Retour accueil

AccueilAnalysesOrdre sécuritaire > Traitement de l’insécurité ou gestion de la misère

Rechercher
>
thème
> pays
> ville

Les autres articles :


Traitement de l’insécurité ou gestion de la misère


Texte paru dans le journal No Pasaran n°88 - juin 2001

L’insécurité règne partout. Politiciens, journalistes et " experts " entonnent ce refrain à longueur de discours, d’articles, de rapports, de livres…


image 225 x 138 De quelle insécurité nous parle-t-on ? Des licenciements, du harcèlement au travail, de l’exploitation, de la précarité, des logements insalubres, des violences faites aux femmes, des discriminations, de la solitude…Quelles sont ces fameuses violences dont on nous rebat les oreilles ? Les agressions quotidiennes du patron, du petit chef, du recruteur, du manager, du juge, du mari, de l’huissier, du professeur, du flic ? Qui sont ces fameuses bandes ? Le MEDEF, Le Parti socialiste, l’OMC, le FMI, les Brigades anti-criminalités, les milices de la RATP, la CFDT, les animateurs télé, les traders ? Et ces zones de non-droit, où sont-elles ? Dans les commissariats, dans les entreprises, à l’armée, dans les centres de rétention, dans les start-up, à la bourse… Et ces fameuses incivilités ? Quand un CRS cogne, quand un conseiller ANPE vous dit qu’il faut travailler, quand un boursicoteur vous parle de ses actions, quand un manager vous dit qu’il faut vous adapter, quand un technophile vous dit qu’Internet est l’avenir…

Non, la nouvelle grande bataille à mener, après l’effondrement du bloc " communiste " et l’intégration de beaucoup de gauchistes au système, le nouvel ennemi intérieur, la grande menace pour la stabilité de nos sociétés est : le jeune des cités. Ce barbare toujours plus irrespectueux, toujours plus violent sort de ses contrées pour venir terroriser les populations du centre ville et des beaux quartiers. Ce combat à mort pour la reconquête de la civilisation, comme toutes les politiques menées actuellement, se présente comme réaliste, nécessaire, responsable. Il s’agit de gérer un danger. Ce discours et ces politiques - sans nier les violences tant physiques que psychologiques et symboliques perpétrées par certains individus - sont emprunts d’idéologie.

On retrouve cette stigmatisation des classes populaires perçues comme des classes dangereuses déjà au XIXième siècle. Depuis cette époque les possédants et les exploiteurs ont besoin de l’Etat et de son pouvoir régalien pour maintenir la propriété privée et défendre ce qu’ils ont volé. La structure de la société française, avec une paysannerie nombreuse et une classe ouvrière organisée et pleine d’espoir a permis de contenir les velléités de ce qu’on appelle aujourd’hui les délinquants. Durant les Trente Glorieuses la croissance économique et les nécessités des lois du marché ont permis à une partie de la population de profiter d’une certaine répartition des richesses. Même si la construction des banlieues, le développement des villes et l’avènement de la société de consommation ont vue émerger une délinquance juvénile, la gauche française tenait alors un discours privilégiant la prévention. Elle prenait aussi en compte les conditions d’existences des "délinquants". Ce temps où les forces progressistes faisaient preuve d’angélisme, selon leur propre terme, et où on ne niait pas les responsabilités collectives est révolu. Les caciques de la Gauche plurielle le claironnent à tue-tête, désormais ils sont passés à l’âge adulte. Ils font leur mea culpa et avouent avoir été laxistes.

Ce changement de discours est le corollaire de la conversion de la gauche française au libéralisme. Ne nous y trompons pas, cela fait bien longtemps que cette gauche défend le capitalisme, mais elle le faisait à demi mot et prônait son aménagement. Aujourd’hui elle défend farouchement les exploiteurs de tous poils (des grands patrons aux jeunes entrepreneurs strart-upiens) et de ce fait a opté pour une gestion policière de la misère. L’Etat-providence disparaît avec l’abandon progressif (qui va encore continuer durant les années à venir) des fonctions sociales de l’Etat et la mise en place d’une politique pénale de gestion de certaines classes sociales.

Pour les plus marginalisées il s’agit de les maintenir le plus possible dans le calme, d’éteindre les incendies, quitte à laisser se développer une économie parallèle garante de la survie de familles entières. Les plus récalcitrants seront neutralisés par la prison. Pour les classes paupérisées "récupérables", l’enjeu est de réussir à les mettre au travail. Pour cela le traitement pénal des infractions doit être suffisamment sévère pour les inciter à rentrer dans le droit chemin et à respecter la propriété. Le système des aides sociales doit lui aussi être cassé. La première offensive a consisté à renégocier la Convention UNEDIC et à mettre en place le PARE. Ces mesures sont les prémices d’un "workfare" à la française, c’est-à-dire de l’obligation pour les chômeurs d’accepter n’importe quel travail sous peine de ne plus toucher d’allocations. Ce traitement du chômage permet aux patrons de disposer d’une main d’oeuvre flexible corvéable à merci.

Cette gestion pénale de la pauvreté accompagne les mutations du capitalisme. Celui-ci avec notamment le développement de la société de services et la " nouvelle économie " a de plus en plus besoin de petites mains : livreurs, coursiers, télémarketeurs, caissiers, manutentionnaires, vigiles, laveurs de carreaux…Les classes populaires fournissent cette armée de précaires, encore faut-il les forcer à accepter ces emplois. L’Etat se donne les moyens d’y parvenir. A nous de les démonter.

Cdric


No Pasaran 21ter rue Voltaire 75011 Paris - Tél. 06 11 29 02 15 - nopasaran@samizdat.net
Ce site est réalisé avec SPIP logiciel libre sous license GNU/GPL - Hébergé par Samizdat.net