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Dossier éducation

QUELQUES PRINCIPES TOUJOURS D’ACTUALITÉ

Éducation libertaire



L’école est au centre de la normalisation sociale. L’école obligatoire de la république du XIXe siècle, ce n’est pas une école de l’émancipation, une école dont la fonction serait de construire des savoirs afin de mieux maîtriser le monde qui nous entoure. Rappelons que l’école obligatoire a été créée pour plusieurs autres raisons...

D’abord le patronat a besoin d’ouvriers qui savent lire et écrire, d’où l’instruction d’un socle de savoirs minimums (on l’a de nouveau constaté en 2006 et 2007 avec De Robien). Il n’était pas question de construire des savoirs pour mieux comprendre son monde, il n’était pas question d’ateliers d’éveil qui permettent de donner du sens aux apprentissages de la lecture, d’écriture et d’arithmétique... Non, il était question d’apprendre à lire (avec la méthode normalisatrice du BABA) et à compter (apprentissage limité aux tables...) L’école a donc pour fonction de contrôler le contenu et l’organisation de l’école. « Le budget de l’éducation nationale, premier budget de l’Etat, représente un coût très lourd pour les entreprises qui l’alimentent par l’impôt. Elles sont donc en droit de demander une meilleure efficacité du système éducatif... » (Livre blanc du CNPF, ex MEDEF, 1993). Le patronat souhaite donc encore mieux contrôler l’organisation de l’école (suppression des diplômes nationaux, autonomisation de l’enseignement supérieur visant en réalité une privatisation...)

Ensuite, l’école permet une maîtrise et un contrôle normalisés de la culture et des savoirs dispensés. C’est ainsi que l’école est un vecteur du nationalisme et du patriotisme, d’une conception socialement et sexuellement déterminée du monde. Les exemples sont multiples. L’école par exemple a été l’outil de l’unification de la langue française et du meurtre des autres langues. De même une discipline comme l’histoire est source d’une politique révisionniste. Les exemples ne manquent pas...

C’est aussi une école de la sélection (à la fin de l’école primaire puis au collège...) avec la reconstruction des classes sociales. En France, le nombre de travailleurs et de travailleuses occupant en France des emplois non qualifiés n’a pas évolué depuis 1982 : il est de 5 millions de personnes. Nous vivons dans une société de classes sociales, dans une société inégalitaire (avec ses chômeurs et ses chômeuses, ses ouvrierEs, ses ingénieurEs, ses dirigeantEs...). L’école est un outil essentiel dans l’organisation inégalitaire qui prenait la place de la reconduction aristocratique des classes sociales. Derrière le mythe de l’égalité des chances, nous n’avons connu au cours du XXe siècle en aucun cas une démocratisation de l’école. Nous avons connu une massification de l’école, mais les mécanismes de la sélection n’ont fait que se reporter de la fin de l’école primaire, au collège (5ème puis 3ème), au lycée puis à l’université...

Enfin, l’école, au-delà du contrôle de l’Etat et du patronat, devient au fils des années une marchandise très convoitée. Et la première convoitise, c’est avant tout les 12 millions de personnes scolarisées, un panel de consommateurs et consommatrices impossible à négliger. Les entreprises entrent donc progressivement par l’intermédiaire des éditions, des outils pédagogiques, des logiciels, de l’enseignement par correspondance... Très sérieusement, Danone, par rapport à la mise à disposition d’un outil pédagogique autour de l’équilibre alimentaire, s’explique : « Plus personne n’incarne l’autorité des valeurs. Les pères ont démissionné, l’Etat est absent. Qui va donner des repères aux enfants ? Les marques peuvent jouer ce rôle. » Jacques Attali, ancien conseiller de Mitterrand, en 2000, rappelait que « l’enseignement loin d’être un coût pour la société, sera une source de profit pour les industries du savoir... » Pour cela, il faut privatiser l’enseignement, tâche que le patronat et les gouvernements successifs depuis 1986 avec les projet de réforme de l’université avec Devaquet. Le récent projet adopté par le gouvernement actuel sur l’autonomie des universités va dans ce sens.

