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AccueilJournalNuméros parus en 2008N°68 - mai juin juillet 2008 > Le rouge, le noir et les couleurs de l’arc-en-ciel

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JOURNÉE DU 8 MARS À STRASBOURG

Le rouge, le noir et les couleurs de l’arc-en-ciel


Cette année à Strasbourg, le groupe No Pasaran a préparé et célébré l’ironique Journée Mondiale de Lutte contre les Violences Faites aux Femmes avec le festival Joyzone (un festival Gay-Les-Bi- Trans-Intersexe ET Féministe strasbourgeois). Le projet de départ s’articulait autour d’une lecture de Crudités pour le 8 mars, alors que justement, le bouquin est à paraître l’année prochaine aux éditions No Pasaran.


En juin 2007, le collectif Joyzone s’était créé autour d’une version OFF de la Gaypride, plus intimiste, plus trans-pédés-gouines en colère, franchement anticapitaliste et résolument antipatriarcale. On y avait causé d’Audre Lord (1), du travail du sexe, de BDSM (2), de transidentité ou du défi posé par les inters exes (3) à la division binaire homme-femme... On avait organisé un atelier safe-sex en non-mixité, histoire de voir comment on nettoie ses compagnons de tiroir, et un mémorable atelier dragkings (si j’étais un homme, quel genre d’homme je serais ? plutôt YMCA ou plutôt redskin, plutôt Marlon Brando ou plutôt Super- Mario ?) C’était aussi ma première expo de photos : « L’HumaNUté ». Une semaine avant Noël, la deuxième édition de notre festival s’était concentrée sur la critique de la famille : trans-parentalité, viol en famille et loi du silence, j’ai fait une expo plus sérieuse, et on s’est délectéEs devant Ma vie en rose (4). La troisième édition se voulait plus ambitieuse encore, avec une semaine complète à la Friche, haut lieu de la Culture strasbourgeoise, subventionné par le ministère du même nom, qui héberge une vingtaine de compagnies de théâtre, dont le projet pour l’année prochaine est de travailler sur les questions de genre. Parmi ces compagnies, celle qui nous a invitéEs pour l’occasion, c’est Calamity Jane, dirigée par Sonya Oster, une cinquantenaire explosive, poussée comme de la mauvaise herbe dans le quartier de Strasbourg raconté par Tony Gatlif (5), mûrie avec le MLF et aujourd’hui une des grandes dames du théâtre strasbourgeois. Faire travailler main dans la main des artistes et des militantEs, mais quelle riche idée, me direz-vous ? Hélàs ! À quel travail de titan ne nous étions-nous pas attelés !? Une fois les subventions promises disparues (elles ont tout de même payé quelques photocopies et le lieu, immense : deux bonnes centaines de mètres carrés rien que pour nous), il a fallu tout boucler en 3 semaines et sans un kopeck, dans un flou organisationnel qu’on peut à juste titre qualifier « d’artistique  ». On s’accroche à nos téléphones comme des traders fous, on organise l’arivée des camarades parisienNEs, on transforme nos apparts en auberges militantes, on commande des bouquins de Lola à la librairie du coin, on prépare nos interventions, un sympathisant prête sa sono et ses compétences pour la faire marcher, MAD pond un tract et une affiche de dernière minute, il y a la table de presse à tenir pendant une semaine, un vrai marathon.

J1 - lundi 3 mars Puck est venue de Paris, elle prend une chaise et nous raconte l’histoire de la commission antipatriarcale de No Pasaran. Comment une bande d’antifas un peu bourrus et très virils qui tiraient sur leurs bretelles et triturait nerveusement leurs gros ceinturons en empêchant les commandos anti-IVG de prier en rond, est devenue le réseau le plus radicalement antisexiste de l’hexagone .

Puck a interviewé les militantes les plus aguerries du réseau, celles qui étaient là aux premières heures, et là, miracle ! on découvre que ça s’est pas fait tout seul ! On apprend que le réseau a traversé avec succès toutes (enfin presque) les épreuves de la déconstruction du déterminisme de genre : débats interminables pour savoir si la défense radicale du droit à l’avortement relevait de l’action antifasciste ou de l’action antisexiste, débats sur la nonmixité, grève des tâches ménagères au camping du réseau, débats sur les théories Queer, débats sur la prostitution, etc. Après quoi, Puck change de casquette. elle est venue aussi au nom du collectif Genre. Pour les travaux pratiques, elle a sous le bras leur excellent film-outil6. Avant de lancer la projection, elle nous distribue un questionnaire recto-verso qui suscite immédiatement des sourires et des froncements de sourcils dans l’assemblée. CertainEs reconnaissent immédiatement les questions, d’autres s’y confrontent pour la première fois, certainEs ont bien du mal à répondre... « Êtes-vous un homme ou une femme ?... qu’est-ce qui vous fait dire ça ? ». Le film reçoit, comme chaque fois qu’on le présente, un accueil enthousiaste. Quelle justesse ! Quelle simplicité ! Des Canadiens voudraient le diffuser jusqu’à Montréal... alors regardez-le, bon sang, et faites tourner  !

