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AccueilJournalNuméros parus en 2002N°6 - Février 2002 > Refusons la Mc précarité

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MC DONALD’S : expérience d’une lutte

Refusons la Mc précarité


Après trois mois de grève et de lutte des salariés des fast food, nous pouvons retenir au moins deux choses, cette lutte représente un combat acharné contre la précarité et l’esclavage. Ce combat contre Goliath, nous ne savons pas quel sera le vainqueur mais dans tous les cas ça ne se passera plus comme ça à Mc Do.


Dans cette grève, le comité de soutien, composé d’individus et de groupes comme celui auquel j’appartiens, n’a en tête que la victoire des salariés, en étant réintégrés dans leur travail. Cette lutte est une lutte quotidienne de terrain : nous organisons avec les grévistes des ripostes, comme les occupations des samedis noirs afin de rencontrer les autres salariés et de casser le chiffre d’affaire de plusieurs restaurants. Les piquets de grève devant le Mc Do de Strasbourg-St-Denis et les caisses de solidarité qui tournent permettent aux grévistes de s’en sortir financièrement.

Au cours des réunions et des occupations, nous, militants politiques, avons beaucoup appris sur la façon dont fonctionne cette multinationale. La population salariée par Mc do n’est pas recrutée au hasard des curriculum vitae. Les DRH suivent un profil sociologique particulier. Ils savent qui mettre à tel ou tel poste. Tout est rationalisé et étudié afin de mettre "tout le monde" au travail. Les règles d’organisations sont si concises que rien n’est laissé au hasard, pas même les postures du corps. Le temps au travail, ces salariés le passe dos à dos, des cuisines, aux caisses et même les hôtesses dans les salles ne se regardent pas. Le temps de leur service (le rush) peut durer jusqu’à 4 heures d’affilées. Cela contraint tout le monde à parler fort et à décrire ce qu’il fait pour ne jamais retarder la préparation d’un Big mac (leur validité n’étant que de 10 minutes). Parce que nous avons beaucoup discuté lors des occupations avec les salariés , nous avons pu comprendre pourquoi et comment ces salariés acceptent et s’adaptent à de telles cadences, à un tel travail.

Ces travailleurs sont d’origine populaire et issus pour la majeure partie d’entre eux de l’immigration. Cette même population a été souvent incriminée d’inertie et de manque de rébellion vis-à-vis de cette société capitaliste. Ils ne sont pas représentés dans les mouvements contre la précarité ou le chômage (AC !), etc. Aujourd’hui ces mêmes jeunes du restaurant Strasbourg Saint-Denis se battent contre leur employeur. Le début de leur combat n’est pas sur les conditions de travail, et pourtant celles-ci sont loin d’être idéales, mais un acte de solidarité, pour la réintégration de leur collègue.

Armand est manager et polyvalent. Aux yeux de ces collègues, c’est un modèle, "il sait tout faire" et c’est quelqu’un de travailleur. Ce licenciement est vécu comme une injustice, et spontanément la grève a pris forme. Au cours de leur lutte, quatre autres salariés ont été licenciés - Armand, Amer, Aziz, Nabil et Riad.

Au début ils ont un statut d’étudiant ou de lycéen, âgés entre 17 et 25 ans en moyenne. Certains vivent encore chez leurs parents, d’autres vivent seuls et sont généralement célibataires. Leurs parents sont ouvriers ou au chômage de longue durée. Même quand les salariés ont délaissé leurs études ils continuent à se présenter comme étudiants. Mais vis-à-vis de leur parents ou de leurs familles ils sont en ascension à la fois culturelle et sociale. Ils ont un niveau d’étude supérieur à leurs parents et leurs conditions de travail sont moins pénibles. Leurs parents ont occupé ou occupent des postes où ils se lèvent très tôt - par exemple cinq heures du matin quand ils travaillent sur des chantiers, dehors dans le froid ou dans des usines, Leur vêtements sont des tenues de travail d’ouvriers. Alors qu’eux à Mc Do, leurs conditions de travail sont vécues comme étant meilleures. C’est un boulot propre, le restaurant est connu et il est utilisé par eux-mêmes et leurs amis depuis leur tendre jeunesse.

