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AccueilJournalNuméros parus en 2008N°65 - Janvier 2008Regards sur la mobilisation contre la loi LRU > Ta rage n’est pas perdue !

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Regards sur la mobilisation contre la loi LRU

Ta rage n’est pas perdue !

LES LYCÉENS DANS LE MOUVEMENT


Plus d’un mois après le début des blocages massifs survenus dans de nombreux lycées à Paris, en banlieue et en régions, j’ai rencontré quelques lycéens de l’Est et du Nord de Paris (Chris du lycée Hélène Boucher, Dandy et Enders du lycée Maurice Ravel et Tadam du lycée Honoré de Balzac), afin de les interroger sur leur vision du mouvement. Ils m’ont semblé à la fois très lucides et très désabusés, mais toujours prêts à remettre le couvert, selon des modalités qui leur semblent aujourd’hui à réinventer.


Comment les AG se sont-elles mises en place dans vos lycées ?

Tadam : Pour moi, les AG ont démarré assez tard à Balzac. Ce sont les prépas qui les ont initiées, puis les première ont pris le relais et les choses n’ont pas été faciles, parce qu’on n’a jamais pu se réunir dans une salle. Finalement, le blocage a été décidé d’abord après un vote à main levée, puis après un vote à bulletin secret, dont l’AG a fait la promotion dans le lycée, par voie d’affichage ou alors en communiquant le lieu et le moment du vote aux autres lycéens par l’intermédiaire des délégués de chaque classe. Les résultats ont été assez probants : 300 pour, 100 contre (même si la participation n’a pas été très importante car le lycée compte à peu près un millier d’élèves).

Dandy : À Ravel, ça s’est passé différemment : il y avait déjà eu des AG, puisque plusieurs personnes participaient aux AG en soutien aux élèves sans papiers, ainsi que des discussions au sujet de la loi Pécresse. Le blocage s’est fait comme ça, l’info est passée par le bouche à oreilles, peutêtre parce que l’administration était franchement contre nous et que le proviseur ne voulait absolument pas d’un blocage.

Enders : Le problème, ça a été majoritairement de réussir à mobiliser les gens pour autre chose que le simple blocage. Parfois même, on arrivait, on parlait de bloquer, tout le monde était d’accord, et puis quand on passait à l’organisation concrète, il n’y avait plus personne... Au début, on a bien débattu au sujet de la loi, ceux qui étaient pour, ceux qui étaient contre ont pris la parole, des points de vue ont été échangés, mais très vite, les AG se sont mises à tourner à vide, surtout quand les syndicats lycéens, face à d’éventuelles négociations, ont remis en cause le principe de la grève et du blocage.

Tadam : Au bout du compte, bien souvent, les gens ne savaient même plus pourquoi ils bloquaient, si bien qu’on a décidé à Balzac de bloquer les jours où une manif était prévue pour que ceux qui voulaient puissent y aller ensemble, et pour qu’on puisse retrouver les autres lycéens.

Chris : À Boucher, le premier blocage a été voté en AG à main levée (250 participants), et à l’AG suivante, on a voté à bulletin secret. Les résultats tournaient autour de 70% de pour, les contre étant essentiellement les Terminales  ; quant aux prépas, ils se sont probablement abstenus, car il était clair qu’on les laisserait entrer. Mais à Boucher, il existait déjà des habitudes par rapport aux AG puisque avant le mouvement lycéen, il y avait déjà des AG en soutien aux élèves sans papiers.

Comment les administrations ont-elles réagi ? Et la police ?

Chris : Je crois que ça dépend vraiment du lycée. Même entre Boucher et Ravel, qui sont tout près l’un de l’autre, ça n’avait rien à voir. Notre proviseur, à Boucher, était toujours prêt à nous écouter, dès lors qu’on avait accepté le principe de laisser rentrer les collégiens et les prépas. On a toujours pu se réunir dans une salle, les AG avaient lieu sans problème.

Enders : À Ravel, ça n’a pas été du tout pareil. Le proviseur était absolument opposé au blocage et il était là tous les matins devant le lycée pour répéter qu’on devait laisser entrer tous ceux qui voulaient.

Tadam : À Balzac, la direction était aussi contre le blocage. On s’est même entendu dire que le vote à bulletin secret n’était pas démocratique, alors qu’on avait averti un maximum d’élèves !! Il y avait le même problème que dans toutes les cités scolaires, avec les collégiens, et en général, on a bloqué pour les manifs et dès qu’on partait en manif, vers 13h ou 14h, le lycée était débloqué.

Dandy : De toute façon, le blocage était plus ou moins facile à tenir, selon le bahut. À Boucher, il n’y a que deux entrées, alors qu’on en a 7 à Ravel...

Tadam : ... et à Balzac, il y a des entrées derrière le lycée, sans compter la grille que les plus acharnés pouvaient toujours décidé de sauter. En plus, la proviseure nous a menacés des flics quand elle ne nous disait pas, avec son discours à la con, qu’on était en train de nuire à nos camarades en les privant de leurs cours...

