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Mexique : des femmes dans l’enfer des maquiladoras
Une fois que l’on franchit les portes de la fabrique, on entre dans un monde parallèle, dans lequel l’intense exploitation, le harcèlement sexuel comme manière de
discipliner et l’interdiction de se syndiquer se combinent librement pour qu’au
nord du Mexique, autour de dix mille femmes assemblent des jeans, des lecteurs
de cassettes ou des montres-bracelets. « Cela semble de la fiction, mais non ce
n’en est pas, c’est la réalité et c’est l’enfer », condamne Martha Ojeda, travailleuse
et activiste des fabriques « maquiladoras ».
Les maquilas ne sont pas des fabriques. Là, rien ne se produit, s’assemblent seulement les parties des produits et ils sont réexportés vers les États-Unis. Les syndicats « néolibéraux » qui ne laissent pas les femmes se syndiquer, l’État mexicain et sa police et les grandes
entreprises transnationales, tous sont des acteurs avec nom et prénom,
ils ont été et continuent à être responsables de cette situation. Martha est
passé par Buenos Aires pour, avec trente autres travailleurs de différents
pays d’Amérique latine, transmettre et partager des expériences dans le
Séminaire International Conditions de Travail et Santé, organisé par l’Atelier d’Études du Travail. « Quand les maquilas arrivent, les gouvernements disent qu’il ne faut pas les gêner parce qu’elles te génèrent des
emplois et ils leur assurent stabilité et tous ceux qui veulent faire du
tapage, créer des problèmes, sont licenciés, réprimés ou inscrits sur des
listes noires qui circulent parmi l’association de maquiladoras et tu ne
peux travailler dans aucun endroit », a-t-elle raconté après son intense
journée.
Pourquoi embauchent-ils plus de femmes que d’hommes ?
Ils disent que nous sommes plus prolixes, mais en réalité ce qu’ils
croient c’est que nous sommes plus soumises. Ce que j’ai vécu, la majorité était des femmes. Maintenant, avec la technologie, ils te font un examen d’urine dans un laboratoire, mais avant tu devais montrer ta serviette hygiénique pour démontrer que tu n’étais pas enceinte, dans le cas
contraire, ils ne t’embauchaient pas. Maintenant non plus, parce que
conformément à notre loi, tu as droit à 45 jours avant et 45 jours après,
et pour eux, ce serait te payer pour rien et avant la période de maternité
tu ne produis pas la même chose que n’importe quelle autre personne. Il
y a beaucoup de harcèlement sexuel par les superviseurs et les chefs de
ligne et si tu n’acceptes pas, ils te jettent, si tu acceptes, ils te mettent
enceinte et te licencient. Tu n’as pas beaucoup d’alternative au fait d’être une femme. Un autre des grands problèmes est la santé reproductive.
Dans le département de peinture, nous peignions avec une plaque les
cassettes de 60 ou 90 minutes, et la peinture débordait, nous devions
alors nettoyer la cassette avec de l’alcool pour qu’elle reste jolie, mais là
beaucoup d’enfants ont commencé à naître avec des défauts de naissance, sans le cuir chevelu. Ils nous disaient qu’ils avaient une tumeur.
J’en ai vu un avec le dos ouvert, les docteurs nous disaient que c’était un
problème héréditaire, génétique des parents, mais quand beaucoup
d’enfants ont commencé à naître ainsi, tu t’attends à ce qu’ils ne soient
pas tous de la même personne : non ? Et les entreprises n’ont voulu
reconnaître aucune responsabilité.
Comment est un jour de ton travail ?
Au départ tout était manuel, nous assemblions les lecteurs de cassettes, tu attrapais la feuille, la coquille, le cylindre et tu le vissais, avec
un format différent s’il était américain, s’il était français, s’il était japonais.