Les études poursuivies par ces jeunes sont souvent des filières dévalorisées et sans débouchées, des études en sciences humaine, comptabilité et gestion, rarement au-delà du DEUG. Pour la majeure partie d’entre eux, c’est un premier boulot et n’ont pas d’expériences comparatives, ils n’ont que l’image du travail de leurs parents. Se syndiquer, se battre ou revendiquer réclament un capital social et culturel qu’ils n’ont pas, mais ils savent aussi que dans cet emploi ils échappent à d’autres petits boulots dévalorisés et plus mal payés. Même si Mc Do fait partie d’une des rares multinationales qui emploient plus facilement des jeunes issues de l’immigration, ils ne sont pas dupes des raisons pour lesquelles ils sont embauchés. A Strasbourg-St-Denis, ils ont été recrutés en fonction de la population locale et plus généralement, en tant de crise, ces jeunes plus fragiles socialement acceptent n’importe quelles conditions de travail.

Les données sociologiques ne sont pas les seuls critères de recrutement de la direction de Mc Do, en effet la psychologie est une science dont ils usent.

L’explication réside dans le choix même de l’intériorisation du modèle dominant par les dominés. Ils s’identifient au produit, c’est une population issue de cette société de consommation. Ils acceptent les cadences et les rythmes du travail car eux-mêmes n’acceptent pas que leur bus ou leur métro soient en retard. Quand ils font leur courses ils exigent de trouver leurs produits habituels, c’est une génération complètement acquise à cette société que nous combattons. L’éducation de la passivité souvent basée sur le service rapide et bien fait, permet l’adaptation aux modèles de la contrainte marchande Mc Do. A la caisse, si un équipier est lent, le rôle du manager est de le reprendre mais en l’incluant dans le rendement, en le culpabilisant d’avoir déclenché le mécontentement des usagers et le mécontentement de ses propres collègues, qui sont pour la plupart devenus ses amis.

Un tel travail n’étant pas créatif, le jeune ne peut se surpasser qu’en exécutant de plus en plus vite et vendre le plus possible de Big Mac. Il va donc aussi intérioriser une " survalorisation " de l’accomplissement des tâches en étant le plus rentable possible. En produisant vite et bien, l’interaction avec le client, ses collègues et son responsable est positive.

Il n’est pas un seul équipier qui ne compte pas les sandwiches vendus par lui-même. Parce qu’ils sont issus des classes populaires, parce qu’ils sont en échec scolaire, ces jeunes veulent au moins se valoriser dans les rares boulots où on les accepte sans diplôme, sans expérience, mais ils le payent cher.

Cette contrainte est basée aussi sur le modèle de solidarité. Souvent les Mc Do fonctionnent comme une famille, au sens propre et au figuré. Ce genre de fonctionnement n’a que des avantages pour la direction mais ce n’est qu’inconvénients pour les salariés : tu ne peux pas tomber malade, tu es fliqué, chantages affectifs, prise en charge, infantilisation, etc. La famille réelle existe aussi puisqu’il n’est pas rare de trouver des frères ou des soeurs, des cousins où même plusieurs jeunes de mêmes cités (Strasbourg-St-Denis, Bonne Nouvelle, Rivoli, etc.) C’est un travail en chaîne qui ne tolère aucune faiblesse, au risque de faire perdre du temps et de l’argent et surtout casser le rythme de ses collègues. Ce type de fonctionnement engendre des prises en charge et une dépendance des uns et des autres, chacun d’entre eux est formateur volontaire des nouveaux afin de ne pas retarder sa propre cadence et sa propre productivité.

Pour nous, dans cet article, il ne s’agit en rien de faire une enquête sociologique, mais il nous apparaissait important de tenter de comprendre à l’aide d’observations empiriques et de souligner quelques aspects de ce nouveau genre de boulot qui ne cesse d’être diffusé dans pas mal de secteurs.

