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AccueilJournalNuméros parus en 2008N°68 - mai juin juillet 2008 > Une fétide odeur de guerre

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Depuis les montagnes du Sud-Est mexicain...

Une fétide odeur de guerre


Une course contre la montre est engagée par le gouvernement pour étouffer le mouvement zapatiste avant que les structures autonomes ne fassent tâche d’huile auprès d’autres mouvements au Mexique.


Roberto Barrios. Un des cinq caracoles zapatistes1. Situé dans la zone nord du Chiapas, près de la zone touristique de Palenque et des cascades d’Agua Azul. L’année dernière encore, plus de deux heures étaient nécessaires pour aller de Palenque à Roberto Barrios, au moyen de bétaillères cheminant difficilement sur une piste défoncée par les pluies. Aujourd’hui un ruban de béton permet de rejoindre Roberto Barrios en moins d’une demi-heure. Une deux-voies sur laquelle circulent déjà de nombreux camions, terminée par un pont enjambant le fleuve bordant le caracol. On pourrait penser que cette route permet avant tout de désenclaver de nombreuses communautés isolées dans la forêt. Mais on est au Chiapas ou tout se décrypte à travers les différentes politiques de contre-insurrection mises en place par le gouvernement mexicain pour combattre le mouvement zapatiste. La construction de cette route n’est pas un cas isolé. Adoptée par la chambre des députés mexicains, le vaste plan de développement routier, quand on observe les cartes, recouvre tout particulièrement toute la zone de la forêt Lacandone et plus généralement toutes les zones ou l’influence zapatiste est la plus forte. L’objectif est double : faciliter l’avancée de l’armée en cas d’offensive militaire et permettre le développement de projets économiques. Ainsi près du caracol de Roberto Barrios se trouvent des cascades superbes et sauvages. Depuis de nombreuses années il y a le projet d’y construire un hôtel et un golf. Ce type de projet a bien sûr, comme toujours, le but d’engranger de substantiels bénéfices, mais il a aussi celui de diviser les communautés, les zapatistes s’y opposant et ceux affiliés au gouvernement les soutenant. Cela fait partie des différentes tactiques mises en place par le gouvernement mexicain et intensifiées depuis l’élection l’année dernière de Felipe Calderon à la présidence mexicaine pour attaquer les communautés zapatistes.

Si le volet militaire et paramilitaire reste très important (79 camps de l’armée recensés dans la zone indigène du Chiapas, 1/3 de l’armée mexicaine), la partie de la contre-insurrection dite « civile » est un des atouts essentiels sur lequel s’appuie le gouvernement, même (et surtout) si elle est moins spectaculaire. Elle se décline selon différentes modalités. Une des raisons du déclenchement du soulèvement zapatiste avait été la modification de la constitution remettant en cause le statut des « ejidos ». Le statut ejidal, hérité de la révolution mexicaine de 1910, consiste en une propriété collective de la terre. Chaque famille travaille et exploite de manière indépendante sa terre mais celle-ci ne peut être vendue individuellement. C’était un moyen de protéger les paysans contre la spéculation sur le prix de la terre et la concentration de celle-ci dans les mains de grands propriétaires terriens. Avec la modification de la constitution, les « ejidos » peuvent être démantelés, chacun vendant son lopin de terre de son côté. Cela est utilisé aujourd’hui à travers le programme fédéral « Procede » pour chasser les communautés zapatistes des terres récupérées lors du soulèvement de 1994. Dans le cadre de ce programme, le gouvernement distribue des titres de propriété « ejidal » sur ces terres à des gens appartenant à des groupes paramilitaires qui peuvent donc après la vendre. Les zapatistes deviennent alors des occupants illégaux dont les nouveaux « propriétaires » réclament l’expulsion devant la justice  ; ils les menacent et les agressent quotidiennement pour les obliger à partir. Cela concerne plusieurs dizaines de milliers d’hectares et des dizaines de communautés zapatistes.

L’autre moyen utilisé par le gouvernement est la création de réserves naturelles, notamment dans la zone de haut intérêt stratégique de la forêt lacandone. Une fois ces réserves créées, les terres passent sous contrôle fédéral et les communautés sont menacées de déplacement. Alors qu’ils s’opposent aux projets forestiers, miniers et touristiques, les zapatistes sont présentés comme des irresponsables détruisant le bien commun de l’Humanité que sont les forêts chiapanèques. L’offensive actuelle (qu’elle soit donc paramilitaire avec une recrudescence très nette des agressions, ou «  civile » avec une accélération du déplacement des populations) est, aux dires de nombreux observateurs, « sans précédent depuis 1995 ». Cette féroce répression menée contre les communautés zapatistes et leurs autorités autonomes laisse augurer d’un avenir sombre.

Dans une de ses dernières déclarations, le 16 décembre 2007, le sous-commandant Marcos déclarait : « Les signes annonciateurs de la guerre sont clairs. La guerre comme la peur a son odeur. Et aujourd’hui, on commence à respirer son odeur fétide sur nos ter - res ». Une course contre la montre est engagée par le gouvernement pour étouffer le mouvement zapatiste avant que les structures autonomes (systèmes de santé, d’éducation, de production...) mises en place depuis 1994, et qui commencent à donner pleinement leurs fruits, ne rendent trop difficile l’éradication des zapatistes et ne fassent tâche d’huile auprès d’autres mouvements au Mexique.

Bastien et FX

* un caracol est un lieu géographique et symbolique de coordination des municipes autonomes zapatistes, cf. No Pasaran septembre 2007.


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