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AccueilJournalNuméros parus en 2008N°68 - mai juin juillet 2008 > "On ne va pas se laisser faire sans riposter !"

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Interview d’antifascistes russes

"On ne va pas se laisser faire sans riposter !"


On assiste depuis plusieurs années à une escalade de la violence raciste en Russie, où les agressions à caractère racistes se soldent de plus en plus souvent par des morts. Un grand nombre de groupes et organisations néo-nazis agissent depuis de nombreuses années dans l’impunité et s’appuient sur une xénophobie ambiante, dont l’État s’est fait le chantre. Depuis quelques années cependant, des groupes antifascistes se sont construits dans les plus grandes villes, qui s’opposent avec succès aux agressions des néo-nazis. Kirill de Moscou et Roman de Bryansk (Russie occidentale) ont raconté au journal antifasciste radical allemand Antifa Infoblatt leur engagement antifasciste dans la capitale et dans les régions russes.


Quelle est la situation actuellement [fin 2007] à Moscou et à Bryansk ?

Kirill : Si on compare avec il y a deux ans, où c’était très dur, la situation est bien plus calme. À cette époque, il y avait d’innombrables agressions contre les gens qui avaient la peau foncée, surtout contre ceux qui étaient originaires du C a u case, mais aussi contre ceux qui appartenaient à la scène punk ou hardcore, avec des conséquences parfois fatales. Aujourd’hui, la situation est un peu plus calme. Les néo-nazis ont compris qu’on ne se laisserait pas faire sans riposter. Ils évitent d’afficher leurs symboles et de se montrer sur nos initiatives ou sur nos concerts.

Roman : À Bryansk, les choses n’en sont encore qu’à leurs débuts. Ce que Moscou a déjà traversé commence tout juste à se développer chez nous. Avant, tous les jeunes traînaient ensemble, et il n’y avait aucune embrouille entre eux. Puis les scènes se sont séparées : eux ne viennent plus à nos concerts, ils profèrent des menaces anonymes contre nous. Parfois, ils menacent des gens isolés après les concerts, mais ils ne vont pas au-delà. Beaucoup de choses semblent indiquer qu’il va y avoir bientôt une escalade de la violence, de leur côté comme du nôtre.

Pourriez-vous présenter rapidement vos structures ? Combien de gens sont liés au milieu antifa ? Quel genre d’actions faites-vous ?

Kirill : L’antifa actuelle s’est constituée pour assurer la protection des concerts punk et hardcore contre les attaques perpétrées par les néo-nazis. Alors qu’au départ, il s’agissait essentiellement de se protéger et d’assurer sa propre sécurité, la violence s’est finalement avérée être l’un des moyens susceptibles de s’attaquer aux racines des problèmes qu’on rencontrait. Quelle est la situation à Bryansk ? Roman : Là-bas, il y a la scène punk et hardcore, et la plupart des actions c’est nous qui les organisons. Par exemple, les anars de Food Not Bombs organisent des distributions de bouffe auxquelles beaucoup d’entre nous participent. Au cours de ces actions, il est arrivé que des néo-nazis nous prennent en photo et nous crient ensuite que c’était notre dernière action. Ils viennent du milieux des hooligans et du DPNI, le parti d’extrême droite qui s’appelle le « Mouvement contre l’Immigration Illégale ». À Bryansk, le DPNI a été interdit, mais quelques-uns de ses militants sont toujours actifs. Ils avaient aussi annoncé qu’ils voulaient faire exploser une bombe pendant le dernier concert hardcore. Nous avons fait tout ce qu’il fallait pour pouvoir aller au concert et en revenir sans dommages. À Moscou, par contre, les choses sont plus compliquées.

Kirill : À Moscou, ils ont commencé par des attaques, par derrière et en grand nombre. La situation actuelle n’a rien d’un jeu, c’est une guerre. Vous avez obtenu quelques victoires.

Dans quelle mesure ces victoires sont elles à rapprocher de la campagne médiatique qui a été menée contre les skinheads néo-nazis d’une part et des mesures prises par l’État contre les néonazis d’autre part ?

Kirill : Soyons clairs : nous n’avons aucun contact d’aucune sorte avec le pouvoir en place ou la milice. Bien sûr, l’État dispose de moyens efficaces, et parfois, ceux-ci sont employés. On peut cependant toujours s’interroger sur la sincérité qui préside à l’utilisation de ces moyens. Il existe la thèse, selon laquelle l’État est à l’origine de tout cela ou du moins en tolère les manifestations et se contente aujourd’hui de simuler la lutte contre les néo-nazis.

