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KöPI BLEIBT !

COMMENT LA SPÉCULATION S’ATTAQUE À UN SQUAT BERLINOIS HISTORIQUE...


La maison qui se trouve au numéro 137 de la Köpenickerstraße à Berlin est l’un des derniers hauts-lieux du mouvement des squats des années 1990, baptisée par la presse à sensation la « place-forte des casseurs ». Le Köpi compte actuellement 60 habitants, parmi lesquels plusieurs enfants. D’autres personnes y vivent, qui préfèrent vivre dans des caravanes, soit dans la cour, soit dans le jardin, ou encore sur le terrain qui se trouve juste à côté et qui appartient à la poste.


Le Köpi est un centre culturel autogéré et non commercial ; grâce aux anciennes installations sportives qui se trouvent au rez-de-chaussée, il offre depuis 1994 à de nombreuses personnes la possibilité de participer à des réunions, à des bouffes végétariennes, à des séances gratuites de ciné, à des concerts, à des entraînements de self-défense, à des fêtes et autres soirées de solidarité.

Par la suite, d’autres initiatives ont vu le jour : un centre d’archives vidéos, un atelier, un bar et un café où les prix sont basés sur le prix de revient de ce qui est proposé.

Aussi bien la cour que le jardin du Köpi peuvent être utilisés pour faire des feux de camp, jouer au streetball ou juste rester assis dehors pour discuter. D’innombrables concerts y ont été organisés (plus de 1000), si bien que le Köpi est devenu l’un des lieux autogérés les plus connus d’Europe, à l’instar de la Rote Flora à Hambourg, de la Ernst-Kirchweger-Haus (EKH) à Vienne, de Blitz à Oslo ou encore de Ungdomshuset à Copenhague, qui a malheureusement été expulsé l’année dernière.

Tous ceux qui connaissent le Köpi savent qu’il a fallu (et qu’il faudra) beaucoup d’argent et de travail pour mettre (et garder) en état les habitations, le jardin et les salles de réunion et de concert.

Il y a eu par exemple des travaux effectués sur la toiture, ainsi qu’une complète rénovation des canalisations (tuyauteries d’alimentation et d’évacuation des eaux usées). Grâce à tous ces travaux de remise en état, les salles du sous-sol peuvent être utilisées pour des raves. Au cours des 17 dernières années, le propriétaire des lieux n’a pas donné un sou pour ce lieu, pas plus que le bailleur, aucun sponsor ou encore l’État. ET PAS QUESTION QUE ÇA CHANGE !

L’HISTOIRE DU KÖPI

Après l’ouverture de la frontière entre les deux Allemagnes, le mouvement des squats ouest-allemand s’est intéressé à cette maison délabrée qui se trouvait pile à la frontière avec le quartier de Kreuzberg. C’est ainsi que se sont noués des contacts, tout d’abord timides, entre les squatteurs de Berlin-Ouest et ceux de Berlin-Est. Après quelques premières difficultés, la maison du 137 de la Köpenickerstraße a été rattachée au quartier de Mitte, alors que selon ses gérants (Hausverwaltung KWV), elle devait être démolie. Dès le départ, les appréhensions des occupantEs du Köpi semblaient davantage concerner les rapports avec les squatteurs de l’Ouest que les soucis avec les gérants ou la police de l’Est. Mais après les premiers concerts, fêtes, meetings de solidarité et autres bouffes, la glace fut rompue, et, dans la partie est de la ville, les squats se mirent à fleurir partout où les maisons étaient vidées de leurs occupants. Lorsque le sénat berlinois réunifié voulut mettre un terme à la vague d’ouvertures de squats en expulsant la Mainzer Straße et que d’un coup, la menace de l’expulsion fut brandie, une table ronde fut organisée dans le quartier de Mitte, durant laquelle on rechercha des solutions pacifiques pour les squats du quartier. Durant l’été 1991, un accord fut mis en place avec les gérants (KWV, devenue entre temps WMB) au sujet de tous les espaces du Köpi qui faisaient l’objet d’une gestion collective. Cet accord contenait également l’idée d’une autonomie en termes de travaux et de rénovation, ainsi que des contrats de location individuels. En 1993, les contrats ont été transmis à la GSE, une antenne locale chargée du développement urbain. Le 1er octobre 1995, les contrats ont à nouveau changé de main pour arriver chez un autre gérant « Peterson und Partner KG ». Et pile une année plus tard, la résiliation sans préavis de tous les contrats de location ainsi que l’injonction de quitter les lieux dans la semaine sont arrivées sans prévenir. Étant donné que, bien évidemment, ni la première ni la seconde injonction (arrivée en novembre) n’ont été suivies d’effets, le gérant a déposé une demande d’expulsion auprès du tribunal d’instance de Tempelhof en décembre 1996, qui, dans un premier temps, s’est déclaré incompétent et a rejeté la demande d’expulsion. En arrière-plan de la résiliation des contrats de location, il y avait la volonté chez le gérant Peterson und Partner KG de se joindre au boom spéculatif résultant de la décision de faire de Berlin la capitale de l’Allemagne réunifiée : ils voulaient que la maison soit modernisée afin de devenir un bâtiment luxueux, qui aurait pu devenir leurs bureaux.

