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RETOUR SUR L’AFFAIRE LAMINE DIENG

COMMENT PEUT-ON MOURIR DANS UN FOURGON DE POLICE ?


Lamine Dieng, 25 ans, est décédé entre les mains d’agents de la police urbaine de proximité, le dimanche 17 juin au petit matin, rue de la Bidassoa (Paris XXe). La famille n’a été informée que 36 heures plus tard par l’Inspection Générale des Services (IGS) et n’a pu voir le corps que 58 heures après les faits. Malgré quatre mois de mobilisations, la vérité sur la cause de la mort n’est toujours pas accessible.


L’une des soeurs de Lamine Dieng déclare : « Ils nous ont juste dit que c’était un accident sur la voie publique, donc on a imaginé que c’était un accident de moto ou de voiture. Donc on a demandé : est-ce qu’on peut voir le corps ? [...] On n’est partis à l’IGS que le mardi à 9h30, parce qu’ils ne pouvaient pas nous recevoir avant. [...] On l’a vu, mais il était recouvert de drap, de drap blanc, au niveau de la tête également, donc on ne voyait que la face. C’était à travers une vitre, une vitre nous séparait de lui, il était dans une pièce, et nous de l’autre côté. » Une semaine après le décès, la famille n’avait toujours pas pu obtenir une réelle information sur les circonstances de la mort.

Le dimanche 24 juin, une marche silencieuse est organisée pour exiger que la vérité soit établie et rendue publique. Une habitante du XXe écrit sur Indymedia que 800 à 900 personnes sont présentes à la marche. « Les jeunes du quartier, particulièrement nombreux, avaient confectionné des T-shirts avec la photo de [...] Lamine ; leur service d’ordre était impressionnant. » Mouloud Aounit, président du Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples (MRAP), déclare à l’AFP, lors de la marche : « Il y a des zones d’ombre dans cette affaire : comment se fait-il que le corps du jeune homme ait été ressorti du fourgon de police, qu’il soit resté plusieurs heures sur la voie publique et que la famille n’ait été prévenue du décès que le lundi ? »

Le 27 juin, la famille remet aux députées Pau-Langevin et Taubira ainsi qu’à la sénatrice Borvo Cohen-Seat une lettre de saisine de la Commission Nationale de Déontologie de la Sécurité (CNDS). Plainte est également portée au Tribunal de Grande Instance de Paris (TGI). Le 29 juin, la vice-doyen des juges d’instruction s’engage à ouvrir une information dans les plus brefs délais. Mais plus de 15 jours après le décès, le juge d’instruction n’est toujours pas nommé. Le dossier reste bloqué au parquet et l’autopsie ne peut pas être effectuée. La police dit que c’est aux mains de l’IGS, et l’IGS dit qu’elle attend le rapport d’autopsie. Or le rapport d’autopsie ne peut pas être fait tant que le dossier reste bloqué au parquet. Le 29 juin, le comité « Vérité et Justice pour Lamine Dieng » est créé.

Le 6 juillet, le dossier est toujours bloqué, sans qu’aucune raison soit donnée. Le corps se trouve alors depuis trois semaines à l’Institut médico-légal. À cette lenteur hallucinante s’ajoute l’augmentation rapide de la présence policière dans le quartier des Amandiers.

En parallèle, les librairies Le Monte-en-l’air (rue des Panoyaux) et Thé-troc (rue J.-P. Timbaud) subissent des « visites » policières. Les policiers, « gracieusement renseignés » par voie anonyme par de très « honnêtes citoyens » du quartier, ordonnent aux libraires de retirer de leur vitrine les affichettes « mort dans un fourgon de police » invitant à la réunion du comité Lamine Dieng. Les deux libraires refusent de se rendre à la convocation au commissariat, et Le Monte-en-l’air ajoute une affichette  : « Ici on convoque le libraire au commissariat de police pour avoir manifesté son soutien au moyen d’une affichette à la famille de Lamine Dieng, mort dans un four - gon de police ». Ces librairies ont l’habitude du harcèlement policier, elles ont déjà été mises en cause lors de la tentative de censure des dessins de policiers en cochons [1].