Après nous avons commencé à faire la cassette Beta, ensuite la VHS,
ensuite le Floppy disk, après qui sait ce que nous faisions mais nous
devions nous habiller comme des astronautes et ils nous faisaient prendre des douches d’air dans des départements. Nous avions seulement
10 minutes de repos par jour. Avant, nous travaillions 9 heures et demie,
maintenant nous en travaillons 12, c’est ce qui s’appelle la flexibilisation
du modèle. Le salaire est de 50 dollars par semaine. Tu assembles des
bombes, des parties d’hélicoptères, des vêtements, des parties d’autos,
d’ordinateurs, de télévisions, d’appareils électroménagers. Nous ne pro-
duisons aucune des parties, nous ne faisons que de l’assemblage.
Comment es-tu entré dans les maquilas ?
Ma maman a été la première génération de la maquila, je travaillais
avec elle. Ils sont venus nous recruter à l’école, j’étais au lycée quand le
gérant est arrivé et ils nous ont toutes, nous sommes toutes allées à la
maquila. A 15 ans, je travaillais avec ma mère, soudant avec du plomb
des parties de télévision, nous ne savions même pas ce que c’était, mais
bon, ils disaient que c’était une télévision. Un jour nous arrivons au travail avec la camionnette qui nous transportait et la maquila était fermée
par une affiche qui disait « nous sommes partis », ils avaient emporté
salaires, épargnes, gains, et tout à coup des milliers de femmes, nous
étions trois mille, avons commencé à faire des gardes pour racheter les
machines, et voir s’ils pouvaient nous payer quelque chose. C’était en 1975, quand a commencé tout ce modèle économique. Après, j’ai commencé à travailler dans la couture. Tu travailles depuis l’aube, tu dois
prendre deux ou trois camions pour y arriver. Les parcs industriels sont
promus par le gouvernement, ils leur donnent de terribles étendues avec
électricité, citernes d’eau, mais tous les gens qui travaillent dans les
maquilas sont des immigrés de Mexico ou de l’Amérique centrale, et arri-
vent avec l’espérance de passer la frontière (des Etats-Unis) et alors leur
arrêt est la maquila, et ils commencent à vivre dans des cordons de pau-
vreté comme les fiefs du moyen âge, les châteaux et tout les pauvres
gens autour. Ils vivent dans des maisons en carton, sans électricité, sans
égout, sans rien, les températures sont extrêmes, il y a des problèmes de
extrêmes, il y a des problèmes de déshydratation, des problèmes gastro-intestinaux des enfants et beaucoup de pollution.
Comment a eu lieu l’implantation de ces fabriques dans la zone limitrophe avec les États-Unis ?
Ceci a été un modèle de laboratoire. Ils l’ont nommé Programme d’Industrialisation de la Zone Nord, et les États-Unis avec cela ont essayé
d’arrêter l’immigration, qui a toujours été la pierre dans leur chaussure.
Tout a commencé quand le programme Bracero, permis de travailler à la
campagne, se termine en 1965, juste quand il commence à y avoir toute
la résistance et les mouvements étudiants. Vient ensuite la répression
étudiante de 1968 et il y a un accord entre le gouvernement du Mexique
et la Banque mondiale, le pays est gracié par les autres banques et
obtient des crédits de la BM et du FMI, et en échange ils doivent poursuivre la gauche radicale et c’est quand ils commencent à former les
« bataillons Olimpo » et à tuer tous les étudiants. Pendant ce contexte de
persécution, au nord, ils commencent ce processus d’industrialisation. Ils
ont créé une fabrique du côté nord-américain et une du côté mexicain. Ici
ils n’apportaient pas plus que les composants, nous les assemblions et
le tout était renvoyé de l’autre côté de la frontière. Ils croyaient qu’en donnant ces emplois, ils allaient arrêter l’immigration, particulièrement en raison du fait que la majorité était des femmes.
Comment commence la résistance des travailleuses ?
En 1994, quand presque 2 000 femmes décident de s’organiser.
