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Petit traité d’échange a l’usage des mal-nantis…


Texte paru dans la brochure Le travail en ?

L’époque étant ce qu’elle est, la nécessité de redéfinir des concepts, notions, idées, semble primordiale pour se réapproprier des espaces et analyses en rupture avec l’idéologie dominante propagée par une élite aux intérêts bassement égoïstes. Ainsi en va-t-il de la notion d’échange qui a vite tendance à être ramenée à l’idée de circulation de marchandises. Cette vision réductrice fait bien peu de cas d’une des spécificités majeures de l’espèce humaine qui nous distingue de la faune terrestre, n’en déplaise à Beaumarchais lorsqu’il affirme dans le Mariage de Figaro : " Boire sans soif et faire l’amour en tout temps, madame, il n’y a que ça qui nous distingue des autres bêtes. "


De l’échange comme lien social

Bien que les autres espèces vivantes puissent s’échanger des informations, comme l’indication d’un champ de fleurs chez les abeilles, la qualité de ces échanges est loin d’être aussi élaborée que chez les humains : richesses des information, transmissions de sentiments, d’émotions, formations de projets… Les prémices de l’humanité nous enseignent beaucoup sur les fondements du lien social : longue période d’incapacité des bébés humains par rapport aux mammifères et développement de l’activité sexuelle qui sont à l’origine du noyau familial, changement d’environnement et donc de moyen de subsistance (passage de la cueillette à la chasse) qui ont rendu indispensables certaines formes d’organisation et de coopération. Ces évolutions de structures sociales ne sont évidemment pas restées sans conséquence sur les formes de communication. Ainsi, de simples gestes ou grognements pour exprimer ses désirs, l’humain est passé grâce au développement de ses capacités cérébrales à des langages infiniment plus riches, plus subtils, qui ont encore renforcé cette cohésion sociale en juxtaposant au patrimoine génétique un apport culturel, environnemental, nécessaire à la construction de la personnalité, à la manifestation de la conscience : " Il n’est pas excessif de voir dans sa capacité d’échange la spécificité de notre espèce. C’est par l’échange qu’un groupe humain acquiert son unité, par lui que chaque membre du groupe devient quelqu’un. Existant pour les autres, il finit par être quelqu’un pour lui-même, c’est-à-dire par manifester "une conscience" ".

Dans ce cadre général de l’échange rentre évidemment la circulation de biens et de services. L’espèce humaine a dû pour survivre dans une nature hostile développer des formes de coopération poussées. L’individu ne pourvoit pas directement à ses besoins, les tâches sont divisées, et l’échange consiste entre autres à se procurer des biens et services qu’on ne peut se procurer soi-même ; ceci du simple noyau familial jusqu’à nos macro-sociétés, en passant par les tribus vivant uniquement de la chasse et de la cueillette. Pourtant cela ne signifie pas que l’échange soit synonyme de satisfaction matérielle de ses intérêts, et encore moins de recherche de profits. Ou sinon, comment expliquer le don de cadeaux, la destruction de grandes quantités de biens précieux comme dans les potlachs les plus spectaculaires des Indiens d’Amérique du Nord, ou encore l’échange de biens non utiles à sa propre vie ? Comment comprendre des termes comme partage, aide, générosité ? C’est que l’échange est avant tout social, et cette dimension sociale est à la base même de tous les rapports humains, du moins jusqu’à ce que l’Economie comme idéologie triomphante impose ses règles. Les tribus dites primitives n’ont pas d’Etat, de police pour assurer la cohésion sociale, elles ont cette capacité d’échanger pour instaurer des relations, et non celles d’instaurer des relations pour échanger et en tirer profit : " Si les amis font des cadeaux, les cadeaux font des amis. Dans l’échange primitif, une part considérable de transactions, de beaucoup plus considérable que chez nous, a pour fonction première cette fonction seconde : les transactions sont fin en soi, non moyens en vue d’une fin. Les flux de biens cautionnent ou instaurent des relations sociales et c’est ainsi que les peuples primitifs transcendent le chaos initial postulé par Hobbes. " Ou comme le dit plus simplement le Bochiman, nomade du désert du Kalahari : " le pire, c’est de ne pas donner de cadeaux. Si les gens ne s’aiment pas et que l’un d’eux fait un cadeau, alors l’autre doit accepter et cela apporte la paix entre eux. Nous donnons ce que nous avons : c’est comme cela que nous vivons ensemble. "

