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AccueilJournalNuméros parus en 2008N°65 - Janvier 2008Regards sur la mobilisation contre la loi LRU > Réflexions sur la démocratie dans le mouvement étudiant

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Regards sur la mobilisation contre la loi LRU

Réflexions sur la démocratie dans le mouvement étudiant

POUR CONTRIBUER AU DÉBAT SUR LES FORMES DE LUTTE


Les mouvements sociaux ne sont pas uniquement l’occasion de formuler et de défendre collectivement un ensemble de revendications. Par leur rupture avec le rythme du capitalisme, par l’espace d’exception qu’ils créent, ce sont aussi des moments d’expérimentations d’alternatives par ceux/celles qui y participent : ils sont notamment l’occasion de prendre des décisions politiques d’une manière qui tranche avec le fonctionnement hiérarchique des administrations et des entreprises.


Les AG de fac ouvertes à tou-te-s et souveraines se sont rapidement imposées dans cette lutte. Le problème est que la décision de s’organiser de cette manière a été prise par une poignée de militant-e-s, et a rarement fait l’objet d’une discussion collective. Pourtant, beaucoup de questions pourraient se poser : il est devenu commun que les AG souveraines soient systématiquement organisées au niveau de la fac toute entière, au détriment d’AG d’UFR, mais aussi d’AG interfacs, d’assemblées de quartier, d’AG interprofessionnelles etc., et ce même quand les conditions le permettent. Le problème est qu’on voit bien ce que la souveraineté des AG de fac permet (notamment une bonne organisation des piquets de grève), mais qu’on a tendance à ne pas réfléchir sur les nombreuses possibilités que cela ferme : déplacement du centre de décision vers des lieux ouverts aux non-étudiant-e-s, inscription du mouvement dans la vie du quartier, plus grande inventivité dans les moyens d’action...

Même en acceptant l’idée des AG de fac comme lieux centraux de la lutte, de nombreuses questions sont passées sous silence, comme l’opportunité d’ouvrir les AG à tout le monde, y compris aux personnes ne se reconnaissant pas dans la lutte contre la loi LRU. Il est vrai que si l’on veut être légitime, selon le vocabulaire dominant, il faut que chacun-e puisse s’exprimer. Mais cela pose de considérables problèmes : possibilité pour certains groupes de faire des coups de force, débats interminables avec des gens qu’on ne convaincra pas, surévaluation de la puissance numérique du mouvement (2000 personnes votent la grève, 100 l’appliquent), obligation de confier les questions pragmatiques d’organisation de la lutte à des commissions plus ou moins fermées... L’idée de faire coexister réunions ouvertes d’information et AG de lutte réservées aux « grévistes » est très minoritaire.

De même, les règles de fonctionnement des AG sont peu réfléchies, et sont souvent fixées une fois pour toutes, quelles que soient les conditions du jour (nombre de participant-e-s, enjeux), sans interrogation collective sur le sens politique de nos choix. Il est clair qu’il n’y a pas une seule bonne manière d’organiser les AG. Tout dépend des conditions pratiques, de la façon dont cette AG s’inscrit dans la lutte en cours, du type de décision qu’il s’agit de prendre etc. Et le temps pris pour s’interroger collectivement, à chaque AG, sur ce que nous sommes en train de faire et sur les meilleures manières de le faire n’est pas perdu : c’est une condition fondamentale pour l’auto-institution explicite du mouvement.

Le problème est d’autant plus complexe lorsqu’il s’agit de coordonner un mouvement au niveau national. Lutte après lutte, des oppositions irréconciliables ont lieu entre partisan-e-s de différentes formules, autour de deux questions : comment mettre en place une représentation numérique équitable de chaque fac en lutte ? Les représentant-e-s doiventils/ elles lié-e-s à leur AG d’origine par un mandat libre, semi-impératif ou impératif ? La première question pose un redoutable problème de démocratie  : comment agréger les votes ? Un par fac ? Est-ce équitable de donner le même poids aux facs en lutte et aux autres ? C’est un débat interminable... qui se résout souvent de façon autoritaire. Ainsi dans les premières semaines d’octobre, il a été décidé que les facs bloquées auraient droit à cinq voix en coord, et les facs simplement en grève deux voix. Il s’agit certes de points techniques, mais c’est en jouant sur ceuxci que l’UNEF a réussi à pourrir les coords de Tours (17/11) et surtout de Lille (24/11), avant de quitter le mouvement.

