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QUAND LES GAULOIS SONT DANS LA PEINE...

A propos de "Terre & Peuple"


Terre & Peuple tiendra sa XIIe Table ronde annuelle dans quelques jours. L’occasion pour nous de faire le point sur cette association au statut particulier dans la mouvance nationaliste.


Terre & Peuple est officiellement lancée en avril 1995 avec un bureau composé alors de Pierre Vial, Christophe Bordon et Pierre Giglio. Si ces deux derniers sont de simples militants FN (et du Renouveau étudiant pour Bordon), Pierre Vial n’est en principe plus à présenter tant il a été écrit d’articles sur lui (cf. encadré). Depuis, Pierre Vial a quelque peu brouillé les pistes politiques et nous aurons l’occasion d’y revenir dans la suite de l’article.

ANCRÉ DANS LA TRADITION VÖLKISCH

Terre & Peuple s’inscrit clairement dans un courant politico-culturel que nous pouvons qualifier de völkisch [1]. De tous les courants de la « révolution conservatrice » allemande, le courant völkisch est sans doute le plus ancien puisqu’il émerge dès la fin du XIXe siècle. À l’époque, ses centres d’intérêt reflètent une bonne part des orientations culturelles de cette période : approche « scientifique » des origines guidée par l’esprit positiviste et l’élan romantique du mouvement des nationalités ; effervescence « spiritualiste » née de la crise de l’identité religieuse traditionnelle, en l’occurrence le christianisme. Ces deux voies convergent chez les Völkischen dans la défense du « peuple » conçu non comme masse mais comme identité, à la fois biologique et spirituelle. Le courant völkisch est donc foncièrement tourné vers le passé sans pour autant être réellement réactionnaire puisqu’il ne cherche pas à revenir à une époque révolue, mais à se rattacher à ce qu’il considère être la plus lointaine origine. Un des fondements intellectuels de ce courant est alors Herman Wirth, philologue de la première moitié du XIXe siècle, qui, dans L’Aube de l’humanité (1828), entendait reconstruire l’histoire de la religion, du symbolisme et des écrits d’une « race nordico- atlantique » primordiale, dont il faisait remonter les origines au paléolithique. Wirth situait le berceau originel de cette race dans la région correspondant à l’actuelle Arctique et la décrivait comme porteuse d’une culture cosmico-symbolique dont le thème central serait l’année solaire comme expression d’une loi universelle de renouvellement, cycle dans lequel le solstice d’hiver aurait revêtu une importance particulière.

Dans cette recherche des origines, le monde indo-européen est au centre des préoccupations. Découverte par les linguistes à la fin du XIXe siècle, « l’indoeuropéanité  » identifiée comme noyau originel de la civilisation européenne donna un socle scientifique plus solide au courant völkisch. Ce dernier s’intéressa immédiatement au groupe germanique des peuples indo-européens, considéré comme le moins dénaturé et le plus proche des caractéristiques originelles. Reprenant des arguments développés par Arthur de Gobineau, deux philologues imposent leurs idées dans le courant völkisch : Hans F.K. Günther et Ludwig Ferdinand Clauss.

Si Günther est célèbre, Clauss l’est un peu moins en raison d’une approche ethnique assez éloignée du racisme « suprémaciste » d’essence coloniale fort en vogue à l’époque. Il considérait en effet que chaque homme est porteur d’un « style » caractéristique de l’âme du groupe ethnique auquel il appartient, style fondamentalement distinct des caractères purement individuels. (...)

