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AccueilJournalNuméros parus en 2002N°9 - Mai 2002 > Chronique d’un succès annoncé

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Chronique d’un succès annoncé


L’élection présidentielle 2002, au-delà du résultat du premier tour, aura été sans précédent en premier lieu par le niveau particulièrement affligeant de sa campagne : absence de débats contradictoires (même télévisés), mise en avant des conjoint(e)s des uns et des autres dans les torchons abusivement appelés people, mise en scène des candidats autour de la question de l’" insécurité " (la fameuse claque de Bayrou) mais une fois de plus sans contenu politique, avec des slogans concoctés par des boîtes de pub. Le mépris affiché pour les électeurs potentiels, en particulier les plus modestes, par les deux grands candidats, ne pouvait que servir un Le Pen qui a su mener sans campagne avec une adresse qui en dit long sur les ressources d’un vieillard un peu vite enterré.


En effet, tandis que les médias, surestimant par là leur capacité à faire et défaire " l’opinion ", en isolant le président du FN depuis la scission, pensaient en sonner le glas politique, Le Pen et son parti, inexorablement, une fois passé la surmédiatisation de la candidature Chevénement, ont vite repris leur troisième place dans le paysage politique français. Aux déclarations des éminents spécialistes qui nous avaient doctement expliqué que parler du FN, même en mal, c’était lui faire de la publicité, que l’extrême droite n’avait en France que la place qu’on voulait bien lui accorder, les résultats du 21 avril ont apporté un démenti cinglant. En reprenant l’historique de la campagne du FN, officiellement lancée depuis avril 2001, ces derniers n’auraient pas dû apparaître comme une véritable surprise.

Les médias ont commencé à s’intéresser à nouveau au FN autour de ce que l’on appellera, pour faire vite, " l’affaire des signatures ", au début de l’année 2002. Or il s’agissait d’un faux événement, car depuis 1981, date à laquelle Le Pen n’avait pu se présenter faute de ces fameuses 500 signatures, c’est devenu un des passages obligés de la campagne lepéniste : dès juillet 2001, le FN avait envoyé ses brochures aux élus, et dès novembre, il commençait à crier au complot chiraquien contre Le Pen, dans les mêmes termes qu’en 1995 (National Hebdo a même repris l’une des ses " une " de l’époque).

En 1997, Jean-Pierre Schénardi, membre du bureau politique du FN, avait déclaré, à propos de Le Pen : "2002 sera son dernier combat". Et il est indéniable que Le Pen, à 74 ans, commence à se faire vieux. Mais la véritable raison de ce refus de participer à des élections législatives est le rôle que Le Pen lui-même estime devoir jouer sur la scène politique française : et ce rôle ne peut être selon lui que d’envergure nationale. Il est intéressant à ce propos de noter que Jean-Marie Le Pen est le seul leader politique français qui n’a pas son "fief" ; lors des élections municipales de 2001, il avait d’ailleurs montré le peu de cas qu’il faisait des élections locales, en donnant rendez-vous à ses électeurs pour de "véritables consultations politiques", en 2002 !

Mais si la présidentielle revêt à ses yeux une telle importance, c’est aussi parce qu’il s’agit de l’élection la plus personnalisée : il est seul face aux projecteurs, objet de tous les regards et de toutes les attentions. De fait, jamais le parti ne s’est préparé avec autant d’anticipation à une élection. En septembre 1999, Jean-Marie Le Pen annonçait sur TF1 qu’il serait candidat. À partir de cette date, le parti, (site internet compris !) s’est entièrement réorganisé autour de cette échéance.

Aussi Le Pen n’a-t-il rien laissé au hasard. Une fois fermée la parenthèse de la scission avec les résultats calamiteux du MNR aux municipales de 2001, il a posé les bases de sa campagne : attaque frontale de Chirac d’une part et défense des " sans-grade " de l’autre contre l’insécurité produite par " l’euromondialisme " et l’immigration. Les attentats du 11 septembre ont mis sur le devant de la scène ses thèmes de prédilection, mais sans jouer un rôle réellement déterminant, car " l’insécurité " avait déjà été le thème des municipales de 2001. Gardant profil bas sur le sujet, Le Pen savait que les autres candidats relayeraient son discours sécuritaire, mais avec un semblant de précaution qui ne pourrait être interprété que comme un aveu de faiblesse : marcher sur les traces du FN impose d’aller jusqu’au bout de sa logique raciste et ultra-répressive, ce qu’aucun ne peut faire mieux que lui-même.