En plus de cela, ils voulaient construire des appartements chics destinés à la vente et remplacer le jardin par un complexe de bureaux, d’autres appartements et un garage en sous-sol.

Le permis de construire avait déjà été accordé par les autorités locales compétentes. Fort heureusement, on n’en est pas arrivé à la mise à exécution du projet de construction, car Peterson et Cie ont fait faillite, tout comme de nombreuses autres entreprises qui avaient eu la folie des grandeurs dans la faillite. Après l’échec de nombreuses tentatives de ventes aux enchères et lorsqu’il est devenu évident qu’il n’y avait pas d’argent à gagner en spéculant sur le Köpi, les créanciers de Peterson et Cie ont fait mettre le Köpi en vente par adjudication via le tribunal d’instance de Mitte. Ce dernier a tenté à quatre reprises depuis 1999 de vendre le Köpi par adjudication et de recouvrer au moins une partie de la dette qui s’élève à cinq millions de mark. Le créancier principal est la Commerzbank, à hauteur de plus de deux millions de mark. Toutes les tentatives de vente par adjudication ont lamentablement échoué, notamment grâce à de nombreuses actions de protestation et de solidarité en provenance de toute l’Europe. Il y a eu également de grandes manifestations, meetings et autres actions dans des filiales de la Commerzbank. Au cours de l’année, la Commerzbank a perdu l’envie de continuer la très coûteuse gérance du Köpi. C’est ainsi que la tâche est retournée à Peterson et Cie, qui ne sont toujours pas solvables. Ces derniers ont tenté encore une fois, par l’intermédiaire d’un fondé de pouvoir, d’envoyer des gens intéressés par l’achat de la maison ; mais après une courte discussion avec les habitantEs, ces derniers sont partis sans demander leur reste. En janvier 2007, la Commerzbank s’est mis d’accord avec le tribunal d’instance de Mitte pour la vente par adjudication du bâtiment situé au 137- 138 de la Köpenickerstraße. Comme il y avait déjà eu des discussions avec les acheteurs potentiels, les créanciers du lot situé au 133-136 de la Köpenickerstraße (où se trouve l’emplacement pour les voitures et les caravanes) ont été approchés, de façon plus ou moins discrète pour s’entendre sur une date commune pour toutes les ventes par adjudication. Dès le départ, ils savaient qui allait enchérir, et jusqu’à quel prix : c’est dire à quel point les jeux étaient faits et les dés pipés. C’est ainsi que les spéculateurs immobiliers se sont retrouvés avec un terrain de plusieurs milliers de mètres carrés, qui promet d’être des plus lucratifs.

LA NÉBULEUSE NEHLS

De fait, le tribunal d’instance ne s’est même pas donné la peine de mettre le terrain en vente sur son site internet, comme il le fait habituellement. Malgré toutes les initiatives s’opposant à la vente aux enchères, dont une manif organisée en toute hâte, la vente a eu lieu. Le prix : 1,6 millions d’euros. C’est un peu plus que la moitié de ce à quoi l’expert du tribunal avait estimé le terrain. L’acheteur officiel s’appelle Besnik Fichter, son entreprise d’immobilier est ce qu’on appelle une entreprise de réserve dont l’objectif est de permettre à ses clients une capacité d’action immédiate sans même avoir à créer une entreprise ou une société. Après de nombreuses recherches menées par les habitantEs du Köpi, il s’est avéré que derrière cet acheteur et son entreprise, il y avait en fin de compte une entreprise du nom de « Plutonium 114 » (autrefois «  Vitalis Altbauten GmbH »), dont le PDG est Besnik Fichter. L’entreprise « Vitalis Altbauten GmbH », qui, peu de temps après la vente par adjudication, a changé de nom pour devenir « Plutonium 114 », dépend de l’empire Nehls, une dynastie de requins de l’immobilier. C’est Renate Nehls qui a créé cet empire et en fut longtemps le PDG. Le PDG de Vitalis était son fils, Siegfried. Aussi bien que Plutonium que Vitalis ne sont que des entreprises prête-noms, et tout cela n’a été manigancé que pour détourner l’attention du véritable acheteur, Siegfried Nehls, qui, tout comme son frère Thorsten, est connu pour être un homme d’affaires peu scrupuleux. Il semblerait également qu’il soit en négociation avec la poste, au sujet du terrain situé derrière le Köpi. Lorsque quelques habitantEs ont rendu une visite de courtoisie à la famille Nehls en mai 2007, accompagnéEs de quelques soutiens, afin de clarifier un certain nombre de choses au sujet des revendications de propriété du Köpi, ils ont été priés d’entrer par l’époux de Renate Nehls. Dans le même temps, le fils, Thorsten, se mettait d’accord avec la police et faisait arrêter les visiteurs. De son côté, Siegfried Nehls est impliqué dans tout un réseau de sociétés immobilières (comme Sanus AG) où il intervient parfois en tant que PDG, parfois en tant que membre du conseil d’administration, ou encore en tant que membre du conseil de surveillance. Voici comment il procède la plupart du temps : il achète une société en commandite à moindres frais par l’intermédiaire d’une société de réserve, qui se charge de réhabiliter le bien, dont la gérance est ensuite confiée à la « Sana Verwaltung », dirigée par Larissa Nehls. Une fois les travaux achevés, les appartements sont vendus au détail à des particuliers. On sait que lors des travaux de rénovation, il y a souvent des difficultés et que les locataires présents font l’objet de tracasseries tant et si bien qu’ils sont contraints à l’abandon de leurs logements.