Parallèlement à cette quête « raciale », le courant völkisch développe tout un intérêt pour l’occultisme, en particulier en Allemagne du Sud et en Autriche, terres catholiques s’il en est. La principale conséquence de cet intérêt fut la création de petites sectes occultistes et surtout un intérêt appuyé pour les runes, ancien alphabet nordique dont les vertus divinatoires supposées ne pouvaient que les attirer. De ces catholiques autrichiens apostats est venu également un antisémitisme typiquement lié à leur origine et conjugué sur le mode classique du conspirationnisme. D’autres tendances du mouvement désirèrent cependant simplement refonder une religion purement allemande, en optant pour la thèse fantaisiste du « Christ aryen ». (...) L’absurdité théorique et l’impossibilité pratique d’un tel projet n’échappèrent cependant pas aux plus lucides qui se tournèrent alors vers le paganisme nordique ou vers une « religiosité indo-européenne » plus large. Cette quête des racines de « l’âme allemande » amène les Völkischen à porter une attention particulière aux traditions populaires (fêtes, folklore, coutumes) où, sous le vernis chrétien, se perpétuent des éléments beaucoup plus anciens, d’origine païenne. Dans le même esprit, ils accordent une grande importance au paysage et leur position est celle d’une écologie intégrale avant même que cette notion connaisse la popularité qui est la sienne à partir des années 1960. Défenseurs de « l’art du terroir  », ils créent ainsi un mode de vie alternatif relativement hors norme pour l’époque. Enfin, très attachés aux vertus privées du lignage et aux identités locales, les Völkischen ont relativement peu théorisé sur ce qui leur semblerait l’État idéal, la majorité se retrouvant dans la conception de l’empire germanique avec ses libertés locales. On retrouve nombre de ces orientations dans les choix idéologiques de Terre & Peuple : attachement aux coutumes locales et paysannes, spiritualité païenne affirmée et revendiquée, référence permanente à l’enracinement.

MER & POULPE, COMBIEN DE FLOTILLES ?

La structure ou l’importance de Terre & Peuple n’ont guère évolué depuis le début des années 2000. L’association compte officiellement une grosse vingtaine de « bannières  » (groupes locaux) plus une bannière en Belgique, pour environ 2000 adhérents plus ou moins à jour de cotisations. Sur cette vingtaine de bannières, quatre ou cinq regroupent environ la moitié des adhérents, ce qui signifie que certaines bannières sont virtuelles. Terre & Peuple demeure donc une petite structure et ses activités présentent une vitalité inégale. La principale demeure la Table ronde (la 12ème cette année) qui a lieu en général en octobre, le plus souvent au domaine de Grand Maisons à Villepreux (78), qui, ironie politique, appartient à des catholiques traditionalistes. Organisées autour de thèmes variés (« Le destin de l’homme européen  » en 2002, « L’amitié francoallemande  » en 2003, « Liberté pour l’Histoire » cette année), ces Tables rondes rassemblent entre 400 et 500 participants. Le public est varié, assez âgé, mais on y voit aussi des jeunes : l’ancien militant du Renouveau étudiant en barbour y côtoie ainsi le skinhead en para montantes. Cette visibilité skinhead a d’ailleurs tendance à augmenter au fil des années, Terre & Peuple étant la seule structure d’importance nationale à les accueillir sans sourciller. Ils étaient donc en force l’année dernière, de Sébastien Legentil avec le label Martel en Tête à Thomas Crae et la Lemovice Krew, en passant par le bourguignon Brice Aulion. Les Tables rondes sont aussi l’occasion pour l’association de donner l’impression de faire vivre une communauté par le biais des stands d’exposition : libraires (Licorne bleue, Librairie nationale), artisans, éditeurs, labels musicaux, mouvements ou revues amis. (...) Par ailleurs, le succès des Tables rondes annuelles ne correspond pas exactement à l’activité réelle de l’association. Il suffit de comparer ces chiffres avec ceux de la fréquentation de l’assemblée communautaire annuelle de l’association qui a lieu fin mai ou début juin et ne réunit qu’entre 50 et 70 personnes en province (en forêt de Brocéliande, dans le Berry ou en Sologne selon les années). Or cette assemblée est sans doute le moment le plus important de la structure puisque les adhérents y ont alors accès aux rapports d’activité et aux orientations que Pierre Vial entend donner.

