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AccueilJournalNuméros parus en 2008N°71 Novembre-Décembre 2008Dossier : l’antifascisme en Russie > A la rencontre des antifascistes russes

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A la rencontre des antifascistes russes


Entre les 23 et 30 novembre, les antifascistes radicaux moscovites du groupe What We Feel (hardcore) seront en tournée en France en compagnie d’autres groupes locaux, ils présenteront également la situation dans leur pays, et la façon dont ils ont choisi de s’engager au quotidien contre les néo-nazis en Russie. Malgré sa brève existence (formation en 2005), WWF a déjà plusieurs expériences de contacts internationaux dans la scène antifasciste radicale, et depuis l’assassinat de Sacha Ryuhin avant un de leurs concerts à Moscou, ils sont conscients du rôle déterminant que joue la scène contre-culturelle dans l’engagement antifasciste en Russie.


Depuis le début des années 1990, il y a eu en Russie un fort accroissement de l’activité de rue des néo-nazis, activité qui s’est traduite par des violences racistes et anti-antifascistes très souvent fatales. On a ainsi dénombré depuis quatre ans plus de 2000 agressions, dont 285 se sont soldées par des morts. Pour le début de l’année 2008, le centre SOVA1 a d’ores et déjà recensé plus de 50 assassinats perpétrés par des militants d’extrême droite ; dans la même période, il y a eu plus de 200 agressions à caractère raciste (sans compter celles qui n’ont pas fait l’objet de plaintes auprès de la police, qui n’hésite pas à collaborer avec les groupes de l’extrême droite la plus violente). Les militants antifascistes sont, quant à eux, les autres cibles de l’extrême droite : pistés par les fachos, suivis à leur domicile ou sur les lieux où ils militent, ils prennent chaque jour un risque mortel, et plus d’une dizaine d’entre eux y ont déjà perdu la vie. Parallèlement à cela, le gouvernement ne semble guère s’inquiéter de la prolifération de cette extrême droite plus ou moins groupusculaire, dont il utilise d’ailleurs bien souvent, à la faveur d’une campagne électorale ou d’une guerre sale, la phraséologie et l’imagerie. Pendant les guerres de Tchétchénie, Poutine a fait sien le discours de stigmatisation de l’étranger, de préférence originaire des régions du Caucase ; son régime autoritaire et sa police récusent toute mise en cause, qu’elle vienne des ONG ou de la scène contre-culturelle. Face à cela, un mouvement antifasciste radical, autonome, lié à une scène musicale en plein essor, est en train d’émerger dans de nombreuses régions de Russie. C’est un mouvement de jeunesse, qui vient renouveler les rangs des antifascistes des années 1990, moins nombreux ; ses militants, pas toujours organisés, mais dont la politisation est indéniable, font preuve d’un grand dynamisme, et ne sont pas prêts de se laisser récupérer par des organisations contrôlées par l’État russe. Leur volonté et leur besoin de contacts avec les autres scènes antifas radicales et autonomes dans le monde sont énormes, et des initiatives aussi bien contreculturelles que politiques au sens strict ont déjà vu le jour.

La solidarite est une arme

Ainsi, au printemps 2007, le groupe italien Los Fastidios a fait un concert monstre à Petrozavodskh, rassemblant un millier de spectateurs, qui scandaient en choeur « Antifa Hooligans », après avoir fait plusieurs centaines de kilomètres en train pour se rendre au concert. Ça n’a l’air de rien, mais quand on sait que de nombreux jeunes se sont fait violemment agresser alors qu’ils se rendaient à des concerts de punk ou de hardcore étiquetés antifas, on comprend mieux, de chez nous, l’engagement que cela suppose. Cette année encore, en mai, c’est Stage Bottles qui a joué à Moscou2, Saint-Pétersbourg et Petrozavodskh, avec le tout jeune groupe Nitchevo Halachevo, réunissant un public enthousiaste, II qui a d’ailleurs pu répondre aux questions posées par une militante de la CNT. Le résultat de ces interviews donnera d’ailleurs à un film pour la tournée de novembre, accompagnant ainsi la brochure Antifascistes en Russie aujourd’hui, publiée par Barricata et No Pasaran, deux résultats du travail commun mené par les antifas russes et français.