Ayant renoncé à la stratégie des " petites phrases " qui avait jusqu’à présent fait son succès (laissant ce rôle à Mégret et à ses " talibanlieusards "), Jean-Marie Le Pen, refusant ainsi de jouer le rôle de trublion qui lui est d’ordinaire attribué, a souhaité en effet apparaître comme un candidat sérieux et responsable : sur la question de l’insécurité, il voulait être reconnu comme spécialiste. Et de fait, l’insécurité dont il a été question n’était ni celle de la précarité, ni celle de l’exclusion, sur lesquelles il n’a rien a apporter de neuf, mais bien celle qu’il décrit à longueur de discours, où le jeune immigré y partage la vedette avec le pédophile, et qui offre un tableau apocalyptique d’une société sans règle ni morale, livrée pieds et poings liés à l’étranger, qu’il soit islamiste en France ou bureaucrate à Bruxelles ! Tableau accompagné du cortège de mesures salvatrices " maison " : peine de mort, expulsions massives, préférence nationale, propositions qui, par leur caractère définitif et exclusif, s’intègrent parfaitement dans ce monde en décomposition décrit par l’extrême droite, et qu’il est là encore le seul à pouvoir se permettre de défendre. Certes, afin de tenter d’occuper malgré tout le devant de la scène, Le Pen a ressorti sa bonne vieille théorie du complot, selon laquelle il serait " bâillonné " à la fois par les médias (qui ne l’inviteraient jamais) et par l’Institution politique (qui, par le biais des signatures, chercherait à empêcher sa candidature). Mais cette fois-ci, quelques éléments troublants sont venus lui donner raison : il semblerait qu’effectivement le RPR, par le biais de tracts anonymes, ait fait pression sur les maires de droite pour qu’ils refusent leur signature au FN, et le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel a reconnu que la formation de Jean-Marie Le Pen avait été, proportionnellement à son potentiel électoral, plutôt moins invitée sur les plateaux des radios et des télévisions que les autres partis. Dans ce contexte, le MNR semble désormais avoir choisi de faire le jeu du RPR, en parasitant le FN sans aucun espoir de succès (Mégret était crédité de 1% des suffrages dix jours avant les élections, pour obtenir malgré tout près de 2,5%). Comme en son temps " Trop d’immigrés-La France aux Français ", groupuscule de Louis Girard (d’ailleurs passé au MNR depuis), torpille financée par le RPR pour voler des voix au FN, le mouvement de Mégret (dont on peut s’étonner qu’il ait lui réussi à rassembler les 500 signatures sans véritable difficulté), semblait décider à rendre service à la droite, en échange d’un hypothétique renvoi d’ascenseur. À moins que Mégret ne cherche qu’à maintenir coûte que coûte son parti en vie, dans l’attente d’une disparition brutale de Le Pen, qui lui laisserait ainsi une petite chance d’exister enfin sur la scène politique ! Son soutien au candidat FN au second tour rend cette seconde hypothèse plus probable.

Difficile de faire la part des choses entre la comédie jouée par le FN pour se poser en victime et la volonté réelle des médias et partis institutionnels de se débarrasser (virtuellement) de l’extrême droite, vilain petit canard de la politique. Mais cette ambiguïté même donne corps l’idée du complot, ou pour le moins pose définitivement Le Pen comme l’ennemi d’un système politique que les électeurs rejettent justement. Aussi, en conclusion, il apparaît clairement que tout était réuni pour offrir un boulevard au Front national et à son candidat, qu’il s’agisse de la nature du débat politique, des stratégies politiciennes à l’intérieur comme à l’extérieur du FN ou de la conjecture sociale. Ceux qui sont surpris aujourd’hui ont gardé les yeux fermés trop longtemps !

SB -Scalp Reflex Paris


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