La mondialisation rationnelle de l’exécution du travail est un danger pour tous les travailleurs. Nous pouvons constater que les salariés en lutte sur leur lieu de travail (du type Pizza Hut, Flo, les cars Susannes, Maxi-Livres, Eurodisney, etc.) sont en pied depuis des années et ne possèdent pas forcément de diplômes. Par contre, ils ont pu avec les années accéder à des postes à responsabilité.

C’est grâce à eux que la contestation est à même de se développer et de remettre en cause la hiérarchie patronale. Strasbourg St Denis en est un exemple : la lutte a commencé par des managers.

La lutte antimondialisation dans laquelle le réseau No Pasaran s’est investie est dans la logique d’une lutte anticapitaliste. Un des conflits qui nous oppose à cette société réside dans le travail et le capital lié à la production. Même si la mondialisation du capital n’est pas nouvelle puisqu’elle a commencé avec l’apparition de la circulation des marchandises et de l’argent. Elle a été généralisée grâce au capitalisme industriel. Son accélération est dû comme le démontre si bien Eric Hasbawn (dans L’âge des extrêmes) au lendemain de la seconde guerre mondiale, la généralisation des relations de marché à la quasi totalité de la vie quotidienne des humains rend impossible la fuite à l’économie mondiale, puisque l’humanité entière est soumise au travail. Parce que l’homme a accepté les termes de l’économie, en reconnaissant qu’il était réductible à la valeur du travail. Depuis le capital s’adapte grâce aux différents modes de domination sur lesquels il peut s’appuyer, hier l’industrie, l’Etat Providence (pour peu de temps encore), aujourd’hui le patronat et son organe d’existence le MEDEF (Mouvement des Entreprises de France), ex-CNPF. Les rapports marchands dont nous tirons depuis des siècles l’essentiel de notre existence - l’eau, la nourriture, le logement - et l’air que nous respirons sont contrôlés par des multinationales aux quatre coins du monde.

Les contestataires du néo-libéralisme (ATTAC) prennent conscience de l’ampleur des dégâts d’une puissance accrue du capital, et notamment du capital financier. Ils prennent conscience , comme les premiers humanistes du XIXe siècle, que le capital industriel n’a pas tenu sa promesse historique : "en industrialisant le monde, nous allons faire bénéficier les salariés de l’ensemble du progrès" (tout baigne). C’est sur cette logique que se fonde les Suzanne Georges et Bernard Cassen pour demander un Etat fort et interventionniste, ces keynésiens optimistes ne se sont jamais demandés pourquoi cette théorie avait ses limites. Ils somment au travers des courses anti-sommets les différentes institutions mondiales d’être plus transparentes dans leur fonctionnement, d’annuler la dette du Tiers-monde, de taxer les flux de capitaux financiers (le " 0,1% " de la taxe Tobbin). En admettant que cela soit accepté comme réforme par les firmes qui règnent sur le marché mondial, est-ce qu’elles ne serviront pas au final qu’à répartir encore les bénéfices entre les capitalistes et les Etats qui sont partie prenante du processus de la globalisation de l’économie, en fonction de leur hiérarchie dans le groupe des huit ?

Le MEDEF définit l’Etat et son interventionnisme comme une bête noire, qui devrait selon lui abandonner le pouvoir au marché et à ses fluctuations. Dans le monde que nous propose le MDEF, la force de travail devrait être traitée comme n’importe quelle autre marchandise. Les conditions d’échange et d’usage de la force de travail verrait leur prix fluctuer en fonction de l’offre et de la demande. Le marché du travail doit soumettre les hommes et les femmes aux risques du marché et ne pas hésiter à les mettre hors jeu, ou de les retirer totalement de la circulation comme le rappel Loïc Wacquant ("envoyer les pauvres en prison") dans “Les prisons de la misère”.

Pour nous, les résistances sociales ne peuvent se construire que dans les luttes au quotidien contre le capitalisme, en partant de nos subjectivités et des luttes concrètes dans nos lieux de vie et de travail. C’est la somme de ces résistances quotidiennes qui font reculer l’emprise de cette société d’aliénation et qui nous permet de récupérer des espaces d’expression et de définir d’autres choix de vie possibles.

C’est en cela que la lutte des Mc Do est exemplaire.

Houria Ackermann


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