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AccueilJournalNuméros parus en 2001N°4 - Décembre 2001 > Gangsters et voyous - Maurice Rajsfus

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Gangsters et voyous - Maurice Rajsfus



En 1989, avec la chute du Mur de Berlin, puis en 1991, après l’implosion de l’Union soviétique, de doctes esprits nous ont expliqué que nous assistions à la fin de l’histoire. Finalement, les bons apôtres laissaient entendre tranquillement qu’il s’agissait surtout de la fin d’une histoire propre à celles des pays non-intégrés au mode de développement capitaliste. Dans le même temps, il convenait de faire croire que l’idée même d’un modèle socialiste authentique n’était plus à l’ordre du jour.
Débarrassé de l’Union soviétique post-stalinienne, et de ses satellites, le "Monde libre" pouvait tout à loisir désormais s’activer à ne pas s’inquiéter que du profit. Bien sûr, il y avait le Tiers-monde, mais cette fraction d’humanité n’était pas censée représenter le moindre danger - sur le court terme - pour les traders de Wall Street, de la City de Londres ou de la Bourse de Francfort. Tout n’allait pourtant pas pour le mieux dans le meilleurs des mondes capitalistes. Certains apprentis refusaient soudain de continuer à obéir, s’estimant suffisamment adultes pour refuser désormais la tutelle des Grands et même du plus Grand d’entre les Grands : les USA. Et ce fut la Guerre du Golfe, qui vit un Etat prédateur - entouré d’une coalition de circonstance - écraser sous les bombes la population d’un Etat dont le dictateur refusait curieusement de mettre ses pas dans ceux du Grand Frère.

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Depuis des décennies, déjà, les grands ainés américains s’étaient appliqués à défaire les démocraties, nées parfois de la décolonisation, pour y installer des dictateurs qu’ils croyaient tout à leur dévotion. Le Vietnam, écrasé sous les bombes, ne put finalement que rester sous la botte d’un modèle stalinien ; le Cambodge de Pol Pot. Sous d’autres cieux, Pinochet, mis en place au Chili par les soins de Harry Kissinger et le trust ITT, ne faisait que précéder les sanglantes dictatures militaires apparues au Brésil, en Argentine ou en Uruguay. Sans oublier Saint-Domingue ou l’Indonésie (où le coup d’Eat du général Suharo, en 1965, provoquait l’assassinat de près d’un million de communistes ou supposés tels), voir les Philippines.
Tout cela n’allait pas sans quelques ruades de la part de ces dictateurs, bons à exécuter des putsch militaires mais incapables de gérer leur pays selon les vœux du parrain (au sens mafieux du terme, bien sûr). Alors, selon les nécessités du moment, les gérants du monstre USA défont ces hommes-liges qui ne sont plus suffisamment souples à leur gré car ils ont fini par se croire les patrons naturels de ces Républiques bananières dont ils ne sont que les gestionnaires temporaires.

La liste est longue de ces guignols sanglants -et nos gouvernants français connaissent bien la recette - jetés par dessus bord dès qu’ils deviennent encombrants : les Bokassa, Amin Dada, Mobutu, Marcos, etc. On remplace ensuite ce petit personnel pour espérer un répit salutaire et continuer à pressurer des populations à qui l’on fait croire que seul le modèle occidental est digne d’intérêt.
Pour la bonne conscience des pays du "Monde libre" apparaissent alors de nouveaux enemis, taillés sur mesure car issus eux aussi de la même école. Ce sont les "Etats voyous". Certes, il fallait bien trouver un adversaire mais sa définition étant aléatoire, le terme choisi permet d’élargir la famille des éventuels coupables. Le "voyou", véritable déviant, ne peut être que le contraire d’un gentleman. Le "voyou" n’a pas d’honneur. Finalement, le "voyou" est un terroriste en puissance. De plus, l’Etat "voyou" se situe nécessairement au Sud, et n’a pour seule ambition que d’anéantir les pays riches. Pis encore, le "voyou" est musulman.

De son côté, le "Monde libre" est pur et sans tache. Il a pour volonté de dominer la planète. A sa tête, les USA donnent la direction à prendre. Cela, bien évidement, pour le eul bonheur de l’humanité. Bien sûr, c’est la Bourse qui impose sa conception du bonheur mais le progrès est à ce prix. Et chacun connaît l’importance des investissements nécessaires à la montée en puissance de la haute technologie. Il est donc indispensable de codifier les ordres de priorité définis par le FMI.
Il y a par ailleurs ces régions du globe, abandonnées à leur triste sort et auxquelles on ne demande que de fournir des matières premières à vil prix. Ce sont les pays dits sous-développés. Nous trouvons ensuite les pays en voie de développement, où l’on s’assure d’une main-d’œuvre sous-payée pour produire à des prix de revient permettant des super-profit au stade de la distribution, dans les démocraties occidentales. A la suite, nous trouvons les pays émergeants, bientôt prédateurs à leur tour et qui constituent une clientèle de choix pour les industries d’armement : les seules sources de production qui n’ont pas encore été délocalisées.
Si l’on se risque à murmurer que le "Monde libre" constitue un espace privilégié, vivant aux dépends du tiers monde, et que chaque bifteck consommé ici participe de la destruction des cultures vivrières, là-bas, on nous rétorque immédiatement que notre propos est excessif. Finalement, inamovible gendarme du monde depuis plus d’un demi siècle, l’Amérique est généralement présenté comme le champion des libertés et le meilleur garant du système démocratique.

Le 11 septembre 2001 ? l’un de ces "voyous", véritable apprenti-sorcier, a échappé à la surveillance de ce maître qu’il ne supportait plus de voir chasser sur les terres musulmanes. Le ciel est tombé sur la tête de ces maîtres du monde, pourtant déjà prêts pour "la Guerre des étoiles" (contre quel ennemi ?) et qui avaient du mal à admettre qu’il était possible de détourner des avions avec de simples cutters. Très vite également, les USA ont découvert la guerre bactériologique, et l’angoisse, estimant tout cela injuste et contraire aux règles de la guerre. Quand donc les matamores de Wall-Street et du Pentagone comprendront-ils qu’en mettant en place des dictatures dans le tiers monde, ils se tiraient une balle dans le genou, avec effets sur le long terme ?
La nouvelle guerre, sans pertes de vies humaines pour le plus fort, ne peut que se terminer par une défaite pour ceux qui, sans la moindre vergogne, ont commencé par parler de "croisade". Ultime maladresse de la part de ces Américains jusqu’alors persuadés de leur puissance, et qui sont assez stupides pour imaginer que les Arabes ont oublié le sens du mot croisade. Ce qui permet à un Ben Laden de déclarer la guerre aux "infidèles" et aux Juifs, par Israël interposé.
Une fois de plus, la realpolitic à la sauce américaine empoisonne la planète, et lorsqu’on se risque à rappeler que Ben Laden est le fils de la CIA, le contre-feu est immédiatement trouvé : "Votre propos est obscène !" Et peu importe que cette nouvelle "croisade" puisse provoquer une relance de ce racisme antimaghrébin qui empoisonne l’atmosphère de notre beau pays de France depuis la fin de la guerre d’Algérie...


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