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AccueilJournalNuméros parus en 2007N°63 - Novembre 2007POUR UN AUTRE GRENELLE DE L’ENVIRONNEMENT > SAUVAGE ET SOCIAL LE NIRVANA DE L’ÉCOLOGIE ?

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Pour un autre Grenelle de l’environnement

SAUVAGE ET SOCIAL LE NIRVANA DE L’ÉCOLOGIE ?


La question de l’écologie aborde l’interaction des humains et par extension, des autres êtres vivants, avec une biosphère, un environnement vivant. Mais elle affronte la culture capitaliste par des moyens plus détournés. Et si notre équilibre résidait dans une tension entre sauvage et sociale ? D’un autre point de vue, c’est ce qu’ont voulu porter d’une part les idéaux de la Révolution français (lier la liberté à l’égalité, Napoléon a préféré présenté un affrontement entre les deux) d’autre part le communisme libertaire dès la fin du XIXème siècle : le lien entre l’autonomie individuelle et l’existence collective. Je pense qu’une majorité des êtres humains, tout du moins ceux que je connais, veulent à la fois garder un maximum de liberté personnelles tout en s’insérant, à d’autres moments, dans des ensembles sociaux (communautés de travail, associatives, culturelles...). Ce que l’écologie a à voir dedans, je vais tenter de l’explorer dans ce petit texte en commençant par tenter de rendre lisible les mécanismes des formes d’aliénation actuels.


Quel point commun entre des nouvelles entreprises à l’aune du XXIe siècle, un verger de pommes (pardon, on dit « exploitation ») et la fin du mouvement anti-CPE ? La propreté, un environnement lisse, l’effacement de toute forme de marques historiques par un nettoyage régulier et intensif. A la fin du mouvement anti-CPE, comme nous le soulignons dans les colonnes, l’Etat a débloqué des fonds d’urgence pour aider les universités à gommer la moindre trace de ce mouvement qui a connu comme point d’orgues, une mobilisation de 3 millions de personnes fin mars 2006. Dans bon nombre de nouvelles entreprises, acquises aux techniques modernes de management, qu’il s’agissent d’une banque, d’une administration, d’une entreprise agro-alimentaire hightech ou d’un hypermarché, les espaces semi-privatifs, réservés aux salariés, doivent être nettoyés de toute marque personnelle : pas de marque distinctive sur les casiers, pas de photos sur le bureau (sauf certains cadres). Toutes les entreprises n’ont pas, forcément, lessivée l’histoire de leurs salariés, mais elles tendent vers l’imposition de l’anonymat au sein du lieu de travail. Tout est passé au Karsher, et l’on doit oublier que des êtres humains, avec une histoire particulière, travaille dans ces lieux. Pas de nourriture, pas de tabac, pas de revues externes à l’entreprise, pas de photos de virées entre collègues ou d’enfants, pas d’inscription sur son casier, rien. Un employé pourrait partir après 20 ans de boîte, que les lieux ne conserveraient aucune trace de sa vie consacrée à ce travail dès le lendemain. En quelques heures son existence sera gommée au sein de cette espace collectif.

Quant aux vergers de pommes... des allées bien droites, aucune marque, aucun panneau, aucun signe de vie humaine. Cueillant des pommes en septembre, en Corrèze, j’ai été surpris par le silence : seules quelques conversations à voix basse, le bruit du tracteur, mais aucun pépiement d’oiseaux, aucun cri. Tout comme par le paysage : des milliers de rangées propres, alignées dans un « pays des pommes » (dénommé tel quel par l’industrie afférente) où aucune autre culture n’est désormais produite si ce n’est quelque vache de secours... Pas un panneau distinctif. Pas un épouvantail étrange...

Les pommes doivent être lisses, ne présenter aucune aspérité, aucune tâche, sinon elle est jetée. Dans une pub pour des produits cosmétiques, on voit une photo de femme nue, lissée, normée par photoshop, qui ne présente aucune marque, aucun signe de vécu. A côté de l’un de ses seins, l’une de ces pommes. On a quitté depuis longtemps le monde réel, d’où l’aliénation, le malaise des femmes qui ne passeront pas le service qualité (poitrine pas assez opulente, peau pas assez parfaite) tout comme ses pommes. Sinon, elle est jetée ?

