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AccueilJournalNuméros parus en 2008N°67 - Mars 2008DECOLONISONS LE FEMINISME > racisme et sexisme, avatars de la catégorisation sociale

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racisme et sexisme, avatars de la catégorisation sociale


Il peut paraître hasardeux de comparer racisme et sexisme. Cependant, les deux phénomènes découlent en partie des mêmes mécanismes. Même s’il convient de ne pas les confondre, le parallélisme entre les deux phénomènes n’est pas dénué de sens pour l’analyse. Voici donc quelques pistes de réflexions.


La plus frappante des similitudes entre le racisme et le sexisme est, en effet, l’essentialisation des différences que ces deux « attitudes  » soutendent. On retrouve ainsi la même tendance dans les rapports de « genre » que dans les rapports de « races »1 à faire découler un comportement social de la structure biologique (génétique) de l’individu. Cette tendance à la biologisation du social à le vent en poupe, comme le montre les récentes déclarations de notre cher président sur le gène de la délinquance et celui de l’homosexualité. D’ailleurs, pourquoi se priver quant on a la « science » de son côté. En effet, la sociobiologie, qui defend l’idée selon laquelle les hommes sont animaux avant d’être sociaux, c’est à dire que les comportements sociaux sont totalement déterminés par le patrimoine génétique de l’individu, est en plein essor, en particulier Outre-Atlantique. Cette « science », fondée par Edward O. Wilson en 1975, est une tentative d’expliquer l’être humain par des concepts biologiques. Or cette théorie a été utilisé d’une part pour justifier aussi bien les discriminations « raciales » (darwinisme social) que pour justifier les discriminations « sexuelles » (polygamie naturelle de l’homme, gène de la maternité, ...) On assiste alors à une animalisation du social que Colette Guillaumin met en valeur en insistant sur le présupposé que véhicule de telles représentations des rapports humains, à savoir une «  réductibilité de la socialité humaine à une socialité “animale” homogène »2. Pour déconstruire ces raisonnements, la première étape est de casser le lien direct créé entre génétique et comportement social, la seconde de montrer qu’en réalité, la catégorisation biologique découle du social.

Il n’est pas très difficile de mettre en avant le processus dans le cas des « races ». En effet, la délégitimation scientifique du concept de races en tant que séparation biologique de l’espèce humaine a rendu visible la biologisation du social à l’oeuvre dans la construction de la catégorisation des races « scientifiques » au XIXème siècle. Il est donc relativement aisé de montrer que le biologique a été mis au service du social pour justifier tout une vision du monde colonialiste. Il est souvent plus difficile de faire entendre que la catégorisation sexuelle relève du même procédé, car nous dit-on, « on ne peut pas nier la différence biologique entre hommes et femmes ». Or, il s’avère que, de la même manière que pour la catégorisation raciale, ce sont les différences sociales qui conduisent à construire des différences biologiques. Ainsi, Pierre Bourdieu, notamment, insiste sur cette essentialisation de différences culturelles, en inversant les présupposés d’une nature féminine ou masculine  : « les apparences biologiques et les effets bien réels qu’a produit, dans les corps et dans les cerveaux, un long travail collectif de socialisation du biologique et de biologisation du social se conjuguent pour renverser la relation entre les causes et les effets et faire apparaître une construction sociale naturalisée (les “genres” en tant qu’habitus sexués) comme le fondement en nature de la division arbitraire qui est au principe et de la réalité et de la représentation de la réalité »3. Or, cette catégorisation n’est pas neutre politiquement, car elle fonde le caractère hétérosexuel et patriarcal de la société.

Les différences « biologiques » permettent notamment de justifier les rapports de domination. En effet, comme le fait remarquer Albert Jacquard, l’inégalité, dans nos sociétés, est une évidence de la différence (exemple du symbole mathématique « différent de » : ?). Ainsi, la catégorisation et la qualification dans les sociétés humaines se heurtent toujours à ce problème, distinguer des catégories conduit de façon quasiinéluctable à les hiérarchiser. La comparaison entre les Noirs et les femmes mises en valeur par Pierre Bourdieu en est d’ailleurs particulièrement révélatrice : « les femmes ont en commun d’être séparées des hommes par un coefficient symbolique négatif, qui comme la couleur de peau pour les Noirs ou tout autre signe d’appartenance à un groupe stigmatisé, affectent négativement tout ce qu’elles sont ou font. »

Les différences sexuelles et raciales sont ainsi construites socialement en tant qu’elles sont l’utilisation d’une différence corporelle rendue visible par le social, dans un but politique. Il convient, cependant, de souligner que, si l’essentialisation des différences a eu comme biais privilégié le recours à la biologie, elle peut également très bien s’en passer. Il suffit pour cela de présenter les modèles culturels comme des données immuables. Là encore, le racisme a quelques longueurs d’avance sur le sexisme : le déplacement du naturel au culturel a déjà eu lieu. Le différencialisme comme le communautarisme se servent ainsi de la culture pour figer les individus dans des identités. Or, la crispation sur la féminité ou la virilité relève du même principe, d’où la nécessité d’aller au-delà d’une simple déconstruction du lien entre sexe et genre. L’objectif politique apparent n’est alors plus la domination mais la ségrégation. Se pose donc ici la question du métissage et du rapport à l’altérité.