Pour un service social public d’éducation

Nous devons militer pour une éducation qui va à l’encontre de la logique libérale et autoritaire de notre société. L’éducation doit être un droit, avec un accès gratuit, elle doit rester laïque. Nous ne sommes pas seulement pour un service public, mais aussi pour un service social, c’est-à-dire que cette éducation doit s’inscrire dans un contexte d’alternative sociale et ainsi viser l’émancipation des individuEs. Un service public d’éducation coupée de tout objectif, de tout projet de transformation sociale est la base idéologique des courants social-démocrates. Elle ne sert qu’a humaniser, à rendre accessible un service à tous et toutes, mais elle est sclérosée dans la reproduction sélective et normative commanditée par le patronat.

Dans le cadre de l’Etat ou hors de l’Etat, en fonction de nos situations, de nos réalités locales, nous devons défendre une éducation sociale, une éducation populaire, qui permet l’émergence des créativités, qui éveille la curiosité, qui donne confiance aux personnes, qui permet aux personnes de découvrir leurs capacités et compétences individuelles et collectives, qui permet de comprendre le monde qui nous entoure pour en devenir acteur... Cette éducation seule ne peut déconstruire les fondations de notre société inégalitaire. Mais elle peut y contribuer et s’inscrire plus largement dans un mouvement social. C’est en ce sens que les mouvements pédagogiques, sociaux, syndicaux, progressistes, radicaux, alternatifs doivent créer des liens...

L’éducation libertaire consiste entre autres à ne plus considérer l’enfant comme une personne en devenir. L’enfant est un individu unique, et il doit être considéré en tant que tel. Et si adultes et enfants ne peuvent être égaux de part les capacités intellectuelles d’un enfant, il doit y avoir une dynamique vers cette égalité. Par dynamique, on peut entendre une marche vers l’égalité, une recherche pédagogique qui permette aux enfants en fonction de leur capacité de vivre progressivement une relation équitable, de prendre en charge individuellement et collectivement leur éducation. Dans nos institutions éducatives (que ce soit une école, un centre, dans le cadre familial...) l’enfant, comme toute personne, a des droits.

D’abord celui d’être dans un espace qui respecte ses besoins affectifs (sécurité affective et besoin de référence), le respect de son rythme, de ses goûts et désirs.

Ensuite, celui de s’exprimer, ce qui sous entend que des espaces sont crées à cette fin : l’enfant doit pouvoir dire ce qu’il pense de sa journée, des adultes... Et s’exprimer ne sert à rien si on n’est pas entendu : parler de démocratie enfantine signifie que l’on doit mettre en place un système qui prend en compte les capacités des personnes, du public, mais qui tend vers un partage des pouvoir. Ces espaces démocratiques signifient que l’on instaure régulièrement des temps de réunions (conseils d’enfants) avec des ordres du jour et des modalités de décisions à définir, que les décisions prises collectivement soient respectées (l’adulte doit en être garant), que l’information soit la plus largement partagée (information sur le budget, sur les contraintes)...

« La pédagogie institutionnelle est alors la méthode qui consiste à aménager, par une analyse permanente des institutions externes, la marge de liberté dans laquelle le groupe-classe pourra autogérer son fonctionnement et son travail, assurer sa propre régulation par la création d’institutions internes (...) La pédagogie institutionnelle prétend au contraire, favoriser la socialisation en permettant aux enseignés d’instituer, dans la mesure du possible leur organisation, et en leur faisant prendre conscience des contraintes institutionnelles, sociales, de leur apprentissage. » René Lourau et Georges Lapassade La classe est un espace de vie, un espace socio-politique ! « On prépare la démocratie de demain par la démocratie à l’Ecole. Un régime autoritaire à l’Ecole ne saurait être formateur de citoyens démocrates.  » (invariant pédagogique de Freinet).