Enders : À Ravel, on a eu droit à la police dès la première journée de blocage, et après, pendant deux semaines d’affilée. Entre Ravel et Boucher, ça faisait comme un point de ralliement pour les lycées de l’Est parisien, et régulièrement, les lycéens de Dorian ou de Paul Valéry venaient, et il y a eu ici et là, y compris devant Boucher, quelques petits problèmes avec des anti-blocage (quelques excités à Boucher, qui ont balancé des boulettes de papier mouillé, et une fille qui a vidé sa lacrymo sur des lycéens qui bloquaient à Balzac, mais rien d’organisé).

Chris : Après les blocages, il y a eu une bagnole entre les deux lycées, sans qu’on sache pourquoi ; et quand on leur a demandé, on a vu leurs armes, flashballs et fusils à pompe, mais il paraît que c’était normal, c’était leur brigade... Et puis une fois, après un blocage, un jeudi, je crois, on a voulu mettre des poubelles devant le lycée, et là, ils étaient pas d’accord.

Dandy : Mais au bout du compte, il n’y a eu aucune intervention. En fait, il y a un tel contrôle à l’entrée du lycée, y compris en temps normal, que les flics devaient penser que leur présence suffisait pour dissuader toutes les personnes extérieures au bahut.

Quels ont été vos contacts avec les autres personnes mobilisées sur le mouvement (autres lycéens, étudiants, profs, etc.) ?

Chris : Entre lycées, la coordination s’est assez bien faite. Quand on partait en manif, ou quand il s’agissait de savoir ce qui se passait dans les autres bahuts, la coordination lycéenne a bien fonctionné. On arrivait à partir en manif du Cours de Vincennes, c’était impressionnant...

Tadam : Dans le Nord de Paris, c’était pareil ; une fois, on a bloqué toute la Place de Clichy. Mais sinon, on a eu peu de contacts avec les étudiants, à chaque fois pendant des manifs où on avait parfois l’impression que les étudiants étaient de moins en moins nombreux. Et avec les contrôles hyper stricts pratiqués à l’entrée des lycées, pas question pour eux de venir sur les bahuts... En fait, les étudiants qu’on voyait le plus, c’était les surveillants qui, dans le meilleur des cas, disaient aux lycéens de ne pas entrer dans le bahut.

Dandy : Oui, mais ils ne se sont pas mobilisés avec nous. Ils ne nous faisaient pas chier à l’entrée du lycée, quand on bloquait, mais c’est tout. Quant aux profs, à part une information rapide sur la loi, du genre, une présentation objective en appuyant sur les aspects négatifs, la communication a été assez réduite.

Aujourd’hui, quel bilan faites-vous de ce qui, pour vous, a été une première expérience si ce n’est politique, au moins une première expérience d’un mouvement politique d’une certaine ampleur ?

Chris : Ce qui m’a le plus frappé, c’est la difficulté à mobiliser les gens, pour qu’ils se sentent concernés par la loi Pécresse. Souvent, on avait l’impression que ce qui comptait le plus pour la plupart, c’était de ne pas aller en cours ou bien qu’ils faisaient juste semblant d’être concernés.

Enders : Le mouvement a démarré sur une dynamique lancée par les cheminots, et puis, au fur et à mesure, les motivations des uns et des autres ont disparu, comme si, à force de se focaliser sur le blocage, qui demeure une question fondamentale, les lycéens en avaient oublié ce pour quoi ils luttaient.

Alors pour vous, aujourd’hui, le mouvement est mort ?

Dandy : Si on regarde la presse, on dirait qu’il n’a jamais existé !? Là où, quand on se comptait, on était plus de 200 devant un bahut, avant d’aller en débrayer un autre, les médias revoyaient systématiquement les chiffres à la baisse...

Chris : Aujourd’hui, le mouvement, tel qu’il a essayé de se mettre en place dans les lycées à partir du 20 novembre, est mort à mon avis. Mais il y a plein d’autres choses à faire, les AG qui ont eu lieu sur les bahuts ont permis de sensibiliser plein de lycéens à d’autres problèmes, et on espère bien arriver à quelque chose autour de la lutte de soutien avec les élèves sans papiers ! Il existe une AG de mobilisation et de sensibilisation à Hélène Boucher sur le thème des élèves sans papiers (il y a une élève sans papier au lycée). J’y ai participé, et des gens de Maurice Ravel se sont joints à nous, dès le début ; ces réunions ont été super constructives, elles nous ont permis de prendre contact avec les lycéens intéressés et de commencer à faire un travail de fond sur ce thème. À partir de là, on s’est mis d’accord sur un certain nombre de projets, dont la projection d’un film à la Miroiterie (qui a eu lieu et a rassemblé une cinquantaine de personnes), l’élaboration d’un questionnaire de sensibilisation sur Internet, en collaboration avec RESF et la préparation d’un concert de soutien, qui aura lieu en début d’année prochaine.

Interview réalisée par Tina


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