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AccueilJournalNuméros parus en 2008N°67 - Mars 2008 > CULPABILSER LES ENFANTS POUR DISCULPER LE CAPITALISME

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CULPABILSER LES ENFANTS POUR DISCULPER LE CAPITALISME

Ou « le génocide, c’est la fôte aux CM2, M’sieur ! » (d’après le Petit Nicolas S.)


Mercredi 13 janvier, Sarkozy a présenté au dîner du Conseil représentatif des institutions juives de France son projet pour la rentrée 2008 de confier aux élèves de CM2 la mémoire d’un des 11 000 enfants juifs français morts dans les camps nazis : «  Les enfants de CM2 devront connaître le nom et l’existence d’un enfant mort de la Shoah ». Très vite de nombreuses personnes ayant un lien « privilégié » avec la Shoah (ancien-ne-s déporté-e-s, spécialistes universitaires de l’holocauste), et/ou travaillant avec les enfants ont pris position contre ce projet - au nom du traumatisme que cette mesure causerait chez les enfants. Peu ou pas d’autres arguments ont été relayés par les média.


Ma première réaction en entendant l’annonce de ce projet et les réactions qu’il a suscité a été : « cessons de surprotéger les gamins !  ». Oui, l’histoire de la Shoah et de son contexte, la deuxième guerre mondiale, est violente et dure à porter, même pour les adultes. C’est d’ailleurs pour ça que pendant longtemps les réscapé-e-s n’ont pas voulu ou pu s’exprimer sur le sujet. Mais ce n’est pas en cachant les atrocités du monde aux enfants qu’on en fera des adultes responsables, capables de réfléchir et d’agir sur ce monde. Pour moi cet argument rentrait dans la même ligne que la censure mise en oeuvre au nom de la protection de la « pureté enfantine  » - entendez : l’innocence qui permet à celui qui connaît de manipuler le naïf. Relisez Candide et rappelez vous qu’il n’y a pas si longtemps la femme avait le même statut juridique que l’enfant si vous trouvez que j’exagère. Les enfants vivent dans ce monde au même titre que les adultes. Aidons-les à le comprendre pour qu’ils développent leur autonomie plutôt que de les isoler dans une bulle de candeur artificielle.

En plus, l’argument du traumatisme cache des problématiques plus politiques : la conception de l’histoire et la négation par le nouveau chef de notre présipauté de tout ce qui ne vient pas de lui. Il arrive sans même un semblant de concertation (il ne faudrait pas qu’on oublie qui a le pouvoir) et impose son prêt-à-penser. Lui seul, guide omnipotent et omniscient, sait comment il faut faire le travail de mémoire. Il amène la chose de manière à nous faire oublier que bien avant sa déclaration des adultes (profs, instits, témoins,...) travaillaient déjà avec les plus jeunes sur le thème de la Shoah. Ils le font d’ailleurs sans qu’aucun pédopsy ne constate de traumatisme chez ces jeunes.

L’argument protecteur laisse de côté l’essentiel  : le fait que ce projet opère volontairement une réduction de la complexité d’un fait historique et politique à un objet de voyeurisme morbide que seule une morale individuelle bien-pensante pourrait et suffirait à contrecarrer. La Shoah ne peut pas se réduire aux vies et morts de 11 000 enfants juifs, qu’ils soient français ou non. C’est selon moi une nouvelle façon de masquer son ampleur, où l’arbre spectaculaire de l’innocence enfantine sacrifiée masque la forêt autrement plus étendue, et plus complexe, des crimes du nazisme. Les enfants n’ont pas été les seules victimes, ni même les plus nombreuses ; et si les juifs ont été les plus touchés, ils n’ont pas été les seules victimes du nazisme, ni même les seuls à faire l’objet d’un génocide. Surtout, c’est réduire un phénomène collectif à des parcours individuels, et ainsi réduire l’antisémitisme et le racisme à une question de morale individuelle, coupée de toute influence du contexte historique, économique ou social...

Prétendre « lutter contre le racisme sous toutes ses formes » (sic. Sarko) sans s’attaquer à ses causes, allant même jusqu’à les nier implicitement quand elles ne relèvent pas du seul individu et de ses prétendus choix purement moraux, c’est non seulement une langue de bois éhontée mais en plus sûrement un des meilleurs moyens de provoquer l’effet contraire. Nier le poids du collectif sur l’individu en remplaçant le politique par le pathos pour éviter la réflexion sur les causes et les processus des phénomènes sociaux, réduire l’individu à un être ressentant plus facile à manipuler : ce projet est typique d’une logique de dépolitisation néolibérale, et de moralisation néoconservatrice. Ainsi rien ne change, et les mêmes causes provoquant les mêmes effets...

Mais cette logique moralisatrice et antidémocratique n’est malheureusement pas une invention de Sarko. On nous a déjà fait le coup lors de la campagne présidentielle de 2002 avec le sécuritaire (entre autres exemples). Notre président (gloups) l’aime tellement qu’il nous la ressort à toutes les sauces  : la lettre de Guy Môquet pour la Résistance, avec les employé-e-s de Arcelor-Mittal pour les licenciements... D’ailleurs pourquoi s’en priverait-il puisque ça marche : la majorité des gens qui réagissent le font d’abord avec leurs tripes puis, parfois, trop rarement hélas, se rappellent qu’ils peuvent aussi se servir de leur cerveau.

Kabuki


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