Le point commun, dans ces trois exemples, c’est le délire de propreté qui sert le déni de l’histoire. Cela me fait penser à la question de l’environnement, telle qu’elle est vue par les hommes politiques pro-capitalistes. Il s’agit de préserver quelques paysages, sous cloche, pour commercialiser leur accès aux touristes. Ou, dans certaines communes, de maintenir artificiellement des artisans traditionnels sous perfusion financière, afin qu’ils exposent au public ensommeillé leurs reproductions normées, certifiées conforment à la fiction créée autour d’une histoire commercialisable. L’industrie du tourisme, son raffinage commerciale au fil du temps, est ainsi, la plus haute expression du néant culturel que propose le capitalisme...

Tout ceci nous amène à Eurodisney. Dans un excellent texte publié dans Philosophie magazine n°11, Michel Eltchaninoff propose comme thèse que, loin d’une fiction par rapport au monde réel, le parc d’attraction EST le monde réel, réduit à l’état de fiction. Il démontre notamment, qu’il n’y aucune différence fondamentale entre les centres villes passés au Karcher, proprets, aseptisés, et Eurodisney, photos et descriptions à l’appui. L’auteur évite la facilité en montrant comment la vie se surajoute malgré tout à cela, trouble la propreté. Je trouve ce texte assez fondamental pour appréhender les modes d’aliénation actuels du capitalisme.

Là où la propreté a engendré également [1] le fascisme, c’est en Suisse et son désir d’ordre, donc l’absence de désir, puisque qui dit désir dit désordre, chamboulement de l’existant. L’ordre a été tellement poussé que les électeurs ont poursuivi la logique jusqu’au bout : en votant majoritairement pour le parti de droite-extrême.

Et pourtant, tout ces exemples peuvent relever de l’environnementalisme  : Eurodisney peut proposer des techniques plus « écologiques », la Suisse la propreté, etc. etc. Mais l’environnementalisme dans ce contexte là, s’allie avec le capitalisme pour écraser, diluer, toute forme d’histoire sociale qui dépasserait dans les marges ou contrarierait la bonne marche du capitalisme. Peut-être que cette puissante forme d’aliénation, distillée par le capitalisme, est un ennemi autrement plus redoutable que la précarité car il détisse et réduit à néant les histoires collectives et individuelles. Le capitalisme ne se conçoit que dans un court segment temporel, le reste doit disparaître si cela ne rapporte pas de profits.

L’environnement doit être agréable, on doit être propre, poli, social. Un tour en fac, et loin de l’effervescence des années 80 et 90, qu’elle soit culturelle ou militante, on tombe sur un univers javellisé, avec des associations clean et officielles, plus de lieux possibles pour des assoces non contrôlées par les fac. Des étudiants sages, qui défilent en rang pour réclamer le retrait du CPE, qui un mois plus tard vont en rang au diplôme et qui rentreront en rang dans leurs entreprises. Le tout, c’est d’être rangé, propre, adaptable...

Face à ce déni de culture et d’histoire, l’écologie ne peut être que sociale et sauvage. Sociale, car la pensée écologique doit s’inscrire dans l’histoire des peuples et des communautés. Elle doit réhabiliter la mémoire des entités sociales et des lieux, par exemples dans les pratiques de production et de diffusion en circuits courts permettant le maintien de l’agriculture paysanne (paniers paysans des AMAP, liens avec les producteurs...). Sociale, car l’écologie n’est pas la défense de l’ordre, d’un statut quo. Elle est un appel à l’évolution en lien avec l’histoire, des histoires, et à sa conservation au fil des couches de sédiment. Tout comme la terre se nourrit de l’humus, les humains se nourrissent par la mémoire et la connaissance du travail de leur inconscient. Connaître et partager l’histoire, devient ainsi un enjeu qui traverse à mon avis puissamment beaucoup de données politiques que nous devons affronter. Par exemple, pour que les mouvements sociaux soient puissants, ils doivent se nourrir de tous les humus individuels, de toutes les histoires particulières et connaissances sociales que porte chaque individu, afin que chacun-e se sente à l’aise, reconnu et puisse s’émanciper aux travers de nos réseaux. Nous avons en ce sens une écologie sociale, qui dépasse la question des ressources matérielles. Cette permanence des ressources, nous l’avons en chacun d’entre nous et nous devons la cultiver comme nous cultiverions un jardin.