De la valeur d’échange comme valeur anti-sociale

Le besoin d’échanger est donc constitutif de l’humain comme être social. Donner ce que l’on possède, c’est donner un peu de soi, se faire connaître, reconnaître par l’autre ; c’est gagner l’estime d’autrui et donc l’estime de soi. Mais l’être social sous le règne du capitalisme a laissé place à l’homo oeconomicus, qui se construit sur ce qu’il possède, ce qu’il paraît, sur la satisfaction et la conservation de son intérêt propre, au détriment des intérêts de ses congénères. On n’a jamais autant échangé qu’aujourd’hui (en volume de biens et services en circulation) mais paradoxalement il n’y a jamais eu aussi peu d’échange (individualisme, repli sur soi, intégrismes…) : l’échange marchand a supplanté l’échange social !

Comment expliquer cette prise de pouvoir ?

Tout d’abord on peut tenter rapidement d’analyser les conséquences engendrées par le passage d’un mode de vie nomade à un mode vie sédentaire. Dans le premier cas on ne peut se permettre de posséder trop pour ne pas entraver la progression d’un lieu de subsistance à un autre ; et puis à quoi bon posséder lorsqu’aux débuts de l’humanité gibier et fruits se trouvaient dans la nature, au jour le jour, au gré des déplacements. Dans le deuxième cas, correspondant généralement à la trouvaille d’une zone de chasse, de cueillette particulièrement prolifique et aux prémices de la culture, de l’élevage, apparaît l’idée d’appropriation privative : "… chaque groupement humain jouit d’un droit d’usage quasi exclusif sur le territoire qu’il occupe ; à l’unité du groupe ethnique correspond celle du territoire, sur lequel sauf quelques cas particuliers (marchands, artisans), nul étranger ne peut vivre et travailler. " L’appropriation privative (réserves de chasse, champs, zones de stockage…), outre qu’elle assure une sécurité accrue contre la nature hostile et qu’elle s’accompagne d’une division sociale des tâches, bouleverse fondamentalement la notion de propriété. Ainsi le fait par exemple de cultiver une terre devient synonyme d’usage à titre privé de cette terre et des richesses qui en sont tirées, fait érigé par la société en droit de propriété. Puis, lorsqu’au nom de la continuité de la famille, s’instaure l’héritage, la propriété devient vite scandale par lequel s’accumulent les privilèges. A la lumière de cette dérive on comprend vite que "posséder" devienne un but en soi et que cette crispation sur nos biens entrave le plaisir de donner pour construire une relation sociale. Tout ceci ne signifie évidemment pas qu’il ne faut plus posséder : avoir sa maison, ses objets personnels, participe à l’élaboration de son individualité, à se donner des repères nécessaires au besoin d’avoir un minimum de stabilité dans son environnement. Mais posséder c’est aussi donner, s’offrir à l’autre alors qu’être propriétaire c’est exploiter son prochain afin de s’enrichir à ses dépens (comme par exemple prélever un loyer). L’évolution de la notion de propriété va donc logiquement altérer celle de l’échange : le contenu de l’échange va prendre le pas sur le fait même d’échanger !

Une fois le contenu de l’échange devenu fin en soi, il faut ensuite analyser comment l’économie marchande règle l’échange, donc aborder l’épineux et douloureux problème de la valeur. Un objet, un acte, en eux-mêmes, n’ont pas de valeur intrinsèque ; ils n’en prennent que par le besoin ou le désir que peut en avoir un humain ou groupe d’humains, et la satisfaction susceptible d’en être retirée. Ainsi la valeur d’un objet ou d’un acte variera selon différents critères, qu’ils soient ethniques, sociaux, religieux, historiques, philosophiques, psychologiques… Un kilo de pâtes n’a pas la même valeur suivant qu’il passe des mains d’un riche bourgeois engraissé au caviar à celles d’une personne affamée ; la valeur est donc profondément subjective ! Ce qui ne sied guère à une époque profondément scientifique, matérialiste, qui a tendance à tout objectiver. Les économistes, abusivement élevés au rang de scientifiques, ont donc construit leurs modèles, forcément très réducteurs, et surtout faisant fi de la complexité et de la multitude des facteurs qui interagissent dans les comportements humains. Pour eux, n’a de valeur que " les objets qui sont à la fois source de satisfaction pour au moins une personne, rares, échangeables, appropriables. " Un sourire, par exemple, n’a pas encore de valeur pour un capitaliste (mais peut-être bientôt, lorsque le monde sera si triste qu’il nous faudra payer des personnes pour qu’elles viennent nous sourire à la maison…) ; par contre, l’air pur, qui se fait rare dans les grandes villes, devient source éventuelle de profits, comme à Tokyo où l’on peut consommer sa dose dans des "bars à oxygène".

