Retour accueil

AccueilJournalNuméros parus en 2001N°4 - Décembre 2001 > Doha, capitale du capitalisme

Rechercher
>
thème
> pays
> ville

Les autres articles :


Doha, capitale du capitalisme


Le sommet de l’OMC à Doha ouvre donc un nouveau cycle de négociations commerciales. Après un bras de fer de cinq jours, l’annonce du lancement d’un "cycle du développement" semblait emporter l’adhésion et la satisfaction de tous les négociateurs, américains et européens en tête, et des journalistes qui en ont rendu compte. Pourtant la déclaration finale ne fait qu’enfoncer le clou de la logique capitaliste qui domine à l’OMC.


Depuis l’échec, deux ans auparavant, du lancement du cycle du millénaire à Seattle, l’idée de relancer un cycle avait perduré, à la tête de l’Organisation basée à Genève, image 315 x 162 à la Commission européenne et au sein de l’administration américaine comme dans de nombreux ministères un peu partout dans le monde, en Europe et dans l’Hexagone. Mike Moore, directeur général de l’OMC, flanqué de Pascal Lamy le négociateur européen, n’avaient pas ménagé leurs efforts pour faire admettre de nouvelles négociations.
Voyageant sur toute la planète, rencontres après rencontres, ils avaient fini par emporter l’adhésion, malgré les réticences d’un certain nombre de pays du Sud, Inde en tête. Obligés de compter sur ces derniers et avec une opinion publique internationale de plus en plus contestataire, nos chers fonctionnaires zélés avaient multiplié les promesses sur un nouveau cycle ; global, qui prenne en compte le développement, la simplification des procédures et la démocratisation de l’institution. Evidemment, pour faire plaisir aux différents lobbies qui les flattent (et les engraissent ?) tout cela devait aussi s’accompagner de nouveaux secteurs (facilitation commerciale, marchés publics, concurrence et investissement) à libéraliser...

Les mouvements sociaux et les pays du Sud réclamaient, explicitement, qu’un bilan de la libéralisation commerciale soit effectué au regard des droits sociaux, de l’environnement, du développement..., et que si nouveau cycle il devait y avoir il devait s’agir de refondre complètement les règles pour subordonner les entreprises capitalistes à d’autres considérations que le profit.
Que dalle ! En dépit des cris de joie de nos chroniqueurs analphabètes, la déclaration finale de Doha est une arnaque de première ! Premiers visés évidemment : les pays très pauvres et les pays pauvres ; derrière : tous les peuples du monde ! Les dominants, Etats-Unis en tête, ont fait avaler une de ces pilules - non générique - aux pays pauvres, qu’on est en droit de réclamer que ce tour de force fasse l’objet d’un manuel pour diplomates en herbe !!

Revenons sur Doha, Sur la forme d’abord.

Les ONG présentes sur place n’ont pas eu accès aux délégations car le centre de conférence leur a été fermé. Seattle a fait tellement peur que les représentants de la cinquantaine d’associations "d’intérêt général" présentes sur place ont été fliqués comme un arabe dans le métro parisien.
Placés sous haute surveillance, ils n’ont pu véritablement assister les représentants de pays du Sud comme ils avaient pu le faire deux ans plus tôt, mieux habitués qu’ils sont à ce type de pratiques de négociations.
Pour marquer le coup, les associations ont bloqué pendant quelques minutes l’ouverture de la plénière et la conférence de presse de Zoellick, le négociateur américain qui venait de faire pression sur les pays du Sud pour casser leur volonté de faire valoir le droit de produire des médicaments génériques contre le sida !!!