Sauvage ! Ce qui est frappant dans l’évolution du capitalisme comme des formations professionnelles, c’est la part croissante du savoir-être. Disponibilité, adaptabilité, flexibilité... tout ceci rime avec débilité, mais aussi avec un (auto)-contrôle comportemental puissant à tel point que nous pourrions oublier que nous sommes aliéné-e-s, seul reste le malaise - 3 millions de dépressifs en France, 9 millions se disant déprimés régulièrement. La « nature » commercialisée pour les loisirs doit ressembler à cela : il ne doit y avoir aucun imprévu, aucune aspérité dans le paysage, aucune insécurité. On nous demande d’avoir une vie équilibrée, équilibrée pour quoi faire ? En tout cas, il faut bien manger, bien se nourrir, bien présenter, aller travailler, ou alors, être exclu. Les passions amoureuses passent au travers d’un testing virtuel soigneusement orchestré, par des sites de rencontres, où le pauvre diable, ou la pauvre diablesse, doit se soumettre à une batterie de test qui effraierait un poulet d’élevage. Le désir d’ordre est partout, tout doit bien être programmé pour satisfaire les pauses que permet le salariat, rien ne doit dépasser. C’est un peu identique aux plans environnementaux d’une communauté urbaine, qui va remodeler le paysage pour qu’ils servent la production, et la consommation  : plans d’urbanisations d’ensembles pavillonnaires, véritables mouroirs des âmes où seules vrombissent les tondeuses à gazon ; zones commerciales à des kilomètres à la ronde, pour « équilibrer » les zones industrielles. Les squats, eux, seront vidés. Les vieux immeubles subiront les plans de gentrification (embourgeoisement des quartiers) et seront remplacés par du flambant neuf, flambant cher. Contre la normalisation et la commercialisation de l’espace, l’écologie profonde [2] proposait un pendant : qu’il existe des zones sauvages qui puissent permettre la survie et la variété de la faune et de la flore. Plus largement, ces rares espaces non dominés, non quadrillés, sont également peut être un enjeu philosophique, que tout l’espace public ne soit pas organisé par la main des multinationales.

Mais plus largement, un devenir écologique a un lien, à mon avis, avec une part de sauvagerie que nous devons exprimer. Je ne parle pas d’une sauvagerie, évidemment, qui blesse, tue, opprime autrui, si ce n’est la légitime défense, mais contre le contrôle comportemental, contre la privatisation normative de l’espace public. Je vais sans doute troubler des visions, mais pour moi l’écologie peut être aussi urbaine dans le sens où s’il s’agit d’une mémoire et d’une transformation des lieux par ses habitants... l’écologie a peut être à voir avec le fait de taguer les murs, de salir, de prouver que des êtres humains ont existé dans tel lieu et que tout ne soit pas gommé, que tout ne disparaisse pas rasé par des entreprises mais se transforme lentement au fil du temps. L’écologie, c’est aussi les tags. Voilà ce qui va sans doute agacer ou pousser certains lecteurs à passer rapidement cet article en soupirant ou s’inquiétant de la santé mentale de son auteur. Mais si l’écologie c’est la trace de l’expression, de la poussée de la vie, l’écologie c’est aussi, à un moment donné, des tags, comme un résidu de saleté... Lors de la destruction d’ensemble HLM, beaucoup d’habitants exprimaient leur malaise de voir ainsi rasée leur histoire, présentée comme honteuse par les politiques et les médias trop pressés... Tags compris. Mais ces barres ont été leur écosystème, aussi mutant soit-il, pendant des années ou des décennies, imprégnés de leurs joies, leurs souffrances... Pas d’écologie sans évolution, pas d’évolution sans désordre : dans la passion amoureuse, comme dans l’atelier bordélique d’un artiste création, ou dans le taggage des murs propres des zones commerciales, résident la vie et une histoire que cherchent à abolir les karchers capitalistes... et, évidemment, celui de Sarkozy. Dans le délire de propreté se cache aussi des enjeux antisociaux, et seule notre part sauvage pourra, j’en suis certain, en contrarier les plans.

Raphaël


[1] « également », car dans les faits réels, la gestion d’entreprise comme Carrefour ou Eurodisney, si elle n’a pas de liens historiques avec le fascisme, en a en terme de gestion et d’écrasement des libertés des individus, pressurés au travail, traités comme de la merde, jetés une fois non-rentables. Il y a quelques mois, un vigile de carrefour avait parlé dans des médias suite à la sortie d’un livre retraçant le sale boulot qu’il devait faire : filature des salariés, flicage de leur vie privée. Une entreprise comme Carrefour SA, demande des données personnelles aux RG à chaque embauche... Dans les faits, et vu que la vie en dehors de l’entreprise de la majeure partie des salariée est réduite par la fatigue, le manque de ressources, quelle différence réelle avec une organisation fasciste ?

[2] mouvement international qui défend l’idée d’une rupture radicale avec la technologie, et un retour des humains au plus prêt de la nature...


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