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AccueilJournalNuméros parus en 2007N°63 - Novembre 2007 > HARO SUR LES SCIENCES ECONOMIQUES ET SOCIALES

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HARO SUR LES SCIENCES ECONOMIQUES ET SOCIALES


Lors de la rentrée scolaire, les médias s’en sont donné à coeur joie pour fustiger les Sciences Économiques et Sociales (SES). À l’origine de l’affaire, le rapport de l’association « Positive entreprise  » [1] sur les manuels scolaires de Seconde. Pourquoi évoquer le rapport d’une obscure association ? D’abord, parce que ce rapport témoigne de l’air du temps : la volonté d’idéologiser les savoirs. Ensuite, et c’est l’une des raisons de l’inquiétude, ce rapport a été médiatisé et repris sans recul. Voici ce à quoi l’on peut s’attendre.


Pour commencer, quelques petites remarques sur la méthode. Le rapport de « Positive Entreprise » se base sur l’étude de quatre manuels de SES. Or, en matière d’édition des manuels scolaires, l’offre est relativement réduite, mais pas à ce point. On peut donc légitimement se demander pourquoi les autres ont été éliminé de l’étude. Peut-être ne cadraient-ils pas avec le propos ?

D’autre part, pourquoi se contenter de l’analyse de la classe de Seconde, alors qu’il ne s’agit à ce niveau que d’une initiation et que les programmes de Première et de Terminale sont conçus en continuité avec celui de Seconde ? On ne va pas reprocher aux professeurs d’Histoire de ne pas traiter la Seconde Guerre mondiale en Seconde. Jeter un petit regard sur les programmes de ces classes leur aurait donc permis d’éviter quelques bourdes dans leurs propositions (traiter des rudiments de la micro-économie ou présenter les entreprises à l’international sont des éléments qui existent déjà). En outre, quelque soit la critique que l’on veut faire, il me semble inquiétant de critiquer un enseignement uniquement par le biais des manuels scolaires, car cela revient en somme à nier la liberté pédagogique de l’enseignant, qui existe encore : pour combien de temps, c’est une autre histoire. Les manuels ne sont qu’un support parmi d’autres pour l’enseignant. Sans compter que la présentation d’un document dans un manuel ne permet pas d’en présager l’usage. Petit exemple d’actualité : la lettre de Guy Môquet pouvait tout aussi bien servir de communion solennelle autour de l’engagement pour la patrie que de point de départ à un débat sur l’usage politique de l’histoire ou sur ce que signifie résister aujourd’hui.

Ce premier reproche fait au programme de Seconde témoigne de la mauvaise foi des auteurs du rapport. Trop de sociologie à leur goût : « La part réservée aux thèmes de la famille, de la socialisation et de la reproduction sociale est relativement impor - tante. » En fait, le thème de la famille est censé être traité en quatre à cinq semaines, pour six à sept semaines sur l’emploi, huit à neuf sur la consommation et neuf à dix semaines sur la production (dont le tiers concerne spécifiquement la production dans l’entreprise et un autre tiers l’organisation du travail et les relations dans l’entreprise). Sans compter que la séparation sociologie / économie est particulièrement artificielle au sein d’une discipline qui cherche justement à croiser les regards des différentes sciences sociales pour étudier un phénomène. Donc, le moins qu’on puisse dire, c’est que ce rapport manque de rigueur et relève en grande partie d’un procès d’intention. Cependant, l’étude du fond permet de voir le projet derrière le rapport.

QUELQUES MORCEAUX CHOISIS

Que reproche-t-on exactement aux Sciences économiques et sociales ? De manière générale, la place de l’entreprise est insuffisante et la vision qui en est donnée est négative. « L’entreprise est présen - tée comme à l’origine de la concurrence “ de plus en plus acharnée ” qui caractérise nos sociétés ; d’où la nécessité de réduire les coûts, spécialement de main d’oeuvre. » Très franchement, je me demande où les professeurs de SES qui ont écrit les manuels sont allés chercher de pareilles inepties ! Les délocalisations sont des actions humanitaires, tout le monde le sait.

« Dans les manuels de Sciences économiques et sociales, les portraits de chômeurs sont beaucoup plus nombreux que ceux de chefs d’entreprises performants, de jeunes diplômés ambitieux, de collaborateurs épanouis. Les success stories sont rares et ceux qui peuvent servir de modèle aux plus jeunes ne sont pas légion. » Les chômeurs sont des fainéants, s’ils le voulaient, grâce à leur sens de l’initiative, ils pourraient monter une entreprise florissante et devenir un modèle pour la France.

« Nombreux sont les articles qui tracent un tableau particulièrement noir des conditions de travail en entreprise. Non seulement la charge de travail s’alourdit de façon continue, mais le sentiment de harcèlement moral se développe. Un des auteurs explique : “ La pression et le stress s’accroissent : il ne suffit plus désormais de bien faire son travail, il faut le faire mieux que les autres, quitte à écraser ses collègues pour qu’ils deviennent moins compétents. ” ». Comment ? Nous osons affirmer que le travail n’est pas bonheur et épanouissement pour tous ! Je suis sûr que les salariés de Renault qui se sont suicidés étaient submergés d’un bonheur sans nom à chaque seconde de travail.

