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Regards sur la mobilisation contre la loi LRU

« Il faut maintenir un état d’esprit de lutte sur les campus »

INTERVIEW DE FRANÇOIS, UN MILITANT SUD À NANTES



Comment s’est construit le mouvement sur Nantes ?

La contestation a débuté dès la rentrée universitaire (mi-septembre), avec un rythme d’une Assemblée Générale par semaine (100-200 personnes présentes en général). L’initiative revient à l’intersyndicale CNTSUD- UNEF qui les a organisées. Ce travail s’est fait d’une manière unitaire et naturelle, notamment parce que l’UNEF Nantes était dès le départ sur d’autres bases que son bureau national. Elle appelait ainsi au blocage et à l’abrogation de la loi. Cette unité a permis de démarrer sereinement le mouvement et d’installer rapidement des cafet’s de mobilisation/ points d’infos, qui ont le double intérêt de financer le mouvement et d’être des lieux de rencontre et de sensibilisation. Au bout de quelques semaines, dès que les AG ont grossi et que des « non-encartés » se sont approprié la lutte, l’intersyndicale s’est effacée et le mouvement étudiant nantais devenu auto-organisé, a réellement démarré.

Vu que nous étions plus nombreux à nous mobiliser, des tâches ont été réparties dans des commissions (interne, externe, matos, trésorerie, médias, action...). Ces commissions ont des mandats confiés par l’AG, rendent des comptes, ont des référents qui changent chaque semaine... Le blocus a été voté pour la première fois le mercredi 7 novembre, alors que nous étions 700 en AG. Le soir même nous avons vécu notre première expulsion par les forces répressives.

La construction du mouvement s’est également faite dans un contexte de luttes sociales, surtout celle des cheminots. Dès le début nous avons établi des liens notamment avec SUD Rail, mais j’y reviendrai plus tard. Il est très vite ressorti des débats que seuls et isolés, nous aurions du mal à faire ressortir nos revendications et que c’est par la convergence que nous pouvions réellement avoir un débat plus vaste (et non sur une loi isolée). Mais étant donné que les mouvements sociaux sont tenus par les grands syndicats nationaux à la différence du nôtre, malgré nos efforts, ces liens sont durs à effectuer.

Comment s’explique le peu de rencontres avec les cheminots ?

Sur un plan local, le lien avec les cheminots s’est fait rapidement, en raison des liens entre SUD étudiant et SUD rail. Cela n’a pas abouti à grand chose, si ce n’est des échanges et quelques défilés communs. Nous avons néanmoins exprimé notre solidarité avec leur mouvement (et avec tous les mouvements sociaux en général), le retour a été plus timide. Ceci est logique. Le mouvement étudiant, à Nantes en tout cas, est autonome des syndicats, alors que dans le mouvement des cheminots, c’est l’intersyndicale qui dirige. Les seuls interlocuteurs que nous avons sont les syndicats, alors que nous fonctionnons par « mandatés de l’assemblée générale » (souvent non-syndiqués). De plus notre mouvement recherche une convergence des luttes alors que les grandes bureaucraties syndicales sont sur des bases très «  corporatistes » qui s’expliquent par leur souhait de maintenir une emprise sur leurs troupes. Du coup il y a eu certains freins à cette liaison, tant localement que nationalement. Globalement à Nantes, le lien s’est résumé en une participation d’un militant de SUD Rail à une AG étudiante, en 3 participations d’étudiants aux leurs, à 2 manifs communes et de quelques coups de fils.

Le mouvement s’est développé sans l’UNEF dans la plupart des villes, quels ont été sur Nantes vos rapports avec ce syndicat ?

A Nantes, le mouvement s’est développé avec l’UNEF, car ses militants sont membres de la TUUD, tendance plus à gauche que la « majorité ». De plus, ils suivent les mots d’ordres de notre Assemblée Générale. Le travail commun a donc été positif, l’UNEF Nantes appelant notamment aux blocages et à l’abrogation de la loi. Ce n’est pas le cas de sa majorité nationale qui contrôle le syndicat, laquelle petit à petit, devant l’ampleur de la mobilisation, appelait à l’aménagement et la négociation de la loi.