J2 - mardi 4 mars Grâce à une scénographie magistrale offerte par Calamity Jane et grâce aussi au gentil sympathisant et à sa sono, ma grande copine Cassandre fait son premier concert. C’est gothique et pop à la fois, quelque chose comme Mourir en novembre (7) version transgenre.

On est scotchéEs . Faut dire aussi que Cassandre, elle affiche à la fois la belle gueule de Cléopatre, le costume de La mariée était en noir de Truffaut, la voix de la Callas et le charisme de Tina Turner à ses débuts, alors ça déménage ! ( j’en fais des tonnes, mais d’abord c’est ma copine, et puis à la fin du concert, elle a dit « Merci au groupe No Pasaran », on avait la larme à l’oeil, alors hein ?!) Elle vient d’enregistrer sa démo, avis aux producteurs. Déjà que c’est pas facile de passer après Cassandre, mais en plus, MAD et moi, on se plante un peu sur la suite. On a prévu un exposé sur l’histoire des luttes antisexistes, mais alors vraiment du début, et en gros. Genre, le B.A.-ba de l’antipatriarcat.

En même temps, on pensait grandpublic, comédienNEs... C’est raté, on se retrouve devant un parterre de vingt militantes toutes plus calées que nous deux réunis. Et là c’est le drame, j’ai la nette impression d’être en train de faire une démonstration avec un flan en sachet à la convention annuelle des meilleurs artisans pâtissiers de France. Du coup, le débat qui suit ressemble à un interrogatoire de la DGSE : lorsque nous citons Monique Wittig comme inspiratrice du Queer, faisons-nous exprès d’invisibiliser les lesbiennes radicales et la récupération de la pensée de Wittig par le Queer ? pourquoi n’avoir pas parlé des essentialistes  ? des masculinistes ? pourquoi n’avoir cité que des groupes militants parisiens et blancs ? pourquoi pas un mot sur Alexandra David Néel ? Bref, nous en avons beaucoup appris à l’occasion de cet exposé. C’est en forgeant qu’on devient forgeronNEs.

J3 - mercredi 5 mars Entre la tournée promotionnelle de son second roman et le Salon du Livre à Bruxelles, Lola Lafon nous a fait l’honneur d’une visite avec un de ses musiciens, deux guitares et un ordinateur portable. Ça n’a l’air de rien, mais quand la sublimissime Lola prend le micro, silence médusé... D’une voix claire comme de l’eau de roche, elle lit, elle raconte, elle s’interrompt à la guitare, elle chante, en italien, elle lit, elle chante en roumain, elle raconte un monde de demi-morts où des survivantes s’aiment d’amour libre, elle prend l’autre livre et le public passe avec elle du rire au larmes, de l’autodérision à la prise de conscience. Quand Lola repose le micro, la salle est debout.

J4 - jeudi 6 mars Je peux rien en dire, j’étais pas là, il fallait bien que je rattrape mes heures de sommeil à un moment.

J5- vendredi 7 mars Impossible de résumer La Putain de Compile, il faut le voir (8). En vrac : plein de sextoys, des chaussures high-tech adaptées au trottoir, des manifs et des rencontres de travailleur-euses du sexe à Paris, à Montréal, et surtout à Calcutta, des clips de prévention drôles et décalés, un garçon qui raconte que le tapin lui a redonné confiance en lui, la solidarité des putes militantes, et je vous dit qu’une chose, c’est intelligent et subversif.

J6 - samedi 8 mars C’est le grand soir, et c’est l’heure. La salle est pleine comme un samedi, en plus il y en a plein qui sont venus avec des appareils photos. Je mouille timidement ma culotte dans les coulisses en me disant qu’on a presque pas répété. Les quatre premiers comédiens sont déjà en place, la musique commence et d’un coup ils se mettent à hurler et à ululer une symphonie d’insultes. Le régisseur projette leurs silhouettes sur un écran derrière eux. Ils se relaient pour lire mes histoires, et j’entends le public qui ricane et qui grince des dents. Et puis c’est mon tour, je m’accroche au pupitre et je lis mon manifeste comme si je causais à la Tribune, je détale hors de scène, les autres reprennent le flambeau, et enfin arrive la slameuse. Elle a du retard, mais elle assure comme une bête, c’est l’apothéose, on a réussi ! En moins d’une heure, on a démoli le mythe du prince charmant, celui de la jeune fille naïve, celui de la femme parfaite, celui de la libération de la femme par le travail, et on a proposé une utopie à la place. À la sortie, tout le monde veut le bouquin tout de suite. Il faut alors leur expliquer que c’était juste la bande-annonce, et que le bouquin sort l’année prochaine, inch’allah. Pour finir, on peut dire que c’était un beau festival, qu’on a fait participer et se rencontrer plein de gens intéressants, et que sur la table de presse de Joyzone, on a trouvé plein de petites brochures géniales que vous verrez bientôt sur les nôtres. Alors, prenez des contacts, organisezvous, et créez vous aussi plein de petits festivals antisexistes dans vos villes et nos campagnes !★


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