« À la notion de travail salarié est systématiquement associée la notion de subordination du salarié à l’employeur. » Le salarié est un travailleur libre, qui travaille en association, pour son bonheur et son épanouissement personnels. Amen !

Je crois que vous commencez à saisir. Juste un dernier morceau choisi auquel je ne peux résister : « Des tableaux de chiffres sur les rémunérations sont présentés. Suit cette question : “ Le salaire du PDG d’une grande entreprise est combien de fois plus élevé que celui d’une caissière ? ” Que pensez-vous que le lycéen déduira de son calcul ? » Si les auteurs pensaient servir leur argumentation, c’est perdu. Malheureusement, face à ce calcul, le lycéen moyen déduit avant tout qu’il a intérêt à devenir PDG plutôt que caissière.

Le rapport se conclut par quelques mesures susceptibles de favoriser la promotion d’une vision positive de l’entreprise : introduire des représentants de l’entreprise parmi les rédacteurs ou au sein des commissions des manuels ou encore instituer un comité élargi de validation des manuels scolaires. Et pourquoi pas carrément les associations de défense de la famille tant qu’on y est : il est totalement inadmissible que les manuels parlent du PACS dans le chapitre sur la famille, et qu’ils osent suggérer que les rôles dans la famille doivent être de plus en plus égalitaires, etc.

POURQUOI CES ATTAQUES ?

En réalité, ces attaques sont loin d’être nouvelles et isolées. Les professeurs de SES sont régulièrement taxés de gauchisme, les manuels de myopie [2] et régulièrement, des réformes tentent de modifier les contours de la discipline. Un exemple : en 2003, l’option de spécialité SES en première « Droit et science politique » devait être remplacée par « Droit et gestion des entreprises ». La mobilisation a eu raison de la réforme. Le Medef, malgré ses critiques, a opté pour une autre stratégie : l’infiltration. À travers l’Institut de l’Entreprise (dirigé par Michel Pébereau) et le site Melchior, il propose des stages aux profs et des séquences de cours. À croire que les SES dérangent !

Mais, le problème ne vient pas de l’idéologie professée par les manuels ou les profs, qui, face au rouleau compresseur des médias et des valeurs de la société, aurait bien peu d’échos. D’ailleurs, il est étrange de noter que, tandis que beaucoup reprochent aux SES de présenter les thèses de Bourdieu ou de Marx, aucun professeur (« gauchiste ») ne proteste contre l’enseignement des thèses d’Adam Smith, de Ricardo ou de Milton Friedman, voire même qu’ils choisissent d’en parler sans y être obligés. Tout simplement parce que l’objectif des SES n’est pas d’enseigner u n d o g m e . P l u r i d i s c i p l i n a i r e , l’enseignement des SES est construit sur la confrontation d’une pluralité d’approche, qui oblige à la réflexion (confrontation des théories entre elles, confrontation des théories au fait). Un exemple : la socialisation est à la fois présentée comme une des principales causes de la reproduction sociale mais également comme un moteur du changement social.

Le but de l’enseignement est ainsi de mettre à jour le fonctionnement de la société et surtout de développer l’esprit critique, car avant d’être un ensemble de savoir, les SES se construisent comme une démarche, qui oblige à un regard critique sur la société et les discours qu’elle produit. Or la confrontation est le moteur de la construction de l’individu. D’ailleurs, dans les SES, la sacro-sainte neutralité du professeur ne tient pas, même l’Inspection en convient. La plupart des professeurs donnent leur opinion, mais ils ont l’honnêteté de ne pas donner à leur opinion le statut de savoir. Il est probable que certains profs cherchent à asséner leur vérité, mais cela ne fonctionne pas. Les élèves ne sont pas dupes. Il faut arrêter de croire que les élèves sont cons et malléables à merci. Ils n’arrivent pas en classe vierges de tout savoir et de toute socialisation. Cependant, la confrontation aux faits, aux théories et aux opinions des autres (y compris celles du professeur) contribue à la construction de leur esprit critique et de la réflexivité.

Il ne faut pas s’y tromper, si les SES cristallisent le débat de par leurs thèmes d’études, bien d’autres disciplines sont concernées par la vague idéologique actuelle qui tente de substituer, à la construction d’un savoir critique, l’apprentissage de dogmes : l’Histoire a déjà été plusieurs fois dans la ligne de mire. Le risque est que, face à ces attaques discipline par discipline, le réflexe corporatiste prime. Or, il convient de faire front pour empêcher que l’éducation ne devienne une fabrique de robots.

Bonnie


[1] L’entreprise dans les programmes scolaires - Les Sciences économiques et sociales au programme de Seconde, © Positive Entreprise, août-septembre 2007.

[2] Laure Dumont, « L’étrange myopie des manuels de Sciences économiques et sociales », L’Expansion, 12 août 2002.


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