Juste quand le Mexique signe le Traité de Libre Echange avec les Etats-Unis et le Canada, l’Alena. Nous faisons un soulèvement et paralysons
sept maquilas de Sony et j’étais l’une des dirigeantes. Nous voulions le
syndicat pour les problèmes de santé que nous vivions. Le déclencheur
a été quand ils décident de nous augmenter la journée à 12 heures. La
loi disait que nous devions en travailler 8 ; ils nous baisaient déjà parce
que nous en travaillions 9 et maintenant ils nous disent 12. Leur argument est que maintenant nous allions produire ici la coquille, le plastique,
le moule, que ces machines ne pouvaient pas s’arrêter et devaient fonctionner 24 heures sur 24, et que nous allions travailler 4 jours par
semaine et non cinq, et que la somme faisaient 48 heures par semaine
comme le marque la loi. Mais la loi dit 48 heures hebdomadaires et 8
heures quotidiennes rien de plus ; même si tu veux tu ne peux pas les
travailler parce que tu as besoin de te reposer. C’est à ce moment que
nous avons commencé à nous organiser, nous devions faire quelque chose, ce n’est rien de moins que tes enfants, ta santé, ta vie qui est en
jeu. J’ai été 20 ans chez Johnson et Johnson, la Géneral Motors, la
General Electric. Ca Suffit ! C’est à ce moment là que les 2 000 femmes
de la Sony avons décidé de nous organiser. Le Traité de Commerce
Echange ou Alena est signé en janvier, les zapatistes se soulèvent en
janvier et nous en avril, nous avons fait un campement et avons exigé
avoir un syndicat. Mais nous étions toutes les premières femmes audacieuses, tout le leadership était aux hommes et ils nous disaient que
comment allions-nous avoir un syndicat, que les syndicats étaient aux
hommes. Ils disaient que c’était une folie d’entrer dans le syndicat, ils ont
commencés à nous dire que nous n’allions plus entrer à la maquila, qu’ils
allaient parler aux chefs. Le premier jour, ils envoient les pompiers qui
nous arrosent en pensant que toutes les jeunettes, nous avions de 15 à
25 ans, allions avoir peur. Mais non, tout le monde est resté là, dans la
rue. Au jour suivant, ils rentrent sur les parkings et toutes les travailleuses nous nous jetons au sol pour montrer que, pour sortir la production,
ils devaient nous passer sur le corps, et que la maquila allait continuer
stoppée. Le leader du syndicat était avec le gouvernement, ils nous
envoient la police et ils arrêtent 20 compagnes et moi même qui étions
les leaders des sept maquilas. Déjà quand ils nous arrêtent, les gens
vont à la police et leur disent que soit ils nous libèrent soit qu’ils doivent
arrêter tout le monde. Après que les compagnes aient dormi une semaine
dans la rue, ils nous libèrent. Peu après, toutes les fabriques se sont
arrêtées et nous étions environ 10 mille à ce moment. Mais le gouverneur
a dit que nous déstabilisions parce que les entreprises nous garantissaient les emplois et a donné l’ordre de m’arrêter en envoyant les soldats. Ils sont entrés avec mitraillettes, ils ont frappé tout le monde. Un
des compagnons m’a fait monter dans une auto et ils m’ont emmené aux
Etats-Unis pour pouvoir me sauver. J’ai été deux ans sans pouvoir revenir au Mexique, le délit avait été d’essayer de créer un syndicat qui défendait la santé des travailleuses. Quand finalement je peux retourner au
Mexique, toutes travaillaient déjà 12 heures.
Martha ne veut pas dire son âge. Elle n’est pas mariée et n’a pas
d’enfant. Sa vie est sa lutte. « En plus de travailler, je voyage beaucoup à
différents endroits pour me connecter avec d’autres travailleurs, un jour
je suis ici, un autre là. Quand tu entres aux maquilas, tu t’oublies. J’ai des
frères, mais je ne les vois pas. Heureusement, j’ai mes compagnes.
Depuis ici, depuis Buenos Aires ou un autre lieu éloigné du nord mexi-
cain, les histoires qui s’écoutent sur les maquilas peuvent sembler à de
la science-fiction, mais ne le sont pas, c’est la réalité et c’est l’enfer.
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