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Evolution du paysage semencier et propositions stratégiques


Deux événements récents sont révélateurs de l’accélération du bouleversement du paysage semencier mondial et français d’une part et de l’agenda qui en découle d’autre part : les conclusions du Grenelle de l’environnement dans le cadre de la remise à plat des réglementations sur les semences européennes (« Butter régulation » et sommet européen du gène) et la réunion du comité directeur du TIRPAA1 à Rome fin octobre.


Nicolas Sarkozy a surpris tout le monde en demandant lors des conclusions du Grenelle la suspension des OGM pesticides. Cette déclaration vient cependant confirmer plusieurs évolutions récentes des positions :
- de la Commission européenne, dont la nouvelle contestation du moratoire autrichien ne vise que la commercialisation et non la culture des OGM BtMON 810 et T25 ;
- du Commissaire européen à l’Environnement, Dimas, proposant à la Commission de s’opposer à la culture et non à la commercialisation des OGM Bt11 et 1507 en s’appuyant sur des études scientifiques qui remettent en cause toute autorisation possible de la culture d’OGM Bt (impact sur l’environnement et stabilité de l’avantage agronomique) ou résistant à un herbicide ;
- de l’Italie, de l’Autriche et de l’Allemagne, appuyées par le ministre français de l’Agriculture, qui exigent un moratoire européen jusqu’à une révision complète des méthodes d’évaluation de l’Autorité Européenne de Sécurité des Aliments (AESA) ;
- de l’INRA, qui se désengage des travaux de développement des OGM et concentre ses nouveaux efforts concernant les plantes consommées en Europe sur la sélection assistée par marqueur, permettant le développement industriel des plantes mutées, tout comme Vilmorin / Limagrain sur le blé et Bayer sur les potagères ;
- de Pioneer déclarant au TIRPAA vouloir se démarquer de la position « agressive » de Monsanto et défendre sa place sur les marchés par la « qualité » de ses semences plutôt qu’en poursuivant les paysans pour récupérer les royalties sur les OGM qu’ils reproduisent. À cela s’ajoute l’évolution :
- des derniers projets européens de recherche sur les biotechnologies, orientés sur de nouveaux verrous technologiques (stérilité transgénique réversible, gènes suicides, plantes kamikazes...) ;
- de la loi française considérant définitivement depuis le 15 octobre la semence de ferme comme une contrefaçon... (...)

LES « OGM CLANDESTINS »

Le brevet sur le gène a le gros avantage pour les semenciers d’assurer la traçabilité de leur propriété intellectuelle jusque dans les champs et les filières où ils peuvent venir exiger leurs royalties, mais cette traçabilité s’affiche aussi dans l’assiette du consommateur européen qui n’en veut pas  : ces OGM deviennent ainsi en Europe commercialement contre-productifs dès qu’ils se retrouvent étiquetés dans un produit alimentaire vendu au consommateur final. Ils restent cependant encore utilisables pour l’alimentation animale tant que le consommateur de produits animaux n’est pas informé de leur utilisation, ou pour les cultures industrielles (amidon, agrocarburants...), à condition qu’elles ne risquent pas de contaminer les cultures non OGM. (...)

Les firmes n’ont pas pour autant abandonné leur volonté de confiscation de la semence : elles ont compris de longue date que le COV associé aux nouvelles biotech pouvait être pour cela encore plus efficace que le brevet. Dès 1991, l’UPOV2 faisait des « variétés essentiellement dérivées  » et transformait la semence de ferme en contrefaçons illégales. Dès les premières directives européennes sur les OGM (1990 puis 2001), les nouvelles biotech ( mutagenèse, multiplication et fusion cellulaire...) ont été qualifiées de « méthodes de sélection traditionnelles », dont le produit n’est pas qualifié d’OGM et ne fait donc l’objet d’aucune obligation d’évaluation, d’autorisation spécifique pour la commercialisation ou la culture, ou d’information du consommateur. Quant aux nanotechnologies, elles n’ont à ce jour aucune existence juridique, ce qui permet de mettre les produits qui en sont issus sur le marché dans la plus totale confidentialité.

