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AccueilJournalNuméros parus en 2001N°1 - Septembre 2001 > Préparer la révolution sans détester la vie

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Préparer la révolution sans détester la vie



Se préparer pour changer le monde induit nécessairement d’apprécier la vie et d’aimer ses semblables. Sinon, pourquoi mettre tous ses espoirs dans une révolution qui imposerait l’indispensable égalité entre les humains. Il n’empêche, la haine a toujours été moteur de la révolte sociale, quand l’Eglise prêchait la nécessité d’un asservissement absolu envers les oppresseurs, sous couvert d’amour de son prochain. De Spartacus aux révoltes du Moyen-âge, de ces foules d’esclaves qui faisaient trembler Rome aux "Jacques" qui refusaient d’être écrasés par un ordre féodal impitoyable, l’amour du prochain ne pouvait trouver sa placer. Ils aiment la vie, à en crever. Tous ne luttaient pourtant que pour leur survie.

Comment les révolutionnaires de l’An II auraient-ils pu apprécier les nobles et les curés ? Pourquoi les barricadiers de juin 1848, ou des jours sombres de la Commune de Paris se seraient-ils reconnus comme frères humains avec ces armées constituées de fils du peuple qui les fusillaient à bout portant, sans état d’âme ?

La fraternité d’alors ne pouvait qu’être réservée aux semblables en désespérance, aux parias victimes de toutes les répressions. La haine dominait toujours car il n’y avait pas de place pour cet amour angélique prêché dans les églises. Du côté des exploiteurs - ceux qui peuplaient les prie Dieu chaque doimanche - il n’y avait que mépris envers ceux qui créaient leurs richesses. A la fin du XIXe siècle, on envoyait la maréchaussée ou les sergents de ville contre ceux des plus hardis qui poussaient l’audace jusqu’à oser se mettre en grève. C’était interdit par le Père, le Fils et le Saint-Esprit, ce serait interdit par les parrains de la République des Jules (*) qui posaient leurs gros culs sur la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

De nos jours, nul ne peut imaginer la misère dans laquelle étaient plongés les prolétaires et les paysans pauvres, mais l’incroyable humanisme des pauvres s’exprimait dans les paroles de ces chants qui perpétuent leur mémoire. Les révolutionnaires de 1793 n’étaient pas dépourvus de bon sens humain. Un couplet de la Carmagnole n’incitait-il pas à la concordre entre les hommes, au nom des sentiments ne devant rien à la charité bien ordonnée :

"Ah, s’ils avaient le sens commun (bis)

Tous les peuples ne feraient qu’un (bis)

Loin de d’entr’égorger

Ils viendraient tous manger

A la même gamelle..."

Dans son Chant des ouvriers, écrit en 1846, Pierre Dupont dépeint une société où la misère est le lot commun du plus grand nombre : le travail qui tue, le sort des vieux travailleurs, les produits de la terre qui ne sont réservés qu’aux riches, les femmes avilies. L’auteur place malgré tout son espérance en un "meilleur vent", quand serait oublié le sort des "mal vêtus", de ceux qui survivent "logés dans des trous, sous les combles". Mais le véritable amour ne disparaît pas après la description de cette douleur de vivre :

"Aimons-nous, et quand nous pourrons

Nous unir pour boire à la ronde

Que le canon se taise ou gronde

Buvons (ter)

A l’indépendance du monde..."

A la même époque, c’est en Allemagne qu’est écrit le Chant des Tisserands, dont le nom de l’auteur nous est inconnu. En 1844, une révolte des tisserands silésiens a été noyée dans le sang, et les strophes écrites par un contemporain ne laissent nulle place pour envisager une quelconque collaboration de classe :

"O, pays que nous maudissons

C’est ton linceul que nous tissons

........................................

Dieu soit maudis, toi qu’on implore

Dans le besoin, toujours en vain

Quand la misère nous dévore

Qu’on gèle et qu’on n’a pas de pain

........................................

Toi, sois maudit ! Prince des riches

Tu ricanes de nos tourments

........................................

Soit maudite aussi, toi patrie

Car tu n’es qu’un fumier pourri

Où toute fleur est tôt flétrie."

Vingt ans plus tard, La Carmagnole où chaque révolution a ajouté son couplet, est déjà plus virulente. L’Eglise a désormais trouvé sa place dans cette version datée de 1869, où l’auteur crache délibéremment sur un clergé qui n’a jamais changé de cap et se veut toujours l’allié privilégié des riches et des puissants ;

"Que désire un républicain (bis)

Vivre et mourir sans calotins (bis)

Le Christ à la voierie

La Vierge à l’écurie

Et le Saint-Père au Diable..."

Comme les invectives contre les hommes en noir ne suffisent pas pour assurer le bonheur du genre humain, La Carmagnole s’étoffe dans le même temps de quelques trophes bien senties annonçant la Commune de Paris :

"Que faut-il au républicain (bis)

Du fer, du plomb et puis du pain (bis)

Du fer pour travailler

Du plomb pour se venger

Et du pain pour ses frères..."

Comment, en ces années 2000, qui ont débuté sous le signe du profit exacerbé et des licenciements boursiers, ne pas se souvenir de ce couplet, pour le moins fondateur, de L’insurgé, chanson écrite durant la Commune de Paris par Potier et Degeyter, les futurs auteurs de l’Internationale :

"A la bourgeoisie écoeurante

Il ne veut plus payer la rente.

Combien de milliards tous les ans ?

C’est sur vous, sur votre viande

Qu’on dépèce un tel dividende

Ouvriers, mineurs, paysans..."

Ecrite en 1871, par Eugène Potier, plus d’une décennie avant d’avoir été chantée, l’Internationale bien au-delà de la simple révolte, défini clairement les ennemis des classes exploitées, "les rois de la mine et du rail, qui n’ont jamais autre chose que dévalier le travail." Ainsi que l’Etat "qui comprime" et la loi "qui triche". Plus tard, les antimilitaristes ajouteront l’indispensable couplet dit des généraux : "S’ils s’obstinent ces canibales, à faire de nous héros..."

N’oublions jamais, La Canaille, ce cri lancé par Alexis Bouvier et Joseph Darcier, en 1865, à une époque où les prolétaires travaillaient soixante heures par semaine, tandis que les enfants de douze ans étaient exploités dans les mines ou les filatures : "C’est la canaille, eh bien j’en suis !" Cette "canaille", définie de façon plus méprisante encore par Georges Pompidou qui,le 11 mai 1968 - en pleine révolte étudiante, laissait tomber cette réflexion qui se voulait définitive "La réforme, oui, la chienlit, non !"

Le temps a passé et si l’exploitation a changé de nature, les salariés et leurs syndicats, participent avec leurs patrons, sous l’égide d’un pouvoir désigné comme socialiste, à cette trouvaille social-démocrate dénommée consensus social. L’ouvrier aimerait devenir contremaître ou cadre, tandis que le patron, paternaliste le dimanche mais licencieur en semaine, ne changerait jamais de nature. Mais où casera-t-on les salariés sans grade pour qui il n’est pas prévu d’autre évolution que le chemin conduisant à l’ANPE ?

· Jules Ferry, Jules Grave, Jules Simon, Jules Grévy... Sans oublier Jules Guesde, qui allait trahir en 1914 !

Maurice rajsfus


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