Avec le syndicat CNT, quelles sont vos relations ? tes-vous arrivés à construire ensemble un front pour défendre vos positions contre la LRU ?

A Nantes, les liens avec la CNT sont bons. Comme je l’ai dit avant, c’est une intersyndicale SUD-CNT-UNEF qui a appelé aux premières assemblées générales. Pour la suite, la CNT est sur des bases similaires aux nôtres, en particulier ce qui concerne l’auto-organisation du mouvement. Par conséquent, les liens étaient bons durant toute la mobilisation. Je ne crois pas qu’il y ait eu nationalement autre chose qu’une intersyndicale avec les syndicats de lutte et la TUUD. Mais l’impact était négligeable sauf peut être à Paris. Plus généralement cela fait plusieurs années qu’il est question d’une plus grande unité des syndicats étudiants de lutte mais chacun campe sur ses positions : la TUUD a l’UNEF, SUD a l’interprofessionnelle, la CNT a son histoire... Mais ce qu’il faut aussi constater, c’est qu’en période de lutte, on bosse tous en commun.

On a noté dans de très nombreuses villes l’intervention de la police pour vider les locaux et les fermetures administratives par les présidents des facultés quand ceux ci ne faisaient pas appel à la police. Est-ce qu’il y a une nouvelle stratégie des pouvoirs publics depuis le CPE ?

Il y a indéniablement une nouvelle stratégie. Lors du CPE, on observa les prémisses de la répression que l’on vit aujourd’hui, mais c’était Paris surtout qui en fut victime. Cette année, à Nantes, ce fut la première fermeture administrative des bâtiments depuis très longtemps. Elle eut lieu du 15 au 21 novembre et toucha également les Restaurants et Bibliothèques universitaires. Cela correspondait pour nous à un moment fort de la mobilisation : la fac de droit venait de voter le blocus. Cette fermeture fut justifiée par les autorités en raison de l’occupation nocturne des bâtiments, qui ne « permettait pas la sécurité des biens et des personnes  ». Plusieurs fois donc, une centaine d’agents répressifs (gardes mobiles, CRS, BAC) vinrent nous évacuer et finalement la troisième fois 7 bâtiments furent fermés (plus 3 RU et 3 BU) ce qui parut démesuré. La stratégie est simple : on empêche l’accès à tout lieu de réunion (ce qui est très gênant, notamment en hiver), et on freine une mobilisation au moment où elle décolle. La police dispose désormais d’invitations sur les campus. Le pouvoir en place a retenu le CPE et l’a bien étudié. Il a su lors de ce mouvement LRU empêcher la mobilisation de démarrer par des méthodes plus répressives que d’habitude. Ce qui s’est passé à Nantes vaut pour de nombreuses villes. Par exemple la nuit du 14 novembre, plusieurs facs furent évacuées pour des motifs similaires. On y voit clairement une consigne nationale pour empêcher à la mobilisation de s’amplifier. A Aix par exemple, les bâtiments furent fermés du 9 au 26 novembre. Comment lutter dans ces conditions ?

Les craintes sont nombreuses pour l’avenir : l’utilisation des BAC et ce que ça implique, la répression non nuancée des occupations nocturnes voire des occupations tout court, la volonté de supprimer la pratique des AG et de recourir au vote à bulletin secret sur des questions orientées (type : pour ou contre la reprise des cours ?)... On cherche à marginaliser les étudiants, les faire passer pour des gâtés irresponsables, bref des gosses. Les luttes en cours et à venir vont être très dures. Que faire lorsqu’on a en face de soi 50 CRS, 50 grades mobiles et 30 BACeux, qu’ils ont plein de caméras et multiplient les arrestations et comparutions immédiates et qu’on est que quelques centaines ? Il faut que nous aussi nous changions de stratégie mais surtout de méthodes. Ce qui est positif c’est que de plus en plus de personnes n’ont plus le même rapport à la violence. De nombreuses personnes scandalisées par la « démocratie  » se radicalisent tant dans leur propos que dans les méthodes qu’ils sont prêts à utiliser. Beaucoup en ont marre d’être des bisounours.