Encore plus délicate est la question du type de mandat : lorsque les AG mandatent des délégué-e-s en coordination, elles ont le choix entre leur laisser voter de la façon dont ils/elles l’entendent aux questions posées en coord (mandat libre), les forcer à voter exclusivement sur les sujets sur lesquels l’AG s’est prononcée (mandat impératif), ou bien adopter une formule intermédiaire : transmettre la volonté de l’AG lorsqu’elle a voté sur une question, mais se prononcer librement lorsqu’une question qui n’a pas été abordée en AG se pose (mandat semi-impératif). Le mandat impératif est ce qui permet le mieux de maintenir la souveraineté au niveau des AG de fac et d’éviter que les organisations politiques et syndicales n’aient trop de poids. En effet, il est classique qu’une fois en coordination, les délégué-e-s organisé- e-s décident de voter comme le veut leur orga et non leur AG. Avec un terrible effet pervers du mandat semi-impératif : les organisations ont tout intérêt à ce qu’un maximum de sujets ne soient pas traités en AG, pour maintenir une marge de manoeuvre large en coordination nationale...

Le problème est que le mandat impératif a trois inconvénients graves : le premier est qu’il ne fonctionne que si la grande majorité des AG de facs l’ont adopté. En effet, un délégué lié par un mandat impératif aura beaucoup moins de poids qu’un représentant libre, car il ne pourra pas prendre part à tous les votes. Ce qui induit que les facs où les orgas habituées aux magouilles sont les plus fortes sont mécaniquement surreprésentées en coordination (c’est pourquoi le mandat libre strict a parfois été interdit par la coord). Le second inconvénient est que pour éviter que le mandat impératif ne paralyse les coords, il est nécessaire que leur ordre du jour soit connu à l’avance, pour que chaque point puisse être discuté par l’AG de fac ; ce qui demande une organisation lourde qui renforce les risques de dérive bureaucratique. Enfin, le dernier inconvénient est qu’un mandat impératif strict rend la tenue de coordinations nationales largement inutiles : puisque les mandaté-e-s n’ont aucune marge de manoeuvre, on pourrait coordonner le mouvement de façon virtuelle, en agrégeant les votes à distance.

On voit bien que ces débats sont épineux et ne peuvent avoir de réponse a priori. Par ailleurs, ils pourrissent immanquablement les relations entre militant-e-s, sur des questions qui, faute d’élaboration collective, apparaissent complètement absconses aux personnes inexpérimentées engagées dans la lutte. Il est alors tentant de régler le problème par des tractations hors-AG, ou de remettre à plus tard son traitement, au risque de prêter le flanc aux attaques des orgas opposées à la lutte (comme l’UNEF en novembre) ou aux autonomes les plus intransigeants. Pourtant ces questions doivent être posées, mais là encore en en formulant le sens politique, c’est-à-dire en s’interrogeant collectivement sur ce qu’on attend d’une commission, d’une AG ou d’une coordination nationale, et sur les pouvoirs qu’on veut lui laisser, ici et maintenant. Mais ça prend du temps, évidemment, alors que le gouvernement et les médias font tout pour nourrir en nous un sentiment d’urgence. Néanmoins, mener une lutte politique en rupture avec le rythme du capitalisme et de l’Etat demande que s’opère une réappropriation démocratique du temps politique. C’est aussi là, dans le refus intransigeant de se laisser dicter la temporalité de notre lutte par nos adversaires, que s’élaborent non seulement une lutte efficace, mais aussi des pratiques politiques en rupture avec nos habitudes hiérarchiques et bureaucratiques.

Sam


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