L’autre moment fort est son université d’été rebaptisée « Journées du soleil », qui a lieu en juillet à la Domus Europa (cf. portrait de Pierre Vial). Y interviennent ou ont intervenu toute la vieille garde de la Nouvelle Droite paganiste. Localement, chaque bannière a ses propres activités à un rythme très inégal selon le dynamisme des animateurs et les possibilités de la région. Cela va des visites aux randonnées, en passant par les solstices. La bannière Bourgogne animée par Gérard Le Vert, tenancier d’un surplus militaire à Autun, ancien responsable DPS et militant déjà mis en cause par le passé pour ses penchants nazis, propose ainsi depuis 2003 des stages de boxe, self-défense et escalade.

Enfin, la principale vitrine de Terre & Peuple demeure sa revue trimestrielle de bonne qualité, qui a été longtemps animée par Olivier Chalmel, ancien militant du FNJ puis du FN 37, cofondateur du Renouveau étudiant avec Michel Murat, rédacteur en chef d’Offensive pour une nouvelle univer - sité, revue du RE en 1998. Ayant choisi le camp mégretiste, il y devint secrétaire national aux actions catégorielles et vivait en partie de ses activités militantes grâce à sa société Heliodromos Communication créée en mars 2001 et qui était chargée de la maquette de Terre & Peuple. Le déclin de la maison Mégret, un certain opportunisme et sa vie privée semblent l’avoir conduit à chercher d’autres rivages politiques (il avait déjà essayé d’adhérer à Démocratie libérale durant l’été 2002). La revue a depuis été reprise par la société Ogham, dirigée par Harald Mourreau qui s’occupe également de Réfléchir & Agir et de War Roak. De fait, le style graphique des trois revues est similaire et il faut bien le dire de qualité.

MER, POULPE ET CRUSTACÉS

Quelle place pour Terre & Peuple dans la mouvance nationaliste ? Terre & Peuple a subi la fragmentation progressive à l’oeuvre depuis la fin des années 1990, même si Pierre Vial l’a toujours présentée comme une structure associative et politico-culturelle, n’ayant pas vocation à intervenir directement dans l’arène « politicienne ». (...) Mais les revirements politiques de Vial ont largement pesé sur le développement de Terre & Peuple. Le soutien actif à la scission mégretiste a éloigné des militants restés fidèles au FN (...), puis la rupture avec Bruno Mégret en octobre 2001 a désorienté une partie des militants et cadres du MNR, crise confirmée par la signature accordée par Pierre Vial pour la candidature de Jean-Marie Le Pen à la présidentielle de 2002. Cela s’est d’ailleurs traduit alors par une tentative de « puputsch » de quelques cadres emmenés par Anne-Laure Le Gallou lors de l’assemblée communautaire de juin 2002. Les deux années suivantes ont vu l’accent mis sur le développement de la structure Europe-Identité et de ses antennes régionales (Champagne-Identité, Midi-Identité), nées de scissions des groupes MNR dans certains conseils régionaux et censées porter dans l’arène politique les thématiques développées par Terre & Peuple. Mais son caractère groupusculaire et les élections régionales de mars 2004 ont mis fin à l’expérience, et T&P s’est retrouvée investie du rôle politique que Pierre Vial avait toujours fait passer au second plan.