Une fois le cadre de la valeur ramené à des dimensions plus facilement exploitables, se pose la question de la source même de cette valeur ; source qui, rappelons-le, dépend directement du comportement d’une société à l’égard du produit ou service échangé. Mais les économistes, dans leur quête du modèle parfait, ne peuvent s’embarrasser de considérations sociales : il faut uniformiser ! Les premiers économistes trouvèrent cette mystérieuse source dans la terre, capable de produire des récoltes. Puis vint A. Smith qui fit du travail la nouvelle source de valeur, et plus tard Ricardo qui la trouve plus précisément dans les coûts de production, donc dans la quantité relative de travail que demande une production. Enfin Marx, dans le Capital (1867), enfonce le clou : ce qui caractérise une marchandise, outre l’utilité que l’on peut en tirer (valeur d’usage), c’est sa capacité à pouvoir être échangée contre d’autres marchandises (valeur d’échange), cette valeur d’échange étant déterminée par la quantité de temps de travail abstrait qu’exige sa production : " Il s’agit toujours du temps qui est nécessaire en moyenne pour fabriquer un certain produit dans une société donnée, selon les conditions de production données ; et les travaux plus compliqués ont la valeur d’un travail simple multiplié, c’est-à-dire d’une plus grande quantité de travail simple. " Ce qui va faire dire à Marx des absurdités comme : " aucune forme de société ne peut empêcher que d’une manière ou d’une autre le temps de travail disponible de la société règle la production. " Dans la lignée des économistes libéraux, Marx perpétue le mythe de la valeur comme grandeur mesurable, substance palpable dont on pourrait calculer les attributs, telle une grandeur physique, alors qu’elle n’est qu’une idée marquée par des comportements culturels et sociaux. De plus, toujours dans cette lignée, il renforce l’idée que le travail seul crée de la valeur : " Son rêve est celui d’une société dont le sens serait de permettre à chaque individu de s’exprimer dans son produit et de se montrer ainsi à l’autre, dans sa vérité. C’est une société qui s’autoproduit, une société où la seule activité valable, utile, collective est la production, car elle seule anéantit vraiment le naturel. " Alors qu’un objet par exemple peut prendre de la valeur par les sentiments qu’on y investit : cadeau offert par un ou une ami(e) proche, héritage familial, don d’amour…

Ainsi, d’une notion complexe, parce qu’abstraite, on passe, en ne prenant en compte qu’une dimension de cette notion, à une "réalité" quantifiable. L’aboutissement de ce processus de minimisation, unidimensionalisation, donne le prix, corollaire de la valeur d’échange (ou valeur marchande). Celui-ci, fixé à partir du coût de production d’une marchandise et d’une pseudo-loi qualifiée crapuleusement de scientifique (l’offre et la demande), produit l’illusion qu’un objet (ou un service) est échangeable en soi. Plus besoin de bavardages incessants, de discussions interminables, de codes socioculturels, pour acquérir une chose : les choses s’échangent entre elles, devant des individus dépossédés de cet acte essentiel qu’est l’échange. Spectateurs de cette activité à la base fondamentalement humaine, ils sont maintenant réduits à porter sur le marché les produits de leur travail pour que ceux-ci puissent entre eux s’échanger : " Dans la nature marchande, les pommes poussent tout échangeables, étranges Hespérides "

Mais le drame ne s’arrête pas au fait que la valeur d’échange ne soit qu’une version tronquée de la notion de valeur. Il va bien au delà, dans le fait que cette version tronquée prenne le pas sur toute autre considération et redéfinisse le monde à son image : " Tant que les différentes communautés humaines, comme les villages, produisent elles-mêmes ce dont elles ont besoin et se limitent à l’échange occasionnel des excédents, la valeur d’usage dirige la production. Chaque travail particulier fait partie d’une division des tâches à l’intérieur de la communauté à laquelle il est directement lié, et maintient son caractère qualitatif. […] Ce n’est que lorsqu’un certain seuil est dépassé dans le développement et le volume des échanges, que la production elle-même se dirige essentiellement vers la création de valeur d’échange. La valeur d’usage de chaque produit réside alors dans sa valeur d’échange, par l’intermédiaire de laquelle on accède à d’autres valeurs d’usage. Le travail lui-même devient force de travail à vendre pour exécuter du travail abstrait. A la valeur d’usage, c’est-à-dire au concret, on n’accède que par la médiation de la valeur d’échange, ou plus précisément de l’argent. "

