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AccueilJournalNuméros parus en 2007N°61 - Septembre 2007Permanence des ressources et revenu garanti - Partager et transmettre > LES REVENDICATIONS SOCIALES : REVENU GARANTI ET GRATUITÉ

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LES REVENDICATIONS SOCIALES : REVENU GARANTI ET GRATUITÉ


Voilà deux textes présentant des revendications sociales : le premier, sur le revenu garanti, est de Toni Negri (extrait de Exil, 1999, éd. Mille et une nuits), le second, sur la gratuité, est anonyme, issu de collectifs belges. À noter que ces revendications ont été déclinées de multiples façons par des acteurs sociaux ou théoriciens. Ainsi le revenu garanti s’appelle également « salaire garanti », «  dividende social », « revenu d’existence », etc. Un dossier complet ne suffirait pas à détailler toutes ces espèces de pousses sauvages, celles et ceux qui s’intéressent à la botanique mutante du revenu garanti peuvent se pencher sur la revue Multitudes.


Le salaire garanti

Il y a des conceptions réductrices du salaire garanti comme celles que nous avons connues en France, par exemple avec le RMI, qui est une des formes de salarisation de la misère. Ce sont des formes de salarisation de l’exclusion, des nouvelles lois sur les pauvres. À une masse de pauvres, à des gens qui travaillent mais qui ne réussissent pas à s’insérer de manière constante dans le circuit du salaire, on attribue un peu d’argent afin qu’ils puissent se reproduire et qu’ils ne provoquent pas de scandale social.

Il existe donc des niveaux minimums de salaire garanti, de subsistance, qui correspondent à la nécessité qu’une société a d’éviter de créer le scandale de la mortalité, le scandale de la « pestilence » puisque l’exclusion peut se transformer en pestilence. Les lois sur les pauvres sont précisément nées face à ce danger, dans l’Angleterre des XVIle et XVIIIe siècles. Il y a donc des formes de salaire garanti de ce type.

Mais le problème du salaire garanti est tout autre. Il s’agit de comprendre que la base de la productivité n’est pas l’investissement capitaliste mais l’investissement du cerveau humain socialisé. En d’autres termes : le maximum de liberté et de rupture du rapport disciplinaire à l’usine, le maximum de liberté du travail, devient le fondement absolu de la production de richesse. Le salaire garanti signifie la distribution d’une grande partie du revenu, tout en laissant aux sujets productifs la capacité de dépenser ce revenu pour leur propre reproduction productive. Il devient l’élément fondamental. Le salaire garanti est la condition de reproduction d’une société dans laquelle les hommes, à travers leur liberté, deviennent productifs. Bien évidemment, à ce moment-là, les problèmes de production et d’organisation politique deviennent identiques.

Si l’on tient le raisonnement jusqu’au bout, on est amené à unifier l’économie politique et la science de la politique, la science du gouvernement. Seules les formes de la démocratie - une démocratie radicale et absolue, mais je ne sais si le terme de démocratie peut encore être utilisé ici - sont susceptibles d’être les formes qui déterminent la productivité : une démocratie substantielle, réelle, et dans laquelle l’égalité des revenus garantis deviendrait toujours plus grande, toujours plus fondamentale. On pourra toujours débattre par la suite, avec réalisme, des mesures incitatives, mais ce sont des problèmes qui ne nous intéressent pas vraiment. Aujourd’hui, le vrai problème, c’est de renverser le point de vue selon lequel la critique de l’économie politique se développerait elle-même, c’est-à-dire la nécessité de l’investissement capitaliste. Ce n’est pas nouveau, on a discuté pendant des années de la réinvention fondamentale de la coopération productive à travers la vie, qu’elle soit linguistique, affective ou qu’elle appartienne aux sujets.

Le salaire garanti, en tant que condition de reproduction de ces sujets dans leur richesse, devient donc aujourd’hui essentiel. Il n’y a plus besoin d’aucun levier de pouvoir, il n’y a plus besoin d’aucun transcendantal, ni d’aucun investissement dont la fonction aujourd’hui n’est pas, comme on dit, « d’anticiper les emplois de demain », mais d’anticiper et commander les divisions à l’intérieur du prolétariat entre chômeurs et actifs, entre assistés et productifs, entre « affiliés » et « désaffiliés ». Il s’agit d’une utopie, de ce type d’utopie qui devient une machine de transformation du réel à la seule condition qu’on la mette en action. Une des choses les plus belles aujourd’- hui, c’est précisément le fait que cet espace public de liberté et de production commence à se définir, portant vraiment en lui la destruction de ce qui existe comme organisation du pouvoir productif, et donc comme organisation du pouvoir politique.

Toni Negri


De la gratuité partielle à la gratuité totale

En France, le mouvement des chômeurs et précaires est riche en actions revendiquant la gratuité de certains biens et services. Actions en direction d’EDF-GDF pour réclamer la fin des coupures (autrement dit, si on ne peut pas payer, l’accès à l’électricité et au gaz doit être assuré) ; actions Transports Gratuits Voyageurs (réquisition de trains pour les déplacements massifs, refus de payer les billets -carte AC !) ; opérations « caddies » au cours desquels les précaires envahissent les grandes surfaces pour se réapproprier des biens de consommations fondamentaux auxquels ils ne peuvent avoir accès ; actions contre la taxe d’habitation qui sont des ébauches de demandes de logements gratuits qui pourraient être financés par la taxe payée par les riches, etc. De même, en Italie, le Mouvement des invisibles regroupe des chômeurs et précaires dont les revendications portent sur la conquête d’un revenu qui se décline sur deux niveaux : d’une part, une partie monétaire (revenu d’existence) ; de l’autre, l’accès gratuit ou fortement réduit au logement, à la santé, à la formation permanente, aux transports et autres fluides (électricité, gaz, téléphone), à la culture et au divertissement. Leur revendication concerne également la liberté de circulation pour tous et donc la fermeture des Centres de détention administrative des Sans papiers. Certains précaires proches ou militants dans des collectifs anarchistes se sont spécialisés dans une revendication particulière.

