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AccueilJournalNuméros parus en 2001N°3 - Novembre 2001 > L’action des femmes contre les Taliban

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Afghanistan

L’action des femmes contre les Taliban


Islamabad, Pakistan. Les voisines de Razia sont arrivées discrètement chez elle, une par une, faisant fuir ses poulets, elles l’appellent doucement, les mains serrées, pleurant des excuses derrière les fenêtres grillagées de leurs robes.


image 136 x 164 " Les unes font des excuses aux autres, maintenant à Kaboul ", dit Razia, 56 ans, une veuve de guerre qui a fui sa maison près de la capitale, il y a 2 jours. " Elles font des excuses parce qu’elles savent que la mort peut survenir à tout moment. Elles disent qu’elles sont désolées des troubles passés. C’est la tradition de nos femmes musulmanes. "
Razia a fait ses propres excuses, maintenant, tous ses poulets vendus, elle est partie vers la frontière pakistanaise. Elle et son fils, âgé de 20 ans se sont cachés dans une charrette transportant des oignons, et leur 65 dollars de pot-de-vin aux douaniers ont été payés par une organisatrice du RAWA (Association Révolutionnaire des Femmes Afghanes).
RAWA, un groupe de protection des femmes a été créé par des veuves et des femmes abandonnées, à l’extérieur de l’Afghanistan, à cause des 20 dernières années de guerre, de sécheresse et de famine.
RAWA intervient dans les écoles clandestines, des cliniques illégales, des orphelinats et des centres de soin dans le pays.
Le travail est clandestin, dangereux et absolument illégal sous la dure loi du régime des Talibans.
Au Pakistan, RAWA travaille dans les nombreux camps de réfugiés insalubres. Le groupe n’a pas de quartier général et leurs organisatrices travaillent clandestinement et changent souvent de surnom. Elles chuchotent dans leurs téléphones portables et évitent les agents pakistanais qui désapprouvent les activités du RAWA dans les régions religieuses et conservatrices." Ces femmes sont tout ce que les talibans haïssent : hautement politisées, féministes afghanes de gauche ", dit Saïra Shah, une journaliste indépendante qui a réalisé "Sous le voile", un documentaire pour la chaîne britannique Four News sur la vie des femmes sous les talibans. "Shah, dit le RAWA, a essayé de mener une vie normale dans un monde devenu complètement fou." Plusieurs femmes afghanes, interviewées dans un centre de soins du RAWA ont raconté les histoires d’une nation de femmes terrorisées, opprimées.
Si ce n’est pas la peur des attaques militaires des Etats-Unis, c’est la crainte quotidienne des talibans. "Les talibans viennent maintenant dans n’importe quelle maison et emmènent les jeunes hommes au front", dit Razia, qui a perdu son mari et 2 de ses fils dans les 10 années de guerre contre les soviétiques. " Alors, j’ai fui au Pakistan pour sauver mon plus jeune fils. J’ai déjà passé et perdu la moitié de ma vie dans la douleur."
Le département de promotion de la vertu et de la prévention du vice, le Amar Bil Maroof, fait exécuter chaque jourle programme radical des talibans, version quasi-moyennâgeuse de l’Islam. Des brigades de ces policiers religieux en robe blanche quadrillent Kaboul dans des pickups Toyota. "Chaque fois qu’ils apparaissent dans une rue" raconte Razia, "les gens crient et préviennent les voisins et chacun rentre précipitamment chez soi." Razia dit que, récemment, le Awar Bil Maroof l’a arrêtée alors qu’elle achetait une tomate à un commerçant, un vieil homme avec un petit stand de légumes, près de chez elle. Le commerce direct entre un homme et une femme est strictement interdit ; et les exécutants ont frappé à mort le commerçant, au milieu de ses caisses de raisins et de tomates. " Il est mort", témoigne Razia, "j’ai couru". Les familles qui ont assez d’argent pour le bus et les pots-de-vin ont déjà fui Kaboul et les autres villes, les fermes du plateau et les villages des montagnes.
Pour la plupart de ceux qui restent, il n’y a quasiment plus rien à manger nulle part et quelque soit le prix. A Kaboul, chaque soir, à l’heure du dîner, des groupes de femmes et d’enfants vont de porte en porte mendier quelques miettes.
"Ils apparaissent à notre fenêtre le soir et nous appellent, " ma soeur, s’il te plaît, donne-nous quelque chose à manger, du pain." Elles sont comme des fantômes. C’est si douloureux à voir, nous dit Sharifa, 48 ans, une couturière de Kaboul qui a payé son départ pour la frontière avec son fils de 18 ans et sa fille de 14 ans. "C’est trop pénible. Nous voyons la prochaine génération d’enfants être détruits." Quand les hommes, aux turbans noirs des talibans, sont entrés dans Kaboul, il y a 5 ans, leur victoire a mis la majorité du pays sous leur loi brutale, bien que beaucoup d’Afghans aient soutenu les efforts des talibans pour ramener l’ordre après le chaos de la guerre civile. La majorité était des hommes ruraux, analphabètes, remplis de crânerie, de sang et de religion, et ils ont agi vite pour instaurer leur inflexible version de la loi islamique.
Mais, ils ont aussi manifesté leur colère contre le désordre qui a opprimé l’Afghanistan, y compris les enlèvements violents et l’abus sexuel de femmes par les factions guerrières du pays. Les talibans ont coupé la main des voleurs et assassiné des homosexuels, des couples adultères et des prostituées. Ils ont banni les fêtes du Nouvel An, la télévision, les vidéos, la musique, le foot, les cerfs-volants, les échecs, bref toutes les choses qui pourraient détourner l’attention pour les études religieuses et les prières.
Ils ont transformé le stade de football en terrains d’exécutions. Les criminels sont tués d’une balle dans la tête sur la ligne de touche. D’autres sont pendus à la barre des cages de buts.
" Le stade de football est un lieu de loisirs, un endroit pour les jeux, un lieu de joie " a dit le Ministre des affaires étrangères talibans à la journaliste Saïra Shah, via un interprète. " Quand la justice est rendue au nom des victimes, c’est aussi un événement joyeux qui ramène l’ordre et la sécurité pour la société. " Le "clergé" taliban a fermé les cinémas et les hammams, fait fermer toutes les écoles de filles et mis dehors les 4000 étudiantes de l’université de Kaboul. Soudain, les femmes n’ont plus été autorisées à se maquiller. Les salons de beauté ont été fermés. Les femmes qui avaient du vernis à ongle étaient susceptibles d’avoir les ongles arrachés. Les talons hauts ont été bannis car les talibans estimaient que leur claquement séduisait et distrayait les hommes. Les femmes malades ne sont plus soignées par les hommes, l’économie a commencé à s’effondrer et les situations familiales deviennent terribles. Les travailleurs de l’aide internationale en Afghanistan ont commencé à signaler une augmentation alarmante de la prostitution infantile, de dépressions de femmes, de drogue (médicaments) et de suicides. Il y a eu une flambée de suicides, en 1998, de femmes à Kaboul, elles ont avalé de la poudre de soude, l’équivalent du Drano. "La soude caustique brûle la gorge", dit un médecin. "En trois jours, vous mourez."
Les femmes ne sont plus autorisées à travailler à l’extérieur et doivent être escortées d’un homme dès qu’elles sortent de la maison, même pour aller faire des courses, balayer (la tête baissée) ou pour étendre le linge.
Les femmes doivent rester à l’extérieur des boutiques jusqu’à ce que leur mari ou frère leur rapporte le vêtement, ou la soupe, ou les oignons pour qu’elles choisissent. "Kaboul est devenu une prison pour nous", dit Razia. "Toutes les femmes étaient paniquées à l’idée de sortir. Les professeurs, avocats, docteurs restaient assises toute la journée à ne rien faire. Shaima, de Kaboul également, préparait un diplôme en littérature persane quand les forces talibanes ont pris Kaboul en 1996. Son mari, un homme à tout faire, n’avait pas d’économies pour les aider et a fui le pays, alors Shaima a commencé à enseigner la littérature dans les écoles clandestines du RAWA."