Une seconde marche « pour Lamine » a lieu le vendredi 6 juillet. Des projectiles sont lancés sur des véhicules de police. C’est la première (et dernière apparemment) mention de l’affaire sur TF1. Le reportage commence par : « Des jeunes encagoulés ont caillassé vendredi soir des véhicules de police dans le XIe en marge d’un rassemblement sur la mort controversée d’un jeune mi-juin ». Il se termine en disant que l’IGS a « été saisie dès le jour de la mort du jeune homme » et qu’« une enquête [est] en cours ».

Le 9 juillet, le procureur de la République Marin publie dans un communiqué que, selon l’autopsie et les analyses toxicologiques, le décès de M. Dieng est « très vraisemblablement » dû à une overdose (cocaïne et cannabis). Le communiqué ajoute : « Une fois entravé et placé dans le car de police (...) il est devenu inerte et est décédé, malgré les gestes de survie pratiqués par les policiers et des pompiers immédiatement alertés ». La police était sur place vers 4 heures. Le décès n’a été constaté qu’à 5 heures 15. L’une des soeurs : « S’il a fait son malaise dans la camionnette, la question que je me pose, c’est pourquoi ne pas l’avoir conduit à l’hôpital Tenon, qui est à trente secondes ? ». Le communiqué dit aussi que Lamine Dieng, ne portant pas de pièce d’identité, n’a pas pu être identifié immédiatement. Pourtant, l’agent de police du premier appel avait affirmé que le jeune homme était connu de leurs services. Voici donc les solides « éléments » qui « ont conduit le parquet à ne pas envisager de poursuites ».

Pourtant, un juge d’instruction est nommé le mercredi 11 juillet. Il ordonne la contre autopsie le 12 ; elle est effectuée le 16 (résultats attendus en septembre). La famille a fait savoir dans un communiqué que la « Justice » lui a refusé « l’exercice du droit élémentaire d’assister à la toilette funéraire, à défaut de la faire, et même de voir le corps de Lamine. Toutes les demandes de dérogation ont été refusées. » Le 21, la convocation pour venir chercher le permis d’inhumer est enfin délivrée. La levée du corps a lieu le 25 juillet au Foyer ADEF, rue des Amandiers.

Depuis, la mobilisation continue et le collectif se réunit de façon hebdomadaire. Il est composé de gens du quartier et de militants associatifs et politiques d’obédiences variées, ce qui peut être une richesse ou un obstacle, selon les situations. Un concert-débat devait avoir lieu le 20 octobre au Théâtre de Verdure. Mais après avoir donné son accord ainsi qu’une fiche technique, la mairie du XXe (PS) a finalement refusé, sous le prétexte que « c’est politique » et que nous entrons dans une phase électorale. La mairie ne s’est même pas fendue d’une raison qui fasse semblant de tenir la route ! « Ç’aurait été mieux qu’on les amène à nous accueillir, dit une des membres du comité, mais tant pis, on n’a pas besoin d’eux pour notre événement. » À la place de l’événement initial, une projection-débat a donc lieu à la FASTI. À chaque fois que l’État s’esquive, la famille et le comité trouvent une façon de réagir. Si bien que la mobilisation continue, même après quatre mois de combat. Lassana Dieng : « Je veux savoir exactement comment mon frère a pu monter dans le fourgon vivant et en ressortir mort. »

Questions sans réponses ?

