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AccueilJournalNuméros parus en 2008N°71 Novembre-Décembre 2008 > AUTOUR DE LA QUESTION DU GENOCIDE JUIF - RETOUR SUR DEUX OUVRAGES

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AUTOUR DE LA QUESTION DU GENOCIDE JUIF - RETOUR SUR DEUX OUVRAGES



Histoire du négationnisme en France Valérie Igounet - éditions du Seuil - 2000 - 692 pages

Vu que je me suis tapé ce gros pavé cet été, je vous en fait un rapide compterendu, pour transmettre quelques éléments d’histoire et de réflexion sur le négationnisme en France. Disons-le tout de suite, le livre d’Igounet n’est indispensable que pour ceulles qui voudraient acquérir une connaissance précise de l’histoire du négationnisme français : assez peu conceptualisé, il est principalement un ouvrage de référence, fondé sur une lecture exhaustive des textes négationnistes français, et sur de nombreux entretiens avec les gusses en question. Il ne faut donc pas s’attendre à une histoire politique et idéologique du négationnisme brossée à grands traits, mais plutôt à la présentation précise de parcours individuels. Si le propos est organisé de façon classiquement chronologique, Igounet propose néanmoins une périodisation, par la distinction de quatre âges du négationnisme :

- un premier âge marqué par l’investissement de personnes ayant directement connu la seconde guerre mondiale, notamment le militant d’extrême droite Maurice Bardèche (beaufrère de Brasillach, premier propagateur du négationnisme, Bardèche est certainement l’une des personnes qui a le plus influencé intellectuellement l’extrême droite aprèsguerre), et le militant anarchiste Paul Rassinier.

La section consacrée à ce dernier est passionnante, car il est rarement fait mention, dans les milieux libertaires, de l’importance de Rassinier dans la Fédération Anarchiste, qui a eu beaucoup d’influence sur l’appareil militant et qui n’a été mis à l’écart que très tardivement.

- le second âge du négationnisme a un contenu plus incertain : c’est une période de bouillonnement et de rencontres, principalement marqué par l’adossement du négationnisme à la critique du sionisme. C’est en effet avec la guerre des Six Jours de 1967 que l’extrême droite antisémite connaît une nouvelle vigueur idéologique, par l’adoption d’un discours pro-palestinien et la dénonciation de la puissance d’Israël, censée reposée sur le « mythe » des chambres à gaz. François Duprat, disciple de Bardèche et inspirateur du renouveau nationaliste-révolutionnaire des années 1970, est le plus important promoteur de ce tournant idéologique qui fait fonctionner ensemble anti-impérialisme, antisémitisme et négationnisme. Pendant ce temps, des militants d’ultra-gauche, regroupés autour de la librairie la Vieille Taupe de Pierre Guillaume, inspirés par le situationnisme et Bordiga, construisent une interprétation hétérodoxe de la Solution Finale : il s’agirait non pas d’une politique antisémite de la part de l’État nazi, mais d’un crime du capitalisme parmi d’autres, instrumentalisé après-guerre par les démocraties bourgeoises pour justifier leurs propres crimes et pour nourrir l’idéologie antifasciste, qui empêche la reconstruction d’une théorie révolutionnaire.

- Un personnage marque le troisième âge du négationnisme : le prof de littérature Robert Faurisson. Bien qu’il reprenne en grande partie les argumentaires élaborées dans les périodes précédentes, notamment le lien fait entre le « mensonge » et la création d’Israël, la négation de la politique exterminationniste de l’État nazi, et la dénonciation des médias « manipulés  », il s’attache à donner un vernis scientifique à ses allégations, et se saisit de toutes les occasions (colloques, droits de réponses dans les journaux etc.) pour faire sa propagande. Il est aidé par le fait qu’il est un des premiers Français à fouiller les archives d’Auschwitz, ainsi que par la grande inexactitude des reconstructions des chambres à gaz par les autorités polonaises, ce qui lui permet d’étayer sa « thèse » d’une gigantesque manipulation communiste et juive. C’est en 1978 que « l’affaire Faurisson » éclate ; il agrège rapidement autour de lui des soutiens venus de l’ultra-gauche à l’appel de Pierre Guillaume, qui approfondissent le délire selon lequel les chambres à gaz seraient le mensonge sur lequel le système capitaliste repose, et des soutiens d’extrême droite, notamment au sein des différentes composantes du Front National (nostalgiques de Vichy, nationalistes-européanistes, catholiques traditionalistes...), mais aussi en dehors du Front (néo-nazis, organisations pétainistes...), chaque courant instrumentalisant le négationnisme pour des buts propres (antisémitisme, anticommunisme, propagande anti-IVG...).