L’emploi d’une unité de police comme les BAC laisse à penser que le pouvoir assimile un mouvement de contestation à un mouvement délinquant, quels types de réflexion à ce sujet et quelles ripostes ?

Sur ce sujet, au-delà de la réflexion, il y a un constat : le mouvement étudiant tant localement que nationalement est réprimé par la BAC. Nous sommes des criminels. Les motifs d’interpellation sont éloquents : «  rébellion », « outrage à agent »... Et en plus ça vaut souvent du ferme lors des comparutions immédiates. Dans les faits, lors de manifs ou d’actions, des gens se font chopper parce qu’ils sont devant ou parce qu’ils sont connus (voire les 2). Le motif de rébellion est pratique : il suffit de s’opposer à sa propre arrestation (juste tenir tête 2 secondes par exemple). Du coup on est toutes et tous « arrêtables ». Des gens ont par conséquent peur de manifester. C’est un des impacts de cette répression. Un autre est de nous brider en amont : de plus en plus de personnes, par crainte ou pragmatisme, n’envisagent plus d’action jugée trop «  bourrin », « radicale », alors que nous devrions au contraire nous durcir. La solution pragmatique est actuellement la dominante, ce qui est nuisible à long terme. Des solutions plus « dures », insérées dans un réel rapport de force sont envisageables, mais nécessitent du travail et de la préparation. Nous n’en sommes pas là actuellement, car sécuriser un cortège par exemple est déjà difficile. C’est en tout cas dans un type de ripostes plus offensives, plus organisées qu’il nous faut creuser. Ce qu’il faut aussi pour la majorité des gens c’est savoir comment se comporter dans une manif ou dans une action. Une des ripostes est de montrer le caractère politique du rôle de la police.

N’y a-t-il pas un fossé de plus en plus grande entre la fraction de la jeunesse et la gauche libérale ?

Là encore un constat général : le décalage entre la représentation nationale et la population. Que ce soit au travers des luttes étudiantes ou de celle des cheminots par exemple, les « partis d’oppositions » ont été bien silencieux si ce n’est dans l’autre camp. On a l’impression que la «  rue » existe bel et bien et que c’est elle qui joue désormais le rôle de l’opposition. Le même type de phénomène avait été observé lors du référendum sur le traité constitutionnel européen.

Pour ce qui est de la jeunesse, le passé l’a déjà prouvé. Le rejet de l’UNEF par les assemblées générales dans les derniers mouvements étudiants en sont une preuve. La forte implantation des structures d’extrême gauche à l’université en sont une autre.

Ce qu’il faut observer, c’est surtout le décalage général entre la « socialdémocratie  » et la « gauche révolutionnaire ». Les termes ne sont pas les plus appropriés mais ont le mérite de situer une frontière. La jeunesse n’échappe pas à cette règle, mais elle a la particularité de ne connaître du PS que son (in)activité des 10 dernières années et son absence de rêve. Caricaturalement, à 20 ans soit on est pour la mondialisation et on a moins de complexe à aller à l’UMP, soit on est contre et alors c’est pas vers le PS qu’on se dirige. C’est pour moi étrange à 20 ans de vouloir changer le monde grâce au PS. Mais ce n’est qu’un avis...

On a le sentiment comme on a pu le voir chez les cheminots qu’à la base une opposition très virulente s’exprime vis-à-vis du pouvoir. Ne doit-on pas réfléchir à trouver de nouveaux espaces de rencontres pour reconstruire des luttes autonomes vis-à-vis des directions syndicales ?