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Finalement, des membres du RAWA ont fait rentrer Shaima au Pakistan avec sa fille de 18 mois, Susan. "Ma fille doit mener une meilleure vie que la mienne" dit-elle. "Elle aura une éducation qui lui permettra d’aider le peuple afghan. Et elle ne portera jamais, jamais le burqa." (c’est un long voile, grillagé aux yeux, allant de la tête aux pieds, note de la traductrice).
Une autre des nouvelles lois des talibans a été le port obligatoire du burqa, la tente, sorte de robe qui couvre aussi la tête. Quelques citadines portaient le burqa avant l’arrivée des talibans, mais très peu de femmes dans les campagnes.
"Ce qui fait que l’ère talibane est un cas à part, c’est dans son exécution coercitive et punitive du port du burqa" dit Malika Zulfacar, une afghano-américaine, professeur de sociologie. "Prier pour les talibans, c’était une affaire de choix dans chaque ménage." Le burqa est maintenant obligatoire pour toutes les femmes afghanes et les infractions au code vestimentaire sont contrôlées et exécutées sous les coups de fouet de la police religieuse.
"Une fois, je suis sortie sans mon burqa, et ils m’ont battue", dit Sharifa, la couturière de Kaboul. "Ils m’ont assommée et cassé la jambe.
Maintenant, je marche difficilement. Pendant 20 ans, nous avons connu tragédie sur tragédie, chacune étant chaque fois pire. Et la pire aujourd’hui, ce sont les talibans. Beaucoup de femmes afghanes qui ont fui au Pakistan ces 2 dernières semaines n’ont pas vu les reportages des attaques du 11 septembre."
Mais Sharifa a vu les images sur la BBC le 13 septembre sur une télévision clandestine que son mari a réglé la nuit, volets tirés et portes verrouillées.
Elle a entendu la colère et le blâme des Etats-Unis sur le rôle d’Oussama Bin Laden, suspecté pour les attaques, et elle a rapidement compris que son pays opprimé sera probablement bientôt une cible américaine. "J’ai juste fui à cause de mon fils", dit-elle. "Quand j’ai traversé le Pakistan je me sentais heureuse de pouvoir sauver la vie de mon enfant. Mais je me sentais aussi coupable d’être en vie ici et de savoir le reste de ma famille encore en danger."
Razia, la veuve, n’a pas vu les avions détournés, l’effondrement des tours et le Pentagone en feu, mais elle connaît la situation. "Maintenant que les Etats-Unis eux-mêmes ont expérimenté la douleur, peut-être peuvent-ils comprendre la situation de l’Afghanistan", dit-elle. "Nous détestons Oussama Bin Laden et d’ailleurs il n’est pas afghan mais saoudien. Mais nous avons peur que les Américains détruisent complètement Kaboul à cause de lui."
Mark Mc Donald
Traduction Nadia


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