Pourquoi la famille n’a été prévenue que 36 heures après le décès, et ce par l’IGS ? Pourquoi l’IGS a-t-elle indiqué que la police avait eu du mal à identifier le corps, alors que les policiers du quartier qui l’ont interpellé ont, dans le même temps, précisé à l’IGS que Lamine était connu de leurs services  ? Pourquoi les policiers ont-ils ressorti le corps du fourgon et attendu plus d’une heure avant de réagir ? Pourquoi l’acte de décès mentionne-t-il qu’il a été dressé le 18 juin 2007 à 9 heures 50 sur la déclaration de Lassana Dieng, alors que c’est Mariama Dieng qui a été informée, non pas à 9 heures 50 mais aux alentours de 17 h 30 ? Pourquoi le décès a-t-il été déclaré à 9 heures 50 à la mairie de Paris, alors que la famille n’a été informée qu’aux alentours de 17 h 30 ? Pourquoi un si long délai avant que la famille puisse voir le corps, presque entièrement caché sous un drap ? Pourquoi les marques sur le visage sont-elles passées sous silence ? Pourquoi, malgré la gravité des faits, un aussi petit nombre d’articles dans les journaux ? Pourquoi, au fur et à mesure qu’on creuse, le nombre de zones d’ombre ne cesse-t-il de s’agrandir ?

Traitement médiatique

L’Humanité a fait paraître deux articles (les 9 et 12 juillet), plus une interview d’Ekoué du groupe La Rumeur le 14 septembre, où il y a une allusion à l’affaire. L’article du 9 juillet reprend les informations disponibles sur Internet ; le ou la journaliste ne s’est apparemment pas déplacé-e. Dans Libération, des articles le 9 juillet, puis plus rien à part un billet d’humeur dans la rubrique « rebonds ». Le Monde publie un article le 26 juin, un le 7 juillet et le 11. Six articles dans 20 Minutes, aucun dans Métro. Puis blackout après le 10 juillet, date du communiqué du procureur.

La liste s’allonge

Bordeaux le 12 juin, Mohamed Ait Brahim Moulay, 27 ans, se suicide au centre de rétention. Quelques jours plus tard, un homme mis en cellule de dégrisement meurt dans le même commissariat (conséquence d’une hémorragie dont la cause reste inconnue).

Lyon le 18 juin, lors d’un contrôle, Mohammed Elmi, 23 ans, se jette dans la Saône et se noie devant les policiers. Famille prévenue 48 heures après les faits. Ce sont les agents qui ont été impliqués qui sont en charge de l’enquête.

Marseille le 23 juin, un adolescent de 14 ans est fauché par une voiture de police alors qu’il traverse en poussant son vélo sur un passage piéton. Le policier conducteur est mis en examen « pour homicide involontaire avec la circonstance aggravante du délit de grande vitesse ». Il est placé sous mandat de dépôt puis rapidement libéré.

Partout, en ce moment : relevés d’ADN lors des gardes à vue ; multiplication des comparutions immédiates et des peines de prison ferme ; « modernisation  » de l’armement policier (tazer et flashball)  ; présence policière encore croissante dans certaines zones urbaines [2].

Puisque le gouvernement a instauré le ministère de l’Identité nationale, puisque le ministère de l’Intérieur est commandé par une ancienne ministre des Armées, et enfin puisque le secret militaire semble désormais étendu aux affaires policières, pourquoi ne pas aller plus loin et rebaptiser le ministère de l’intérieur « ministère de la guerre intérieure » ?

Cette guerre, nous ne la gagnerons pas par une riposte symétrique, en nous laissant entraîner par l’adversaire sur le seul terrain où il est fort. Pour vaincre, on ne pourra pas se contenter de jouer aux « héros et martyrs » : une résistance efficace doit pouvoir passer par la construction collective de l’autonomie, par la construction d’une solidarité qui dépasse les querelles de quartiers ou de chapelles. Cette politisation ne pourra pas se limiter aux traditionnelles assemblées et diffusions de tracts, même si c’est un point de départ incontournable. Pensons au développement d’outils communs, la cuisine collective autogérée étant un exemple, parmi d’autres que nous trouverons ensemble.

Comité de Soutien « Vérité et Justice pour Lamine » : jeudi à 19 à la FASTI, 58 rue des Amandiers (XXe).

Comité de vigilance et de solidarité (sur le modèle du Cop Watch des Black Panthers)  : les jeudis à 20h à la FASTI.


[1] Placid et l’Esprit frappeur, voir : http://touscochons. blogspot.com/

[2] Sources pour ces paragraphes : le site de Résistons Ensemble : http://resistons.lautre.net/


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