Il y a au niveau étudiant, un large rejet des pratiques syndicales traditionnelles (jacobines, bureaucratiques, médiatiques). Cela a pour conséquence de voir le développement des syndicats qualifiés « de lutte » (SUD, CNT, FSE et parfois l’UNEF-TUUD), ou encore une implantation des organisations situées « à gauche de la gauche ». Globalement, un certain nombre de jeunes cherchent des alternatives au capitalisme et à la mondialisation libérale. Le pouvoir n’est pas dans les mains du chef de l’Etat mais dans ses soutiens. De ça, de plus en plus de personnes en ont conscience. Par exemple, le rôle des médias en général et leur marge de manoeuvres en particulier sont pointés. Des individus sont pour une fois acteurs de leur lutte, lisent et entendent sa retranscription, et y notent des décalages avec la réalité (rôle des syndicats, analyses, propos orientés, ...). D’où l’émergence un discours critique sur les médias et un intérêt pour les médias alternatifs. Ces sujets sont pointés tant localement qu’en coordination nationale.

Au travers des Assemblées Générales et de la pratique dans une moindre mesure de la démocratie directe, les gens s’approprient le débat d’une manière plus participative (même pour les étudiants de « droite  »). Cela a pour conséquence d’être un peu plus acteur et de moins déléguer ses pouvoirs. Les organisations ou syndicats « alternatifs » sans pour être autant clientélistes voient en ces occasions de nombreuses personnes les rejoindre ou du moins être sensibilisées aux pratiques autogestionnaires par exemple.

Les espaces de rencontre en ce sens se créent naturellement que ce soit dans le cadre d’une organisation ou non (comme ça a été le cas de SUD étudiant Nantes lors du LMD). Le blocage des bâtiments sert aussi à cela  : on a des salles, du temps, des idées germent. Par conséquent ces espaces se créent ponctuellement mais survivent rarement à la mobilisation. Durant leur courte existence ils sont dotés d’une intensité qui sur le plan des expériences d’organisations collectives sont enrichissantes. C’est donc là dessus qu’il faut systématiquement travailler et construire pour envisager et se donner les moyens d’être un totalement mouvement autonome. A Nantes, dans le cadre de notre lutte, les syndicats se sont effacés pour laisser place à l’Assemblée Générale. C’est nationalement qu’il faut maintenant améliorer les choses. Si le « clash » de Lille avec le bureau national de l’UNEF a permis de séparer ce syndicat de la coordination nationale en deux légitimités distinctes, l’organisation nationale et autonome du mouvement étudiant est loin d’être parfaite. Les autres organisations et syndicats y sont très présents, les débats sont stériles, et d’autres formes de légitimités se dégagent (celle des « autonomes » par exemple). Il y a sur cette question beaucoup de changement nécessaire pour la lutte en cours et celles à venir.

Il faut aussi se questionner sur comment faire converger les luttes, car tant au niveau des syndicats professionnels que des médias cela apparaît comme une romantique utopie, et tout est fait pour l’empêcher. Tant qu’on n’inversera pas ce rapport, toute initiative aura un impact de plus en plus limité, à cause de la sectorisation accrue des luttes. On en est à un point où le travail militant avec les enseignants est quasi-inexistant car ceux ci voient leur propres intérêts comme seul leitmotiv de lutte...

Comment continuer après la fin du mouvement ? Quels espaces de vie politique à construire sur les facultés et les lycées ?

Il faut dès que possible, fin janvier par exemple, reconvoquer à des AG, remobiliser. Il faut multiplier les médias alternatifs, les projections, les débats, en général multiplier les initiatives qui ont pour but de sensibiliser. Il y a eu une grande répression et de nombreuses convocations devant les tribunaux. Il faut aller soutenir nos camarades et récolter des fonds pour leurs frais de justice. À court terme il faut donc maintenir un certain état d’esprit de lutte sur les campus. Des personnes vont faire le choix de s’organiser collectivement dans un syndicat ou une organisation politique par exemple pour continuer au-delà des deux mois de mobilisation. A Nantes par exemple, nous avons un hall dont la configuration fait qu’il est un lieu de rencontre et est facilement aménageable. Au niveau des lycées, le turnover est trop rapide pour construire quelque chose à long terme. Mais l’intensité de leur mobilisation et la répression dont ils victimes pousse à trouver des solutions pour que dans les bahuts des groupes puissent s’organiser voire se fédérer avec d’autres lycées.


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