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Regard sur le film de Laurent Cantet

Entre les Murs



L es films (et les livres) sur l’école sont rarement des réussites. Que les auteurEs soient professionnelLEs de l’éducation ou non, chacunE y va généralement de sa petite démonstration (ou dénonciation), sans réussir à éviter la caricature (par rancoeur ou par angélisme), la nostalgie déplacée (après tout, on est touTEs d’ancienNEs élèves), un discours convenu et mille fois ressassé où s’opposent systématiquement monde des profs et monde des élèves (les parents étant généralement absents). Si l’oeuvre est une fiction, on a le choix entre la description de situations extrêmes (rarissimes dans la réalité) et les comédies de potache ; quant aux documentaires, ils pêchent le plus souvent par une méconnaissance totale du monde éducatif et/ou l’expression criante de préjugés amenant à une reconstruction de la réalité (cf. Être et avoir). Alors quoi ? Le film de Laurent Cantet sort-il du lot ?

Tout d’abord, le réalisateur est parvenu à une alchimie quasi-parfaite entre le film de fiction et le documentaire, mettant ainsi à son service le pouvoir évocateur de l’un et de l’autre. Au documentaire, il emprunte non seulement le réalisme formel (image DV, caméra à l’épaule, acteurs non professionnels) mais aussi une démarche de contact direct avec la matière du film : c’est grâce à la mise en place d’ateliers ouverts à des élèves de 4e et de 3e dans un collège parisien du XXe arrondissement que Cantet a trouvé ses acteurs et actrices, et la classe du film est issue de la cinquantaine d’élèves qui ont fréquenté ces ateliers, et non d’un casting traditionnel qui aurait fait la part belle aux inévitables caricatures. Ce contact direct et prolongé, ce travail mené en commun ont enrichi le scénario, ont créé des situations nouvelles (le réalisateur a laissé les élèves improviser sur des propositions de situation), de nouveaux personnages... Personnages, oui : car c’est bien d’une oeuvre de fiction qu’il s’agit. Nul doute que les spectateurs et spectatrices non averties se diront : « Facile, les élèves jouent leur propres rôles, et la caméra est juste là pour saisir ce qu’ils font. » Et c’est vrai que l’apparent naturel avec lequel les jeunes actrices et acteurs se posent devant la caméra laissent penser qu’ils/elles se contentent d’être eux-mêmes. Or il n’en est rien : l’un des personnages principaux, Souleymane, un « dur », est interprété par un garçon « très posé et très doux », dixit Cantet.

De la même façon, le film suit une trame narrative qui, si elle est subtile et prend son temps pour s’imposer, est de plus en plus présente au fur et à mesure que le film avance (contrairement au livre de François Bégaudeau), entraîne le spectateur et la spectatrice qui se retrouvent pris par une histoire à la fois simple et poignante, réduisant peu à peu la distance documentaire avec les personnages, et les invitant à assister à des scènes « interdites » dans la réalité (le conseil de classe, le conseil de discipline...), qui forment la face cachée du système éducatif.

La vraisemblance de ce que l’on voit à l’écran associée aux artifices de la fiction (la caméra étant présente à des endroits et des moments impossibles à saisir dans la réalité) donne au film une force qui ne peut pas laisser indifférent, et fait d’Entre les murs un vrai film de cinéma. Mais cette dimension artistique risque d’être éclipsée par le sujet du film, et certains de nos « intellectuels » (Finkielkraut, pour ne pas le citer), qui n’ont pas vu le film, l’ont déjà jugé. La palme d’or cannoise, si elle donne au film une visibilité qu’il n’aurait certainement jamais eu et récompense à juste titre touTEs celles et ceux qui ont travaillé sur le projet, complique encore la situation, et on se demande s’il va être possible de se faire une idée du film, tant les discours préformatés et les tentatives de récupération vont certainement en brouiller la réception. J’ai vu le film à une projection presse en juin avec des profs aux opinions très différentes  : tout le monde a apprécié le film, mais pour des raisons parfois opposées ! CertainEs voyaient de la caricature là où d’autres retrouvaient des situations vécues, les unEs voyaient de l’espoir tandis que d’autres trouvaient le tableau trop noir... Ces divergences d’appréciation démontrent finalement la grande justesse de ton et l’intelligence du regard du cinéaste sur l’école. Sans dogmatisme, sans préjugés, mais aussi sans concession, le film donne l’occasion de se plonger au coeur d’une réalité qui nous concerne touTEs, que tout le monde croit si bien connaître et connaît finalement si mal, tout en offrant au cinéphile un grand moment de cinéma. ■ Esbé

Voir aussi, dans le même numéro de Septembre-Octobre, l’entretien avec le réalisateur...


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