Le Collectif sans ticket (Belgique) met en oeuvre la gratuité des transports et la liberté de circulation, c’est-à-dire  :

1. La possibilité de voyager en groupe gratuitement lors de manifestations et autres événements.

2. La possibilité de voyager individuellement à des conditions accessibles aux plus précarisés de notre société.

3. L’ouverture d’un débat public sur la mobilité en général, celle de tous les sans comme des autres. Différents squats s’inscrivant dans une filiation proudhonienne, visent à la généralisation du droit de possession sur le droit de propriété. Proudhon distingue en effet entre possession (le fait d’habiter un endroit) et propriété (posséder un logement en l’utilisant pour faire du profit). La possession ou usage est la source de création de biens. En effet, c’est l’usage d’une terre agricole qui permet de produire des légumes et c’est l’usage d’un bâtiment (et non sa propriété) qui en détermine l’utilité individuelle ou sociale. Une manifestation concrète de l’opposition entre possession et propriété se manifeste dans le cas de locaux en attente de locataires ou laissés vides en vue d’une spéculation immobilière.

Ainsi à Genève, en juin 1997, 2099 logements et environ 430 000 m2 de locaux artisanaux, industriels et commerciaux étaient laissés hors d’usage. Les squatters, dans l’incapacité financière de louer ces espaces ou refusant de le faire, outrepassèrent l’interdiction d’usage et occupèrent illégalement les locaux vacants. Dans un même esprit, le Mouvement des sans Terres au Brésil s’est développé pour mettre fin à une injustice  : 1 % des propriétaires possèdent plus de 40 % des terres, mais n’en exploitent qu’à peine 15 %. Le reste - une surface équivalent à plusieurs pays européens réunis - étant conservés dans un but spéculatif. Parallèlement, plus de 10 millions de paysans ne possèdent toujours pas de terre, alors que la réforme agraire qui impose la redistribution des terres non exploitées est inscrite à la Constitution brésilienne de 1946.

L’occupation des terres, que le Mouvement des paysans sans terre veille soigneusement à distinguer de l’invasion des terres, s’effectue lorsque les négociations concernant les expropriations légales de terres non cultivées ont échoué lors des discussions préliminaires avec les partenaires officiels. De nuit, des dizaines ou des centaines de paysans sans terre s’installent sur des terres laissées en friche. Le plus souvent, ils arrivent dans de vieux camions et prennent possession de la terre. Ils édifient en quelques heures des campements de fortune dans lesquels ils s’installent au nez et à la barbe des autorités qui ne peuvent plus alors que constater ce qui devient un état de fait. En 1995, 140 000 familles étaient installées sur 7 millions d’hectares légalement expropriés. Les réflexions et les propositions de généralisation de la gratuité, d’une gratuité inconditionnelle devant être appliquée à l’ensemble de nos conditions de vie, sont effectuées par certains groupes anarchistes (gratuité de la nourriture, gratuité des transports, du logement, de l’habillement, des biens, de la nourriture, de la santé, de l’éducation, de la culture, des énergies, etc.). La gratuité se place en effet directement en opposition à la logique marchande. Elle seule peut réellement et durablement garantir l’égalité économique et sociale et la meilleure satisfaction des besoins des individus. C’est "un mode organisé de répartition des richesses" (L’anarchisme aujourd’hui, un projet pour la révolution sociale, éditions du Monde libertaire), lorsqu’il est couplé à l’autogestion généralisée de la société. "L’égalité c’est la gratuité."

À la question, quelle serait la revendication immédiate qui permettrait de donner (voire de re-donner) un sens libertaire au service public ? La réponse est rapide et claire : la gratuité. Les anarchistes le disent depuis le début, il n’y a pas de liberté pour les individus sans égalité. Il n’y a pas non plus d’égalité des droits sans égalité sociale. Or, dans le cadre du système capitaliste, la gratuité est la seule garantie d’égalité sociale. Seulement tout a un coût. Le rôle du service public est donc de socialiser ces coûts au bénéfice de ceux qui ne peuvent payer. À nous d’imposer aux bénéficiaires du capitalisme (les entreprises) qu’ils payent pour tous les usagers « . Pour mettre en application la lutte contre la propriété privée et le système capitaliste, des groupes anarchistes temporaires - les Black Blocs - effectuent des actions de luttes directes lors des Grandes Messes de l’administration. Ces groupes, refusant le réformisme ou le lobbying pratiquent une désobéissance civile active et l’action directe contre la propriété privée des multinationales et autres entreprises. “Dans un système fondé sur la recherche du profit, notre action est la plus efficace quand nous nous attaquons au porte-monnaie des oppresseurs. (...)

Mouvements de précaires et anarchistes


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