L’important en économie marchande n’est pas qu’un objet ou un service soit utile, agréable à vivre ; l’important c’est qu’il puisse se vendre ! Quitte à susciter, par des techniques publicitaires de plus en plus oppressives, de faux besoins dont la satisfaction sera rendue nécessaire pour atteindre le bonheur sur Terre. Le résultat est un monde où l’Economie, devenue folle, engendre des services et produits dont le seul et unique but est d’engranger du profit, sans prendre en compte les dégâts écologiques et sociaux occasionnés.

Alors que l’échange se réalise dans le lien social qu’il crée, la valeur d’échange se réalise dans l’argent qu’elle produit.

Qu’est-ce que la monnaie ?

A la base la monnaie (ou argent) n’était qu’un outil pour faciliter l’échange, un équivalent général permettant d’évaluer de part et d’autre l’apport mis en jeu dans l’échange. Un rapport (le prix) s’est ainsi constitué directement entre les biens et les services, écartant peu à peu les gens de cette activité fondamentale qu’est l’échange. Cette monnaie ne devait être qu’un moyen, une médiation, pour obtenir un produit contre un autre. Mais la conséquence est que dans la transaction, l’objet ou le service s’échange contre un moyen de paiement compensatoire, et que cette monnaie en économie capitaliste peut être mise en réserve, accumulée, thésaurisée. Elle permet également d’investir à titre privé, ou encore de spéculer pour tirer profit des variations du marché ; tout ceci afin de s’enrichir un maximum au détriment des autres. De moyen, l’argent est donc vite devenu but en soi, synonyme d’appropriation de richesses, d’accumulation de propriétés privées, de satisfaction égoïste de ses intérêts, et par là même de reconnaissance sociale dans un monde où les rapports marchands se généralisent. Acheter, vendre, investir, spéculer, emprunter, rembourser, épargner, jouer, taxer, mendier représentent les activités dominantes d’une époque décadente. Aujourd’hui la monnaie électronique (puces, ordinateurs), après avoir supplanté les autres formes d’argent (marchandise-étalon comme l’or, monnaie fiduciaire – billets de banques –, scripturale – chèques), règne sans partage sur le monde, voyageant sans cesse à vitesse instantanée pour faire pression sur des gouvernement, renflouer une entreprise, spéculer sur la monnaie d’un Etat, s’abriter dans les paradis fiscaux… " L’usage de la monnaie n’a-t-il pas dévoyé les humains de ce qu’on peut appeler leur projet primitif, à savoir faciliter en commun l’entretien de leur vie ? Une fois créé, cet instrument ne s’est-il pas mis à imposer à l’homme ses exigences, l’entraînant, tel Pygmalion, dans toutes sortes de complications imprévues, renforçant en particulier les distinctions et divisions entre les hommes ? " Assurément si, et ce ne sont pas les affaires de sang contaminé ou les trafics d’organes de pays pauvres vers les pays riches qui nous prouveront le contraire. Même G. Soros, célèbre financier américain qui s’est enrichi en spéculant sur le marché des devises, vire actuellement sa cuti en critiquant sévèrement la place de " l’intérêt personnel au-dessus du bien commun ", " le développement incontrôlé d’un capitalisme du laisser-faire et la diffusion des valeurs de l’économie de marché dans tous les domaines de la vie… " Décidément, nous vivons des temps bien singuliers…