LE RAPPORT À L’AUTRE

Un fait est indéniable : les êtres humains sont différents les uns des autres, et ces différences sont tant biologiques que culturelles. Or, le paradoxe de l’altérité est de penser la différence dans l’unité, car l’Autre est à la fois le même et le différent. Pour surmonter la contradiction, l’homme a tendance à osciller entre deux extrêmes : refuser l’existence même du différent ou considérer la différence comme totale, absolue. Sans toutefois toujours aller jusqu’à l’extrême de l’absolutisation des différences, il apparaît une tendance dans la volonté de l’affirmation de Soi à se focaliser sur les différences, reléguant le semblable au second rang. Cette volonté d’exprimer la différence perçue explique probablement une partie de l’usage du mot « race  », qui en l’absence d’une conceptualisation claire de la différence, pare aux lacunes du langage, exprimant généralement, notons-le, des différences « phénotypiques » et non des différences d’essence. De même, ce mécanisme est à l’oeuvre dans la socialisation des jeunes enfants, quand se met en place la différenciation entre garçons et filles. Or, la focalisation sur les différences amène à repenser le rapport à l’altérité, qui ne peut être perçu sous le seul angle de la peur et du rejet de l’Autre. En effet, une large part de la relation sexiste peut être analysée comme une crainte de l’indifférenciation. Combien de fois n’a-t-on pas entendu, voire nous-même dit, qu’hommes et femmes ne doivent pas être semblables ? Or, on retrouve la même peur dans le racisme. Comme le fait remarquer Daniel Sibony, « le racisme s’exaspère de voir la différence revenir au même, revenir s’infiltrer dans le même et le révéler différent de soi »5. Il nous invite ici à repenser les crispations identitaires, qui caractérisent nos sociétés actuelles, non plus comme une réaction à la différence, aux différences, mais au contraire comme une phobie de l’absence de différence, une peur de la perte d’identité.

Pour autant, la peur de l’Autre ne peut être totalement écartée. Dès le XIV e siècle, le théologien Alvaro Pelayo proclame que « la femme est semblable au Juif ».Il s’agissait alors de stigmatiser la femme comme sorcière : « Le nom de sabbat donné à l’orgie satanique est celui du jour sacré de repos chez le Juif, les sorcières qui se rendent à cette ténébreuse festivité vont, dit le saint tribunal [l’Inquisition], “à la synagogue” ; les rites s’y déroulent à l’envers, comme l’écriture hébraïque. »6 Il est intéressant de noter les ressemblances de la fantasmagorie stigmatisante dans ces deux groupes, autour de la figure du diable et surtout de la sexualité maudite. Les deux groupes pervertissent de l’intérieur et à la peur d’une domination par les Juifs répond la croyance dans le fait que «  le Féminin ne sera jamais assez écrasé, car son pouvoir risque de resurgir.  »7 Or, sept siècles plus tard, on retrouve dans les esprits les relents de ces fantasmes de l’Inquisition, derrière la croyance au « lobby juif » ou des formules comme « derrière chaque homme de pouvoir, il y a une femme ». Ainsi, sexisme et racisme procèdent, au moins en partie (je n’ai pas la prétention d’avoir fait le tour de la question) des mêmes mécanismes  : interprétation inégalitaire des différences, rejet de l’universel, catégorisation fixe des individus, absolutisation des différences collectives, naturalisation des différences. Combattre le sexisme comme le racisme va donc au delà de la lutte contre la domination et suppose la déconstruction des catégories sociales qui figent les identités ad vitam aeternan

Bonnie

1. Le terme de race doit être entendu en termes de représentation collective et non au sens strictement biologique. 2. Colette GUILLAUMIN, Sexe, race et pratique du pouvoir. L’idée de Nature. Paris, Côté-Femmes, 1992, p. 117. 3. Pierre BOURDIEU, La domination masculine. Paris, Seuil, 1998, p. 9. 4. idem,p. 100. 5. Daniel SIBONY, Ecrits sur le racisme. Paris : Christian Bourgeois Editeur, 1988, p. 10. 6. Françoise D’EAUBONNE, Le sexocide des sorcières. Paris, L’esprit Frappeur, 1999, p. 85. 7. Françoise GANGE, citée par Françoise d’EAUBONNE, p. 64.


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