La façon dont la nébuleuse d’entreprises chapeautées par la famille Nehls a agi montre les implications qui existent entre les différentes entreprises d’immobilier. Par exemple, certaines choses montrent que la « Greta AG » serait également impliquée, alors qu’elle est soupçonnée d’avoir triché sur le cours de son action, dans le but de faire gagner de la valeur à son titre en bourse. Renate Nehls siège dans les conseils de surveillance de plusieurs entreprises dont les conseils de surveillance et d’administration jouent aux chaises musicales sans autre raison que l’enrichissement des membres des conseils en question. Pendant ce temps, le bureau du procureur a fini par prêter attention au manège des différentes entreprises où intervient Siegfried Nehls, et il a ordonné en juin de cette année la perquisition de 25 de ses bureaux, dont 16 à Berlin. Cette action est pour partie le résultat d’une enquête menée contre Siegfried Nehls. Il a également reçu la visite du bureau des affaires criminelles du land chez lui. Selon le porte-parole du ministre régional de la Justice, 25 cartons remplis de preuves ont été saisis, qui doivent désormais être examinés. Mais vu comme les choses se présentent, il semble que Nehls ait s y s t é m a t i q u e m e n t e s c r o q u é s e s partenaires et mis de côté de l’argent sur tous ses projets immobiliers. En outre, des hommes de paille ont été engagés comme promoteurs, qui ont eux-mêmes engagé de plus petites entreprises d’artisanat en soustraitance. Une fois terminés les travaux de réhabilitation, les promoteurs se mettaient en faillite sans payer les artisans qu’ils avaient engagés. Dans le cadre de cette enquête visant Siegfried Nehls, les logements et les locaux de l’acheteur officiel du Köpi, Besnik Fichter, ont également fait l’objet de perquisitions. Fichter a par ailleurs annoncé, en dépit de l’enquête en cours, qu’il avait l’intention de faire construire sur le terrain du Köpi des villas de luxe avec des « mouillages pour les bateaux ». Il semblerait que Fichter ait en plus l’intention de faire creuser un canal jusqu’à la Spree, car il semble difficile à quiconque sait lire un plan de voir par où, sur ce terrain, on peut faire venir des bateaux. Il existe malheureusement, d’autres idées en rapport avec le projet qui s’intitule prétentieusement « Media- Spree ». Les restructurations visant les rivages de la Spree sont déjà bien entamées, même si elles n’arrivent pas encore au terrain qui jouxte le Köpi. Selon Fichter, les habitantEs devraient encore pouvoir rester quelque temps, mais à un moment ou à un autre, « il faudra que tout le monde s’en aille ». Pourtant, les contrats de location en vigueur empêchent que les habitantEs soient expulséEs en une nuit. Mais on peut partir du principe qu’il y aura d’autres tentatives visant à soumettre le Köpi à la machinerie capitaliste.

POUR SOUTENIR

Bien que, pour le moment, il n’y ait aucun danger immédiat d’expulsion, un compte bancaire a été ouvert pour financer les luttes qui ont commencé, et pas seulement au niveau juridique :

SKI e.V. BLZ 10010010 (Postbank Berlin) numéro de compte : 671802102

Article paru dans Zeck,

journal d’insurrection de la Rote Flora,

Hambourg, sept.-oct. 2007

traduction et adaptation : Tina


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