LE COV CONTRE LE BREVET

Ces techniques de modification artificielle du génome, auparavant très aléatoires, sont aujourd’hui devenues industrialisables grâce aux progrès de la « sélection assistée par marqueur ». C’est pourquoi les semenciers se démènent pour achever un cadre juridique protégeant leur développement, aussi efficace que le brevet mais sans ses inconvénients : le cumul du COV rénové sur la variété et du brevet sur le gène. Le brevet rend obligatoire l’information du public sur la méthode de sélection utilisée, c’est pourquoi il ne concerne en Europe que « le gène et sa fonction » et non la variété comme le brevet américain  : il permet ainsi à l’obtenteur de se protéger de ceux de ses concurrents qui voudraient reproduire sa découverte, sans aucune obligation d’information du consommateur de la variété manipulée. Celle-ci est alors protégée par un COV qui n’exige pas cette information.

La protection du COV se révèle cependant beaucoup moins efficace que la traçabilité du transgène dans le champ et les filières pour récupérer les royalties. Dès le printemps 2006, le lobby semencier s’est empressé de faire ratifier par le Parlement français les accords UPOV de 1991 faisant de la semence de ferme une contrefaçon. Malgré cela, il est extrêmement difficile pour un semencier de prouver que c’est sa variété, telle que définie dans le dépôt de COV par ses caractéri s t i q u es physiologiques et agronomiques, et non celle de son concurrent aux caractéristiques souvent assez proches, qui a été reproduite dans le champ du paysan auprès duquel «  il doit récupérer des royalties s’il ne veut pas être victime de la concurrence déloyale des brevets sur les transgènes ». Les semenciers anglais, en bon libéraux, ont résolu ce problème grâce à un accord privé avec les trieurs à façon qui leur reversent ces royalties après les avoir inclues dans la facture de prestation payée par les agriculteurs. Mais cet accord reste inefficace lorsque l’agriculteur ne fait pas appel à une entreprise de triage. Fidèles aux traditions interventionnistes de leur pays, les semenciers français se sont appuyés sur l’Étatpour imposer par un accord interprofessionnel le prélèvement de ces royalties auprès de tous les agriculteurs livrant leur récolte de blé tendre à un organisme stockeur agréé et ne pouvant pas prouver qu’ils ont acheté des semences certifiées. Au printemps 2007, ils ont fait voter au Sénat une loi destinée à permettre l’extension de ces accords à toutes les espèces, mais ils n’ont pas réussi à l’imposer au Parlement. En plein Grenelle de l’environnement, ils ont cependant fait voter une loi supprimant toute possibilité d’exonérer les semences de ferme des poursuites concernant les contrefaçons. C’est ainsi que toutes les semences de ferme sont désormais susceptibles de poursuites en France, sauf celles qui s’acquittent de la Contribution Volontaire Obligatoire (CVO), ce qui devrait, selon les semenciers, inciter les agriculteurs à réclamer eux-mêmes le vote de la loi généralisant à toutes les espèces les accords interprofessionnels instaurant des CVO. (...)