Pour permettre aux enfants progressivement de se construire les moyens de l’autogestion ou de la co-gestion, il faut instituer des outils dès le plus jeune âge. Le conseil de classe, le conseil d’école, le conseil de centre, l’assemblée générale, la pléinière, la commission, le « quoi de neuf », le groupe de parole, la lecture du cahier de critiques, les bilans... Tous ces outils ont pour objet de replacer la parole au centre du groupe. « Si la résidence de l’homme est le langage ou la langue, les mots sont les bagages du voyage en commun qu’est l’humanité. Tous es problèmes transitent par les mots, avant, pendant et après, ils s’y installent à un moment ou à un autre. Nous touchons là l’épicentre d’une prévention de la violence qui revendiquerait de mettre en mots ce qui peut et doit l’être, à chaque instant du jour et de la nuit... » (Jacques Pain)

C’est que l’on appelle aussi en pédagogie institutionnelle le « palêtre  ». Si dans les écoles actuelles, en particulier le collège, il existe une réelle violence contre les institutions (incivilités de toutes sortes ou violences encore plus directes...) c’est que la parole est non seulement pas entendue mais elle est interdite. Impossible vent trop souvent de dire sa pensée de l’école, du cours, de tels adultes, de sa journée... La parole permet de penser, organiser, prévoir, réguler le conflit.

Mais la parole ne suffit pas. La violence peut fixer la violence dans la parole, à condition que cette parole soit non seulement autorisée mais entendue. Entendue donc prise en compte par des processus institutionnel à construire.

Mais la parole ne suffit pas. La violence peut fixer la violence dans la parole, à condition que cette parole soit non seulement autorisée mais entendue. Entendue donc prise en compte par des processus institutionnel à construire.

L’outil souvent utilisé est celui du conseil. Le conseil (ou l’assemblée...,l’assemblée..., peu importe le nom) est un espace décisionnaire qui va construire ces règles à partir de certaines lois fixées au préalable. Par loi (le nonnégociable s’articulant essentiellement sur le respect des personnes), il ne faut pas entendre les lois de l’Etat créées dans un rapport de force... L’adulte a une fonction castratrice plus ou moins importante en fonction de l’âge. Mais la liberté des anarchistes, ce n’est pas l’autorisation du passage à l’acte autorisé de toutes les pulsions : laisser l’enfant dans la toute puissance, ce n’est pas l’aider à se construire. « Nul - l’enfant pas plus que l’adulte - n’aime être commandé d’autorité. » (Freinet). Le conseil peut donc adopter des règles, construire les sanctions/réparations. Il est organisé de manière régulière et peut même en fonction de l’âge il peut animer (distribution de la parole, secrétariat...) directement par les enfants et les jeunes. L’organisation de la structure éducative est essentielle et est importante car elle va permettre une réelle organisation collective qui dépasse la loi du plus fort. La grille d’analyse proposé par Jean Legal (suite à cet article) permet de mesurer la complexité de l’organisation et du coup le niveau de démocratie.

L’apprentissage centré sur l’individu dans une dynamique sociale

Ce que les courants de la pédagogie nouvelle ont apporté dans le cours du XXe siècle n’est au départ pas très complexe. Dans un premier temps, cela a consisté à faire de la classe un lieu de vie : on y enseigne, on y apprend comme on y vit, naturellement.

Pour qu’il y ait apprentissage, on doit se centrer sur la personne, avant de se centrer sur le savoir. Freinet disait « on ne peut pas faire boire un cheval qui n’a pas soif. » On doit donc prendre en compte la dimension affective de l’éducation et de l’apprentissage. On doit interroger les désirs, les besoins de l’enfant, du jeune ou de l’adulte. L’éducateur ou l’éducatrice doit donc susciter le désir. Cet objectif nécessite de réfléchir sur la richesse du milieu (le milieu peut créer des situation inductrices). La posture de cet adulte est essentiel car il doit, il peut porter le désir. Etre porteur du désir nécessite de faire attention car le risque est que l’enfant ne fait plus par rapport à son propre désir mais par rapport aux désirs de l’adulte. Il faut donc se méfier de l’état de dépendance de l’enfant vis à vis de l’adulte (dépendance affective...) Poser la question du désir nécessite de prendre en compte la question du sens. Pourquoi apprendre ? C’est un des apports importants de Freinet et des mouvements d’éducation nouvelle. Pourquoi lire et écrire ? Du coup pour lire et écrire, on imprime nos propres journaux, on écrit nos propres textes, nos pensées sans censures, on correspond avec d’autres écoles, avec d’autres pays (sensibilisation ou apprentissage de d’autres langues) L’activité est essentielle dans l’apprentissage. Au cours de l’activité on doit se confronter à des problématiques et tenter, avec ou sans aides, de les résoudre. Je construis un objet en bois. Et au-delà du savoir faire (couper le bois, les assembler...) il faut aussi mesurer, faire des symétries, faire un plan. Des savoirs sont donc mis en jeux... L’activité permet aussi de répondre à de multiples objectifs comme celui de l’expression de soi, la découverte des autres.... La dimension collective est aussi importante. J’apprends avec les autres, j’apprends parce que j’aide une autre personne. L’entraide et la recherche collective sont des outils d’apprentissage importants.