Du futur comme redéfinition de nos échanges

Lien social désintégré, individus atomisés, culture du cocoonig : le problème est là ! Les gens n’échangent plus, les espaces de discussions manquent, les bars populaires qui animaient les quartiers ferment… Seul sur son piédestal, l’échange marchand conduit la planète vers des catastrophes écologiques et sociales de plus en plus irréversibles. Le libre-échange prôné par les néo-libéraux ne fait le jeu que d’une poignée de crapules endimanchées et cause des dégâts in- commensurables dans les régions ou pays pauvres qui n’arrivent plus à assurer leurs besoins vitaux et qui sont obligés, par l’intermédiaire du F.M.I. et de la banque Mondiale, de produire en se spécialisant des denrées et objets "nécessaires" au petit confort des habitants du Nord. Pourtant, ici et là, des noyaux de résistance au fonctionnement capitaliste du monde tentent de s’organiser pour développer d’autres idées, d’autres pratiques que celles actuellement à l’œuvre. Tout ce qui suit n’est évidemment pas à prendre comme un nouveau programme révolutionnaire mais plutôt comme de modestes propositions à discuter…

D’autres idées ! d’autres pratiques !

Le système marchand s’accompagne d’idéologies qui façonnent insidieusement nos schémas de pensée :

– l’anthropocentrisme qui place l’espèce humaine au-dessus de toutes choses et qui justifie donc la domination, voire le remodelage de la nature à l’image de l’humain ; d’où les concepts de progrès, croissance, développement qui ne prennent pas en compte les dégâts écologiques occasionnés ; – le matérialisme qui affirme que seul est à prendre en compte ce qui est mesurable, quantifiable ; son dérivé est une vision à tout prix scientifique, objective, qui a tendance à vouloir tout rationaliser pour en tirer meilleur profit (exemple le taylorisme) ; – l’individualisme qui prétend que la société est composée d’une somme d’individus aux intérêts contradictoires, voire antagonistes et qui donc écarte la possibilité de liens communautaires, de solidarité ; cette idéologie justifie un système répressif (Etat, salariat) chargé de maintenir la cohésion sociale. Son dérivé est le néo-darwinisme qui exalte la compétition entre les individus.

" Il est impossible d’espérer résoudre la crise socio-écologique planétaire sans la complète remise en cause de la culture qui l’accompagne. " Replacer l’humain dans son contexte naturel et mettre en avant nos intérêts communs, nos convergences, semblent aujourd’hui des idées sans lesquelles tout projet anticapitaliste de reconstruction court à sa perte…

Les décideurs économiques et politiques continuent d’affirmer que le progrès social ne se fera pas sans une reprise de la croissance. Bien sûr, la modernisation accélérée durant ce dernier siècle a apporté dans les pays dits "développés" un certain confort et des avantages certains, mais à quel prix ? Pollutions, exploitations, ennui : le progrès technique est loin d’être synonyme de progrès social ! Environ 1/5 de la population mondiale consomme à elle seule 4/5 de la production mondiale et des études ont été faites comme quoi la Terre ne pourrait supporter plus de 700 millions de personnes qui consomment "comme à l’occidentale". Pire qu’une impasse, leur croissance ressemble à un meurtre avec préméditation. Face à ce constat, pourquoi ne pas avancer dans certains secteurs l’idée de décélérer la croissance. Prenons l’agriculture : dans les pays industrialisés la culture et l’élevage intensifs ont tendance à épuiser les terres, polluer les nappes phréatiques et nous faire bouffer de la merde. De plus les exportations de ces pays ruinent l’agriculture du Tiers-Monde, donc leur autonomie alimentaire. Décélérer l’industrialisation de l’agriculture au Nord, ce serait retrouver un certain équilibre écologique ; ce serait également la nécessité d’avoir plus de gens à la campagne, donc rééquilibrer la balance milieu rural/milieu urbain et désengorger les villes ; et pour le Sud ce serait favoriser leur autonomie alimentaire, casser leur dépendance vis-à-vis des pays riches, briser les rapports impérialistes. " Précisons que décélérer la croissance ne veut pas dire pour autant stagnation ou récession économique, dans la mesure où ce qui est recherché ici est un mieux-être de l’homme. Du reste un projet de société ne peut s’évaluer uniquement en termes économiques. "

En ce qui concerne l’appropriation des ressources naturelles énergétiques comme le pétrole, il paraît peu normal, éthiquement parlant, qu’elles soient puisées, consommées, gaspillées par une minorité de personnes sur une infime échelle de temps, alors qu’elles ne sont pas renouvelables. Pourquoi ne pas déclarer ces ressources exploitables et non régénératrices propriété de l’espèce humaine dans son entier, et ainsi prendre en compte les générations à venir. De même la propriété collective des moyens de production est toujours à l’ordre du jour, parce qu’elle seule permet une maîtrise de nos besoins, de nos conditions d’existence.