L’année 2008 a aussi été l’occasion d’autres mobilisations conjointes, en France et en Russie. En France, s’est déroulée la tournée de meetings de deux militants, l’une de Saint-Péterbourg et l’autre de Moscou, qui s’est terminée par une mobilisation antifasciste le 9 mai à Paris. En Russie, des manifestations de soutien aux sans-papiers français et aux militants emprisonnés ont rassemblé à Moscou des militants qui ont défilé avec des fumigènes, selon leur habitude, mais aussi pour montrer qu’ils se solidarisaient avec Ivan et Bruno, arrêtés à cause de la présence de fumigènes dans leur voiture. Les antifas moscovites ont aussi repeint plusieurs fois la façade d’Air France, avec des slogans en français (Solidarité avec les sans-papiers), en anglais et en russe. Cette initiative montre combien l’engagement des antifas russes est large : il ne se limite en effet pas seulement à la lutte au quotidien contre la présence (visible) des bandes de fachos dans la rue. Il concerne la solidarité avec les SDF (initiatives Food Not Bombs) et les immigrés, le refus de l’État sécuritaire et policier (manifestation sauvage contre les violences policières, en plein centre de Moscou), l’engagement pour le droit des animaux, etc.

Des contacts déjà anciens

Depuis les années 1990, des contacts existent entre les militants antifascistes radicaux et les anars russes d’une part et les scènes antifascistes radicales et autonomes allemandes, françaises, tchèques, polonaises, etc. Ces contacts se sont renouvelés au fur et à mesure des années, avec l’émergence de nouveaux journaux et fanzines, avec l’engouement que suscitent les contre-cultures punk, hardcore et redskin en Russie, ainsi que des initiatives comme Food Not Bombs, qu’on retrouve dans plusieurs pays. Les contacts internationaux se nouent fortement autour de la scène musicale punk et hardcore qui se dote de ses propres labels et circuits de distribution. Plusieurs groupes ont associé musique et politique : Sandinista, le groupe dans lequel jouait Timur Kacharava, assassiné en 2005 par des fachos à Saint-Pétersbourg, Crowd Control dont un des membres a été arrêté après une manifestation sauvage appelée contre un rassemblement du DPNI (Mouvement contre une Immigration Illégale, parti d’extrême droite) en septembre 2006, ou encore What We Feel, Brigadir ou Nitchevo Halachevo, dont les paroles sont on ne peut plus significatives de leur engagement antifasciste radical. Et bien d’autres encore, que l’on espère bien découvrir au fil des années... En France, en Allemagne, en Grande-Bretagne, en Suède, au Danemark, en Autriche, en Suisse, etc. les antifascistes radicaux sont conscients de l’extrême gravité de la situation en Russie et de la nécessité d’apporter tout le soutien possible aux militants russes. L’Antifanet, auquel appartient le réseau No Pasaran, a lancé une campagne de soutien financier et d’informations dans toutes ses publications, le secrétariat international de la CNT a mobilisé le soutien de la coordination syndicale Redblack (regroupant les organisations anarcho-syndicalistes de Grèce, Suède, Pologne, Italie, Grande-Bretagne, France et Espagne), et le SRA continue sa campagne de solidarité, lancée en mai 2006.

La lutte oui, mais la fête aussi !

Après un rassemblement en mai 2006 devant l’ambassade de Russie à Paris pour protester contre les assassinats de militants antifascistes et antiracistes et les centaines d’agressions racistes perpétrés par les néo-nazis russes, un concert de soutien la même année, qui a permis d’informer sur la situation des militants russes, le SRA a poursuivi les années suivantes, en publiant régulièrement des informations que nous faisaient passer les antifas russes avec lesquels nous étions en contact, et en mettant en place la tournée qui aura lieu en novembre 2008, dans la continuité de la tournée organisée en mai dernier par le réseau No Pasaran !, qui a constitué un premier jalon dans le travail de sensibilisation à Paris, Angers, Nantes, Toulouse et Bordeaux. Cette deuxième tournée, à venir fin novembre, avec le groupe What We Feel, sera l’occasion de nouer des liens à plusieurs niveaux et de renforcer les contacts franco-russes, de militants à militants, mais aussi de scène musicale à scène musicale, en échangeant nos expériences au sujet de la musique, des lieux (il y en a très peu en Russie, d’où les difficultés que rencontrent les scènes musicales contre-culturelles), des pratiques d’autonomie... À Paris, Angers, Bordeaux, Limoges, Saint-Étienne, Dijon et Strasbourg, les membres de What We Feel interviendront pour présenter leur expérience de militants après la projection du DVD réalisé pendant la tournée de Stage Bottles en mai dernier en Russie, puis le concert commencera : la lutte oui, mais la fête aussi ! Il y aura bien entendu la brochure de présentation Anti - fascistes en Russie aujourd’hui, et aussi la possibilité de s’informer grâce à une exposition reprenant les points forts pour comprendre ce qui se passe en Russie depuis les années 1990. En attendant une tournée du même genre, mais en Russie cette fois-ci... ●

1. Le centre SOVA est une organisation non-gouvernementale qui comptabilise et recense les agressions et crimes racistes commis en Russie et effectue une surveillance des sites internet de l’extrême droite.

2. À Moscou, il n’y a pas eu de publicité ni de flyer pour ce concert, pour des raisons de sécurité.


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