- Le quatrième âge, aux contours plus flous, est marqué par l’ensemble des réactions au passage du négationnisme sur le devant de la scène politique : l’internationalisation, l’apparition d’autres affaires (la thèse de Roques), des ruptures entre suivants de Faurisson (la figure de Pressac, négationniste assistant de Faurisson, convaincu de l’existence des chambres à gaz par son travail sur archives, est très intéressante et son ambiguïté est bien rendue), la récupération par le FN, la fixation du négationnisme d’ultra- gauche, l’apparition d’un post-révisionnisme ouvertement antisémite etc. Cette exploration dessine un milieu négationniste français contemporain divisé, mais néanmoins animé par une solidarité réelle, et où de nombreuses passerelles entre différents courants existent et sont régulièrement entretenues. Des personnes, Faurisson surtout, des lieux comme le Front National, apparaissent comme des passeurs privilégiés de cette idéologie aujourd’hui plutôt souterraine.

Au final, cette histoire du négationnisme montre bien les trajectoires de radicalisation, les modalités de récupération, la constitution de réseaux réussissant à propager l’idée négationniste jusque dans des milieux inattendus.

Mais, comme le reconnaît l’auteure, si en rester à une scène française peut avoir un sens jusque dans les années 1980, cette optique a désormais peu de sens : les nouveaux lieux privilégiés de maintien des réseaux négas sont hors d’Europe, notamment en Iran, ou carrément transnationaux, avec le rôle fondamental d’Internet pour l’échange et la propagation des documents négas. Il reste donc pas mal de travail à faire pour réussir à comprendre les formes contemporaines du négationnisme, et de luttes à mener pour limiter l’influence de ce qui reste avant tout un outil de propagande pour l’extrême droite.

Sam

La violence nazie : une généalogie européenne

Enzo Traverso - éditions La Fabrique - 2002

A l’opposé de toutes les approches qui font du nazisme et de l’extermination des Juifs d’Europe une expérience hors-histoire et hors-politique, inexplicable du fait de son horreur, Enzo Traverso montre dans cet essai « l’ancrage profond du nazisme [...] dans l’Europe du capitalisme industriel, du colonialisme, de l’essor des sciences et des techniques modernes, dans l’Europe de l’eugénisme, du darwinisme social. » (p.23) Sans essayer de déterminer précisément les causes dernières du nazisme, il en montre les conditions de possibilités culturelles, économiques, sociales. Sa thèse est que si l’on trouve effectivement réunis dans l’Allemagne des années trente un ensemble de traits récupérés et mis en forme par le nazisme, aucun de ces traits n’est spécifique à l’Allemagne : on les trouve tous, inégalement répartis, dans différentes régions, classes, milieux intellectuels de l’Europe. Le nazisme serait ainsi une expérience à la fois pleinement européenne par les éléments qu’elle agrège, et entièrement exceptionnelle par sa manière de les agréger.

Autant le dire franchement, ce petit ouvrage est indispensable : il donne tout son sens à la conception radicale de l’antifascisme, qui refuse à la fois de banaliser les expériences fascistes en les dissolvant dans une critique abstraite du capitalisme et de l’État, et de les séparer de l’histoire du capitalisme et des « démocraties » occidentales, dont l’antifascisme supposé servirait de caution morale pas chère. Bref, un bouquin éclairant, lisez-le !


NÉGATIONNISME OU RÉVISIONNISME ?

La question est plus complexe qu’il n’y paraît. Le terme « révisionnisme  » est revendiqué par eux car il semble plus acceptable, les rattachant à une tradition de révisions historiques et doctrinales. Or leur révisionnisme n’a rien d’historique (aucun d’eux (en France) n’est historien, et aucun n’utilise les méthodes et les types de raisonnement considérés comme valides par les historiens), et ce qu’ils révisent n’est pas une doctrine.

C’est donc leur faire beaucoup trop d’honneur que de les appeler « historiens révisionnistes ». Mais si le terme « négationnisme  » désigne mieux leur relation à la politique nazie d’extermination, il est lui aussi insuffisant : car si les négationnistes nient l’existence des chambre à gaz, ils ne font pas que ça, ce n’est même pas leur but premier ; ils se servent de la négation pour justifier une lecture paranoïaque, antisémite et pronazie non seulement de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, mais de tout le vingtième siècle, voire au-delà : pour eux, la croyance en l’existence des chambres à gaz n’est pas une erreur d’historiens, mais un mensonge politique permettant de justifier, en vrac, le capitalisme, la domination juive sur le monde, l’existence d’Israël, l’antifascisme etc. Difficile donc de choisir entre négationnisme et révisionnisme, car ces personnes font les deux, accentuant l’une ou l’autre dimension en fonction des circonstances ; de même, selon les circonstances, on peut utiliser l’un ou l’autre pour les désigner.


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