Stratégies de lutte et d’intervention

« Nous ne comprenons pas toujours que des collègues fassent de la pédagogie nouvelle, sans se soucier des parties décisives qui se jouent à la porte de l’école mais nous ne comprenons pas davantage les éducateurs qui se passionnent activement pour l’action militante et restent dans leur classe de paisibles conservateurs. » (Freinet). Même si Freinet n’est pas libertaire (et encore que l’on pourrait développer la réflexion, car ce n’est certainement pas par un total hasard qu’il finira par se faire exclure par le PCF !), cette citation nous montre la nécessaire dialectique qui doit nous concerner. Il faut absolument lier ces deux luttes, créer des liens entre les militantEs, les structures militantes, créer des espaces de rencontres. Au niveau des luttes sociales, il convient :

- de défendre une unification et une globalisation des luttes. Le patronat et les gouvernement successifs, de gauche comme de droite, comprennent qu’ils ne peuvent pas s’attaquer globalement à tous les secteurs, aux retraites publiques et privées, à l’ensemble des services publics, au risque de provoquer une réaction globale. Le patronat et les gouvernements successifs se sont attaqués progressivement à chaque secteur créant ainsi des réactions corporatistes.

- de créer des mouvements unitaires sur des bases radicales. Il convient donc de défendre un syndicalisme de classe avec un vocation de transformation sociale. (lutter contre certaines évolutions du syndicalisme actuel, contre l’emprise de la Confédération Européenne des Syndicats), de créer des liens entre les différents secteurs investis au-delà même des directions syndicales. Mais il convient aussi d’affirmer que le syndicalisme ne peut se suffire à lui-même. Il existe de multiples autres formes de luttes comme les coordinations, les mouvements sociaux, les luttes en autonomie, les mouvements altermondialistes, les squats, les associations spécifiques... Et il convient de créer des ponts, des liens entre ces différents secteurs. La radicalité s’inscrit aussi dans une recherche d’autonomie par rapport à la gauche institutionnelle qui a tout de même gouverné pratiquement une année sur deux ces vingt dernières années. La radicalité doit aussi s’inscrire dans une démarche qui ne peut pas être que défensive mais aussi construire des propositions, des alternatives.

Au niveau pédagogique, il convient de s’appuyer sur les expériences et réflexions des mouvements d’éducation nouvelle. Partir de ces mouvements, créer aussi des alternatives en actes de manière autonome et liées avec le mouvement libertaire (comme a pu l’être l’école Bonaventure) pour tenter de créer une vague, un mouvement large remettant en cause l’éducation traditionnelle. Les mouvements sont multiples (cf. article pages suivantes). Il convient, au sein de ces mouvements ou dans le cadre d’expérience alternative, de créer du lien et de lutter contre une «  technicisation » de ces mouvements. La pédagogie est avant tout politique même si elle a besoin d’outils, de techniques. Il convient aussi que ces mouvements pédagogiques gardent, construisent un lien avec un projet de société tout en gardant une autonomie avec la gauche institutionnelle (d’autant moins facile que ces mouvements interviennent parfois dans des dispositifs ministériels : IUFM...). Pour créer ce lien, il convient donc de rappeler ce nécessaire lien avec un projet de société à définir au sein de ces mouvements mais aussi favoriser (Emancipation, ex Ecole Emancipée en est certainement un exemple) l’émergence de structures liant le secteur social, politique et pédagogique. Il convient aussi au niveau des expériences pédagogiques de ne pas se centrer uniquement sur l’école et penser à tous les autres secteurs de la relation humaine : des crêches, aux haltes gardries, centres de loisirs, aux centres de vacances, centres socioculturels, hopitaux, institut médicaux éducatifs...

Théo Simon ( No Pasaran Nantes)


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