Face au diktat de l’argent, plusieurs pistes ont déjà été avancées dans l’histoire, dont certaines ont été expérimentées avec succès. Pour éviter la thésaurisation et favoriser les échanges, des monnaies locales ont été créées au XVIIIè siècle dans certaines colonies britanniques pour relancer l’économie locale : réussite ! Du moins jusqu’à ce que le parlement britannique, voyant tout cela d’un mauvais œil, interdise ces monnaies. Une monnaie qui s’use avec le temps a aussi permis à Wörgl, en Autriche, dans les années 30, de relancer l’économie dans la commune… jusqu’à la répression du gouvernement fédéral. Proudhon a proposé l’idée d’un crédit gratuit et illimité pour éviter la toute puissance des détenteur de capitaux. Dans tous ces cas, évidemment, les rapports marchands ne sont pas foncièrement remis en cause. Ils permettent juste à la monnaie de retrouver ce rôle d’outil pour faciliter l’échange. Mais a-t-on toujours besoin de cet outil ?

Tout dépend en fait du système d’échange utilisé. L’ethnographie en dénote deux types : la redistribution et la réciprocité. Dans le premier cas, qui fait référence à des transactions à l’intérieur du groupe social (famille, commune, fédération…), le principe est de centraliser les besoins et les richesses pour permettre de redistribuer. Ici, pas besoin de monnaie. C’est pour nous, libertaires, le type d’échange à favoriser, qui renvoie aux notions d’entraide, de solidarité, de mutualisme, de collectivisme. Mais la grande famille libertaire n’étant pas encore à l’ordre du jour (et d’ailleurs le sera-t-elle vraiment un jour ?), il nous faut étudier de plus près le second cas, la réciprocité, qui renvoie aux transactions entre groupe sociaux. Selon M. Sahlins, anthropologue, la réciprocité " peut prendre trois formes : la réciprocité généralisée, équilibrée, négative. Ces trois formes définissent des aires de relation allant de la plus familière à la plus lointaine. La première se pratique entre proches : le don y est "gratuit" et la réciprocité est assurée de manière diffuse. La seconde délimite l’aire d’alliance : les donateurs attendent une compensation spécifique de leur prestation, en général réglée par la coutume. La troisième est celle du commerce et de la guerre : chacun cherche à donner le minimum pour obtenir le maximum. " La première forme, c’est donc la mère qui allaite son enfant, l’ami(e) qui offre un cadeau, le partage de la nourriture en famille, l’hospitalité, la générosité, l’entraide : il y a forcément un retour à ces dons, mais il peut prendre différents aspects (sourire, remerciement, cadeau, respect…) et venir dans une période de temps non définie. La seconde forme fait intervenir une période bien définie, délimitée, pour un échange de même type et de même quantité : un prêt d’argent sans intérêt par exemple. La troisième forme est malheureusement celle qui se répand le plus et ronge nos société jusqu’à marchandiser les rapports sociaux, à l’image de ces parents qui payent leurs enfants pour qu’ils tondent la pelouse ou lavent la vaisselle. Rompre avec l’échange marchand c’est forcément rompre avec la monnaie capitalisable, la mise en concurrence des intérêts de chacun, la valeur comme quantité mesurable et la propriété privée ; c’est avancer la gratuité comme projet collectif pour construire de nouveaux rapports sociaux. Gratuité de l’espace (aller où bon nous semble !), du temps (ne plus vendre son temps à un patron pour travailler !), de l’entretien et de la reproduction de la vie (manger, boire, se loger, se vêtir…). La gratuité singularise (lorsque c’est gratuit on ne peut plus dire qu’une chose en "vaut" une autre), unit (lorsque c’est gratuit, les clivages s’estompent, les rencontres naissent), et permet plus d’autonomie (lorsque c’est gratuit les flics n’ont plus à assurer la sécurité des biens). Alors pourquoi pas la gratuité ? Les réseaux d’échanges (échanges de savoir, S.E.L.) semblent être des espaces intéressants où se développent des alternatives concrètes au système marchand. Espérons seulement qu’ils ne reproduisent pas en leur sein les tares du capitalisme (bureaucratisation, valeur d’échange) et qu’ils ne se contentent pas de vivre paisiblement aux abords de la bête à abattre…

R.V.
Groupe LA CANAILLE


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