L’organisation a pris sa place dans la mouvance dite « identitaire » en martelant deux thèmes. Le premier est le « choc des civilisations », notion reprise de Samuel Huntington et appuyée par le bateleur Guillaume Faye. Cela en a amené certains, en particulier Christian Bouchet et ses proches, à accuser Vial d’être devenu pro-occidental et pro-sioniste, d’où une mise au point parue en juillet 2006 sur le site Internet de la structure. Par ailleurs, très logiquement, Pierre Vial a lancé un Appel au communautarisme européen (Terre & Peu - ple n°19, équinoxe de printemps 2004). Faisant le constat que les différentes communautés présentes sur le sol européen se repliaient sur elles-mêmes et versaient dans le communautarisme, Vial entend faire la même chose avec les Européens. Pour autant, il n’abandonne pas l’idée d’un retour des immigrés dans leur pays d’origine ou d’origine supposée. Mais cela montre une inflexion qui indique que la Nouvelle Droite völkisch a compris que l’immigration ne pouvait plus être abordée comme il y a vingt ou trente ans. Cette orientation communautariste blanche rejoint celle que développent certains milieux post-mégretistes et les Identitaires, et c’est un moyen de revitaliser la vieille grille de lecture raciale des rapports sociaux. Autant dire que cette perspective est très loin de celle du FN.

Par contre, elle a amené Terre & Peuple à développer ses contacts avec d’autres organisations. En France, le champ des possibles est réduit, même si la longévité militante de Vial lui permet d’avoir un solide carnet de contacts. Mais le créneau « identitaire  » est déjà bien encombré, et il était difficile pour Terre & Peuple d’ignorer les Identitaires tels qu’ils se sont structurés depuis 2002. À ce titre, en mars 2004, Pierre Vial a rencontré des responsables du Bloc identitaire pour envisager un travail commun. Cela ne s’est pas concrétisé par des initiatives de fond, si on excepte l’annonce fanfaronne de la création d’un CRAB pour répondre au CRAN. Par contre, sur le terrain, T&P organise de plus en plus fréquemment ses activités en lien avec les Identitaires, et un certain nombre de militants ou de cadres ont la double appartenance, comme Franck Vandekerkof dans le Nord ou Yvan Lajeanne en Franche-Comté. Par ailleurs, l’initiative des soupes au lard lancée par le Bloc identitaire d’Île-de- France a trouvé un appui et un relais importants en la personne de Georges Hupin, responsable de la bannière Wallonie. Terre & Peuple entretient les mêmes relations avec l’équipe de Réfléchir & Agir (Eric Fornal intervenait au meeting de lancement du Front de la Jeunesse le 4 février 1999 au nom de Terre & Peuple, Bertrand Le Digabel était trésorier de la bannière Pays cathare à la même époque et Yvan Lajeanne est l’un des cadres de la bannière Franche-Comté) et avec diverses structures régionalistes comme Alsace d’Abord, l’ectoplasmique MRB et l’Alliance régionale Flandre-Artois-Hainaut. Mais c’est surtout à l’étranger que Terre & Peuple s’est imposée comme un interlocuteur important en multipliant les contacts, ce qui s’est traduit par une conférence de deux jours à Moscou en juin dernier à laquelle participaient des personnalités ou des représentants de petits groupes politiques issus d’Espagne, de Russie, d’Ukraine, du Portugal, de Suisse, de Flandre, d’Allemagne, de Grèce et naturellement de France. Cette réunion a débouché sur la constitution d’un conseil des peuples d’origine européenne dont l’orientation est racialiste blanche. Même si la déclaration finale est indigente et si l’objectif rappelle celui de l’Église mondiale du Créateur (« Blancs du monde entier unissez- vous ! »), la conférence traduit un approfondissement des liens internationaux, ce qui semble être la dernière marotte de Pierre Vial.

La participation ce printemps 2007 de Terre & Peuple et de Pierre Vial à l’Union des Patriotes en soutien à la candidature de Jean-Marie Le Pen montre que le dirigeant de Terre & Peuple tente une fois de plus un calcul politique comme il en a le secret, peut-être dans la perspective des municipales de 2008 ? Gageons que ces calculs seront une fois de plus particulièrement erronés. ★

REFLEXes

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ENQUÊTES ET ANALYSES ANTIFASCISTES


[1] 1. Voir l’étude pionnière d’Armin Mohler, Die Konservative Revolution in Deutschland, 1950.


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