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LIBERTAIRES AU QUEBEC, UN AUTRE CONTINENT POLITIQUE ?

Aperçu à l’occasion d’un séjour militant


En mai 2007 se tenait le 8e salon du livre anarchiste de Montréal. Un événement qui, à en juger par la quantité et la diversité de son public, tant exposants que visiteurs, a su s’imposer comme un incontournable de la mouvance radicale en Amérique du Nord. Plusieurs organisations françaises y avaient été invitées : aux côtés de la Fédération Anarchiste et d’Alternative Libertaire, le réseau No Pasaran était présent et ses membres en ont profité pour échanger sur les expériences militantes des deux côtés de l’Atlantique.


Au départ, un sentiment de similarité. Déjà, on parle français. Les échanges ne datent pas d’hier, les voyages et les expatriations réciproques existent  : résultat, on est attendus et accueillis comme on l’est rarement en Europe - un grand merci aux camarades qui nous ont permis de squatter leurs apparts respectifs pendant ces deux semaines, en espérant qu’on ait pas été trop encombrants, et qui nous ont guidés durant notre séjour. Certains groupes se nomment de la même façon qu’en France, comme le RASH, les référents idéologiques sont à peu près les mêmes, l’Etat et le capitalisme sont bien présents là-bas comme ici. Et pourtant, les différences ne manquent pas : autre situation politique et cultutrelle, autres façons de militer, autres significations de certains termes.

Première surprise : on a beau être dans le Canada francophone, le salon est majoritairement anglophone. Ce n’est pas un problème, la traduction fonctionne assez bien - de l’avantage des pays bilingues. Mais c’est révélateur : en dépit de la distance, les américains du Nord se déplacent beaucoup plus que les français - un véritable périple pour certains punks venus de plusieurs milliers de kilomètres à pieds ou en stop. Revers de la médaille, les militants politiques sont beaucoup plus isolés, et d’ailleurs bien moins nombreux qu’en Europe : l’extrême gauche est quasiment inexistante au Québec, le trotskysme n’est qu’une figure foklorique, le maoïsme, pourtant en développement, un groupuscule d’ailleurs proche par ses thématiques, ses modes d’action et son imagerie des libertaires
- leur affiche d’appel au 1er mai 2007 était par exemple calquée sur une affiche de No Pasaran.

Les distances sont importantes, et se reflètent parfois dans les centres d’intérêt d’un lieu à l’autre : invités par la NEFAC (North East Federation of Anarcho-Communists) à mener deux conférences-débats sur la situation politique en France, celles-ci ont dérivé vers la question de l’abstentionnisme (à Montréal) et vers celle des perspectives de luttes sociales contre la droite dure (à Québec), qui a le vent en poupe aussi bien au Québec qu’en France. Certaines préoccupations demeurent cependant : les ateliers organisés à la suite du salon du livre ont ainsi abordé des thèmes classiques comme les rapports entre anarchisme et marxisme, des luttes plus récentes comme le féminisme, et bien sûr la question des rapports entre cultures, et entre militantisme libertaire et organisations religieuses, en particulier dans le cas des soutiens internationaux. Autant le dire, sur ce dernier sujet le débat organisé autour d’une organisation de soutien au Liban qui, bien qu’elle-même laïque, accepte de coopérer directement avec le Hezbollah, organisation islamiste chiite, a réuni beaucoup de monde (preuve de l’intérêt porté au sujet), mais a laissé autant de questions en suspend... La solution libertaire miracle n’est pas plus formulée au Canada qu’en France.

Si les libertaires constituent une mouvance plus large que trotskystes ou maoïstes, ils restent, contrairement à la France, très peu organisés : la NEFAC est la seule organisation qui tente de regrouper des libertaires au-delà de leur implantation locale, et encore est-elle malheureusement l’objet d’une méfiance de principe de la part de nombreux libertaires opposés à toute forme d’organisation qui dépasserait le stade du projet ponctuel. L’auto-organisation de cette mouvance semble pourtant fonctionner souvent mieux qu’en France. A Montréal, les libertaires possèdent un immeuble entier, regroupant une librairie, une salle de concert et une bibliothèque / salle de réunion, et ont pas mal de contacts dans la scène contre-culturelle. A Québec, ils autogèrent une librairie, un bar qui accueille concerts et débats collectifs, sont investis dans les coopératives d’habitation et dans les luttes urbaines.

C’est que l’auto-organisation est un trait culturel nord-américain bien marqué : les individus, plutôt qu’attendre de l’Etat qu’il règle un problème, ont plutôt le réflexe de s’organiser entre eux pour trouver des solutions
- quitte, si besoin, à demander des aides à l’Etat. Exemple révélateur, bien que non militant : pour aller de Montréal à Québec, la solution la plus simple et la moins onéreuse n’est pas l’usage des transports publics, chers et peu fiables, mais un système organisé de covoiturage assez développé pour prendre la forme d’une entreprise salariant du personnel dans plusieurs centres urbains. C’est sur cette capacité d’auto-organisation, bien plus conforme aux idéaux libertaires que notre réflexe hexagonal d’appel à l’Etat- Providence, que misent les libertaires pour leur action. Le nombre de coopératives, de production, de consommation ou, mieux encore, d’habitation, est très élevé - ainsi à Québec, nous avons pu être hébergés au sein des Pénates, coopérative d’habitation installée dans une ancienne usine où vivent plusieurs libertaires qui y disposent d’appartements à faire rêver n’importe quel parisien habitué à se caser dans des trous de souris... En plein centre-ville, à côté des bâtiments administratifs classique et de l’architecture hyper-moderne de centres économiques, une rue entière a ainsi été rachetée par des coopératives d’habitation, stoppant, ou en tout cas retardant la gentrification de la ville.

Le coeur des luttes sociales est la société civile, ce qu’ils nomment le « mouvement communautaire », entendez : « mouvment associatif ». Les partis d’extrême gauche sont à peu près inexistants, et les syndicats complètement intégrés au système. Adhésion presque obligatoire de fait (sous peine de ne pas bénéficier des conventions collectives), organisation de type corporatiste en fonction des branches de production, logique sociale-démocrate de cogestion des entreprises, les syndicats sont peu combatifs, et pour ainsi dire pas concernés par les thèmes politiques. Ils n’ont pas la centralité qu’ils ont en France dans les mouvements sociaux, dont, en dépit de leur faible importance numérique, ils constituent un relais quasi indispensable pour assurer la médiatisation et l’expansion. Certains types de mobilisation n’ont d’ailleurs pas la même importance qu’ici : la manifestation, par exemple, est relativement rare. Le primat revient à la constitution d’alternatives, certes imparfaites vis-àvis des idéaux libertaires, mais qui servent de base arrière aux luttes et fonctionnent en réalité comme une forme de propagande par le fait.

Cette logique de la lutte par le mouvement communautaire n’est pas sans contradictions internes. Certains libertaires sont ainsi salariés par les povoirs publics pour faire fonctionner des comités de quartier qu’ils utilisent comme des organes de lutte. Et les alliances sont parfois étonnantes  : le salon anarchiste était ainsi hébergé dans un espace communautaire originellement religieux. Elle constitue cependant un modèle de lutte alternatif à la classique logique d’action de rue qui reste dominante en France - un modèle à réfléchir, et peutêtre dont s’inspirer à l’heure où le durcissement prévisible de la répression d’Etat risque de rendre particulièrement difficile la lutte de rue. Une autre perspective de contre-pouvoir à explorer.


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