Dans le même temps, comme pour parer aux faiblesses de la CVO, de nombreux semenciers ou distributeurs développent des pratiques d’intégration qui ne laissent plus aucune liberté à l’agriculteur et n’offrent aucune information au consommateur autre que celle relevant de la publicité commerciale :
- adhésion obligatoire à un club pour pouvoir utiliser une variété, entraînant une obligation d’écoulement de la récolte auprès des distributeurs désignés ;
- variétés réservées ou industrielles, non inscrites au catalogue, la semence et la récolte appartenant au semencier de manière à ce que les transactions commerciales réglementées (semences et récolte) soient remplacées par une prestation de service non réglementée facturée au semencier par l’agriculteur ;
- contrats d’achat de récolte, ou aides publiques, conditionnés à la sécurisation de la semence par l’achat de semences certifiées.(...) LE SOMMET EUROPÉEN DU GÈNE Au milieu des paillettes de sa célébration médiatique, deux mesures recommandées par le Grenelle de l’environnement sont passées inaperçues : profiter de la présidence française de l’Europe (dès juillet 2008) pour défendre au niveau européen le COV rénové (c’est-à-dire accompagné de la généralisation de la CVO) contre le brevet ainsi que le système français d’évaluation et de certification, dont l’extension d’une VAT3 (basée comme les pesticides sur quatre ou cinq grandes régions européennes) à l’ensemble des espèces. Les mesures concernant les OGM se sont quant à elles conclues avec la perspective d’un sommet européen du gène, destiné lui aussi à défendre le COV contre le brevet sur le vivant.

Dans le même temps, l’UE a mis en place début 2007 un groupe de travail ayant pour mission de remettre à plat, de simplifier et d’alléger les coûts de l’ensemble des réglementations semences et catalogue (comme cela a été fait récemment pour la bio). Suite à une « large » consultation en janvier 2008, les premières conclusions seront présentées en juillet et les premières propositions de la commission doivent sortir en octobre, sous présidence française. L’ESA (organisation européenne des semenciers présidée par le Français Deprez) est déjà en ordre de bataille pour reprendre l’offensive contre les semences de ferme et remplacer les lourdeurs administratives de l’actuelle certification des semences par une « autocertification  » agréée par les pouvoirs publics, validant les systèmes de contrôle internes déjà en place dans les seules grandes firmes, car inutiles et hors de portée des artisans semenciers.

Le Traité International sur les Ressources Phytogénétiques pour l’Agriculture et l’Alimentation (TIRPAA), ratifié par 116 pays dont l’UE mais pas les USA, et opérationnel depuis seulement 2004, intègre dans la gouvernance mondiale de la conservation de la biodiversité deux nouvelles notions amenées par la CDB4 (Rio 1991) : la souveraineté des états sur leurs ressources génétiques et le partage des avantages issus de leur utilisation. Il s’est donné trois objectifs principaux :
- mettre en place un système multilatéral d’accès aux ressources gérées par les pays signataires, respectant (ou contournant ?) le libre consentement et le partage des avantages issus de leur utilisation, et contribuant au financement des deux objectifs suivants ;
- assurer la capacité des pays en développement à assumer leur souveraineté sur leurs res s o u r c es génétiques : financement des collections « ex situ » et [du] recensement des res s o u r c es conserv é es « in situ » ;
- appuyer la conservation et l’amélioration « in situ », permettre aux paysans d’assumer leur rôle dans cette conservation, notamment par la reconnaissance de leurs droits à les ressemer, en échanger et en vendre les semences. (...) Ces événements imposent deux constats aux organisations paysannes :
- Les droits collectifs des paysans de conserver et renouveler la biodiversité cultivée dans les champs en produisant pour le marché, et donc de protéger, ressemer, échanger et vendre leurs semences, sont au coeur non seulement des luttes internationales autour des ressources phytogénétiques, mais aussi du refus en Europe de la généralisation de la CVO et des droits privés de propriété intellectuelle sur la semence, ainsi que de la limitation du droit à cultiver des ressources phytogénétiques à quelques variétés stabilisées et homogénéisées pour être enregistrées sur un catalogue de conservation. La position française est en cela contraire au TIRPAA qu’elle a pourtant ratifié puisque, au lieu des respecter les droits des paysans en conditionnant leur application au respect de sa réglementation, elle maintient une réglementation qui les nie totalement.
- L’année 2008 sera déterminante autant au niveau international en préparation de la p r o chaine réunion du TIRPAA qu’en Europe dans l’agenda de la réforme des lois semencières et d’un éventuel Sommet du Gène. ■

Guy Kastler, Réseau Semences paysannes


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