Autre subtilité, des prix de chambres d’hôtel multipliés par deux ou trois, qui obligent les négociateurs des PMA (pays les moins avancés) à ne pas rester tout le long des négociations. Difficile, dans ces conditions, de faire valoir ses positions ! Mieux : la négociation ayant duré une journée et demi de plus - et la dernière fut décisive - seuls ceux qui disposaient d’un avion personnel (américains et européens), ou de la possibilité de payer un vol suivant ont pu rester, les autres ont dû partir ! Ah la démocratie...
Le pire fut, d’après les témoignages la pression que les très nombreux négociateurs américains et européens ont fait subir sur les rares représentants des pays du Sud. On peut facilement imaginer que l’argument de la dette a pu être décisif : vous signez ou on vous coupe les vivres !
De la flatterie et des promesses aux menaces de rétorsion, on sait bien de quel arsenal disposent les plus puissants face aux plus faibles dans un contexte de négociation au consensus. Si l’on ajoute en prime le rythme, la langue, les détails juridiques... on voit bien que le jeu était biaisé d’avance. Une véritable parodie de démocratie ! On aurait pourtant cru qu’un cycle du développement se déroulerait dans un climat d’entente et d’écoute, pas d’empoignes et de coups bas...

image 315 x 217
Sur le fond et sans verser dans l’explication de texte, notons quelques éléments et perspectives. D’une part, pas de surprise, le premier paragraphe réaffirme évidemment que "le système multilatéral qu’incarne l’Organisation mondiale du commerce a largement contribué à la croissance économique, au développement et à l’emploi tout au long des dernières années". Tous les spécialistes le reconnaissent, ce genre de propos est un modèle d’idéologie car aucune étude ne permet de les confirmer. Surtout, depuis la signature des accords de Marrakech, le moins qu’on puisse dire - et ils l’ont pourtant dit avec force - c’est que les pays du Sud se sont fait avoir : ils ont vu leurs marchés domestique envahis par des produits "mondiaux" à des prix battant toute concurrence, ce qui eut pour conséquence la disparition de pans entiers d’activités (notamment en matière agricole) et ils n’ont pu bénéficier de la même "largesse" de marchés du Nord obstinément fermés à leurs produits ! Idéologie inchangée donc, et dogme intouchable : le commerce international doit être libéralisé pour être de qualité supérieure ! Libéralisé veut dire dans les faits libéré des contraintes (tarifaires et de quota, étatiques, juridiques, morales, politiques..) qu’on faisait subir jusqu’ici aux investisseurs, obstacles aux gains potentiels.

Sur l’agriculture, l’accord prévoit bien le principe du démantèlement des subventions à l’exportation, que réclamaient notamment les petits producteurs du Sud comme du Nord, mais sans le dater... Tout le bénéfice revient aux mêmes qu’avant : les entreprises agro-exportatrices. Bien évidemment, rien sur le principe de précaution, sur la reconnaissance des aspects non marchands de l’agriculture : une seule solution, la marchandisation ! Poursuite du démantèment des services publics (ce qui accentuera inévitablement la non possibilité de réclamer la gratuité !). Plein de nouveaux secteurs dont personne, a priori, n’a rien à foutre : investissement, concurrence, transparence des marchés publics et facilitation commerciale, et auxquels les pays du Sud ont tenté de s’opposer, ce qui signifie clairement qu’ils se sont fait avoir comme il faut. Pourtant, ce qui se passe là, si on n’y prête pas attention, pourrait être la cerise sur le gâteau : le but non avoué de l’OMC dans toutes ces matières est effectivement de vérouiller juridiquement la perspective de bénéfices des principales firmes multinationales. Ce qui se dessine à travers l’inclusion de ces nouveaux "secteurs" dits de Singapour, notamment l’investissement, c’est la suprématie juridique absolue de tout capitaliste pour faire du profit, y compris si cela nuit à la santé publique ou à l’environnement... C’est nouveau, si, si ! Autrefois seule l’exploitation des travailleurs était acceptée ; aujourd’hui même la sacro-sainte santé publique et l’environnement, dont on sait le piteux état sont sacrifiés s’ils empêchent de faire des profits...
Sur le social, évidemment rien ! On va quand même pas faire en sorte que les travailleurs soient protégés par les conventions de base de l’Organisation Internationale du Travail, même si celles ci sont strictement minimales ! En matière d’environnement, beaucoup de chroniqueurs ont glosé sur la grande victoire que constitue la reconnaissance de l’articulation entre les droits AME (accords multilatéraux sur l’environnement, comme le protocole de Kyoto ou celui sur la biosécurité) et le droit de l’OMC, arguant du fait que c’est un premier pas vers une reconnaissance de la suprématie de l’environnement sur le droit des affaires ! Ils ont, pour la plupart, omis de préciser que les Américains ont introduit une petite clause précisant que cette reconnaissance ne s’appliquerait pas aux pays non signataires des AME...
Evidemment, cela décrédibilise énormément les AME que plus personne ne voudra signer !