Roman : Ces derniers temps, de plus en plus de gens à Bryansk ont été approchés par les services secrets intérieurs, le FSB [qui a succédé au KGB, ndt]. À cause du dernier concert, j’ai reçu en tant qu’organisateur officiel la visite de deux messieurs en civil, qui ont dit travailler au département de lutte contre le crime organisé. Ils ont demandé si nous avions des problèmes avec des néo-nazis et m’ont donné un numéro de téléphone.

Quels contacts avez-vous avec des organisations officielles telles que les jeunesses poutiniennes, les Nashi [Les nôtres, ndt], qui se disent « antifascis - tes » mais qui, par leur dévouement à l’égard des autorités, se comportent comme les komsomols d’antan ?

Kirill : Des individus des Nashi m’ont déjà proposé de travailler avec eux, et ce à plusieurs reprises. Ils ont proposé que nous nous venions en aide mutuellement en arguant du fait qu’ils avaient quelque chose à nous offrir, à savoir le soutien du gouvernement. J’ai décliné leur offre en indiquant que je n’avais rien à gagner ni de leur organisation ni du gouvernement. Pour moi, les Nashi ne sont ni un mouvement antifasciste ni une organisation qui veut sérieusement se confronter aux problèmes.

Roman : En plus, les Nashi ne se mobilisent pas seulement contre les néo-nazis mais aussi contre tous les « outsiders de la société ». Et ils comptent là dedans la scène punk-hardcore. Leur idéal, ce sont des citoyens fidèles à l’État, conformistes et conformes à ce qu’exige la loi.

Vos actions contre les néo-nazis sont très risquées. Comment faites-vous avec la répression d’État ?

Kirill : Le risque qu’encourt chacunE d’être blessé au cours d’une attaque est omniprésent. On ne peut pas prévoir ce que l’autre en face va sortir de sa poche. Et il y a le risque de se faire attraper par la milice. Et alors c’est l’interrogatoire, quand on a été pris sur le fait. Mais les gens de chez nous sont réglos avec leurs amis et leurs idées. Nous ne parlons pas. Lorsqu’il y a de grands événements comme les élections, nos actions se font encore plus risquées parce que dans ces situations, les autorités réagissent plus vite et avec plus de vigueur. Alors, on peut en arriver à des procès.

Est-ce que ça s’est déjà produit par le passé ?

Kirill : Jusqu’à présent, il n’y a pas eu de peines de prison significatives contre des antifas. Le maximum, ça a été une peine de 5 jours de prison parce qu’on a pu prouver leur participation à une action. Pendant des périodes politiquement plus tranquilles, ces situations se règlent généralement financièrement. Les effets sont alors plutôt d’ordre moral. En particulier lorsque des gens assez jeunes se font attraper, les autorités essaient de les intimider de cette façon-là. Depuis, nous avons appris à nous interposer dans ce genre de situations, nous essayons de collecter de l’argent en organisant des concerts de solidarité ou des collectes parmi les militants, afin de venir rapidement en aide à ceux qui ont eu ce genre de problèmes.

Êtes-vous engagés dans d’autres domai - nes, à côté de la lutte antifasciste ? Vous avez évoqué Food Not Bombs... Kirill : Nous sommes un groupe assez hétéroclite. Dans les régions, nous avons affaire à des scènes locales généralement très jeunes. Là-bas, le besoin est grand d’avoir beaucoup de points communs les uns avec les autres. À Moscou en revanche, il existe des façons assez contrastées de voir les choses à l’intérieur même de la scène. Ces différences ne mènent cependant pas à des conflits car tout le monde comprend bien que chacunE peut avoir sa propre opinion. Au sein de la scène, il y a des gens issus de différentes contre-cultures. Étant donné que le plus grand problème de tous, ce sont les agressions des néo-nazis, tout le monde s’engage en même temps dans l’antifa.

Comment peut-on de l’étranger soutenir le mouvement antifasciste en Russie ? Kirill : En diffusant des informations au sujet de la situation en Russie, en organisant des concerts avec des groupes qui partagent et diffusent nos idées. Nous nous réjouissons aussi de recevoir du matériel d’information comme des journaux, des brochures ou des autocollants. Mais la plus grande aide que vous puissiez nous fournir, c’est la solidarité. Nous devrions aussi aller nous voir les uns les autres et nous rencontrer plus souvent par delà les frontières. Ce contre quoi nous luttons n’existe pas seulement en Russie, mais partout dans le monde.★

Traduction de Tina paru dans Antifa Infoblatt n° 78, début 2008


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