

C’est l’écologie sociale (voir dossier du numéro précédent) qui pose, sur le plan politique, le mieux cette question de coexistence  : en liant les nécessités écologiques qui nous concernent toutes et tous avec les droits sociaux tels que la sécurité sociale, la problématique des retraites et des notions plus sociétales liées à la qualité de vie.

L’aspect social, c’est que nous sommes près de 7 milliards sur la planète, avec des écarts de richesses qui ne cessent de se creuser, et une propriété privée, matérielle et immatérielle, qui ne cesse de se concentrer dans des mains de moins en moins nombreuses et de plus en plus avides. Si demain on veut éviter des guerres, avec des moyens susceptibles de faire des millions de mort, les pays du Nord doivent se rendre compte, à temps, de cet impératif de coexistence.

Mais l’écologie sociale aborde aussi les rapports de vie dans une localité donnée et des questions liées à la sociabilité, au vivre ensemble. Si tout le monde se tire la tronche dans une barre HLM la qualité de vie de chacun s’en trouvera amoindrie. Vivre sur deux plans d’existence, l’un affinitaire et l’autre plus contractuel et politique, est nécessaire pour rester libre. L’écologie sociale (entre autre) réfléchir à ces notions de coexistence notamment en analysant les rapports sociaux dans les éco-villages et autres lieux de vie qui essaient de maintenir une existence collective et une mutualisation des moyens.

Détruire l’impératif moral d’aimer son prochain, en finir avec la morale chrétienne, c’est finalement retrouver nos libertés. Nous sommes « obligés » de coexister et de trouver un mode d’échange qui ne soit basé ni sur le fric, ni sur l’affinitaire. Pour éviter à la fois la guerre économique totale, et un tribalisme qui nous pend au nez. Nos réseaux politiques peuvent et doivent être des laboratoires pour penser un autre vivre ensemble, où nous pouvons coexister et agir ensemble sans forcément nous aimer

Raph & Kali

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