On ne s’attardera pas sur les demandes de révision en profondeur de l’OMC que d’aucuns défendaient, arguant du fait qu’il faut créer un droit international contraignant pour le capitalisme : les négociateurs, représentants des firmes et grands capitalistes eux-mêmes dans l’âme, n’allaient quand même pas perdre leur temps avec des conneries pareilles ! Idem pour la suppression de l’Organe de règlement des différends (ORD), le tribunal privé de l’OMC, ou sa subordination aux Nations Unies l’obligeant à respecter rigoureusement toutes les chartes et conventions relatives aux droits économiques et sociaux.

Une seule victoire dans toutes ces batailles, mais elle est réelle : celle sur les médicaments. Elle s’est traduite par une solide résistance de la Suisse et des Etats-Unis, dont les firmes pharmaceutiques sont les plus importantes de la planète. Ils ont plié devant la demande que "l’Accord sur les ADPIC (Accord sur les droits de propriété intellectuelle) n’empêche pas et ne devrait pas empêcher les Membres de prendre des mesures pour protéger la santé publique". Le Brésil, l’Inde ou l’Afrique du Sud, qui produisent des médicaments génériques à moindre coût pour pallier aux insuffisances de traitement abordables, seront sortis victorieux de ce conflit, en partie grâce au soutien des mobilisations à travers le monde et à la prise de conscience des Etats-Unis d’assouplir ces règles après l’affaire de l’anthrax.
Malheureusement, s’il est possible de produire et d’importer des génériques, il n’est pas possible d’en exporter : les Pays les Moins Avancés qui ne disposent pas d’industrie pharmaceutiques restent, si l’on peut dire, les dindons de la farce. Et la logique des brevets, scandaleuse, marquant juridiquement la possibilité de gagner du fric sur des affaires de santé humaine, n’est de toutes façons pas remise en question !

En bref, Doha n’aura été qu’un marché de dupes, c’est vrai. La montée en puissance des mouvements sociaux et des pays du Sud n’aura pas été très convaincante à Doha. Mais en définitive, l’OMC s’est décrédibilisée une fois pour toutes. Elle cherchait une sorte de reconnaissance : la tromperie ne pourra pas durer longtemps. Toutes les associations ont condamné sans appel ce résultat présenté par tous les chiens de garde comme merveilleux et mirobolant. Et l’après 11 septembre n’aura pas rendu crédible non plus la justification du lancement d’un nouveau cycle.
Le lancement de ce nouveau cycle va accentuer les déséquilibres planétaires, sociaux et écologiques et les risques de "crises" et de "terrorisme". Face au terrorisme mondial que constitue en pratique l’arrogante domination du capital privé, on verra apparaître à nouveau des 11 septembre, c’est certain. Si l’on veut prévenir cela, il est nécessaire de renverser la logique de polarisation effrénée des richesses et des réseaux qu’entraîne la phase actuelle de mondialisation. Et pour commencer, de démanteler l’OMC, d’obliger à un encadrement juridique contraignant pour les affaires avec pouvoir de sanction, via une Cour économique internationale, contre le non respect des droits civils, politiques, sociaux, économiques et culturels.
Sans cela, tous les espoirs de paix dans un monde "durable" seront vains.

Julien


No Pasaran 21ter rue Voltaire 75011 Paris - Tél. 06 11 29 02 15 - nopasaran@samizdat.net
Ce site est réalisé avec SPIP logiciel libre sous license GNU/GPL - Hébergé par Samizdat.net